Si la France semble vouloir se montrer plus transparente en matière de ventes d’armes, elle n’en a pas moins continué de livrer des armes dont l’usage pourrait avoir des conséquences dramatiques sur les vies de milliers de civils.
Pour la première fois, le rapport annuel au Parlement sur les exportations d’armement, dans son édition 2020, inclut les données du rapport annuel de la France au Traité sur le commerce des armes (TCA). Cette avancée positive, que nous demandions depuis des années, permet à la représentation nationale d’avoir accès, en plus des données financières habituelles, aux informations relatives aux quantités et types de matériels de guerre livrés par le pays.
Cependant, la mise en œuvre de cette transparence n’est pas à la hauteur des engagements français de ne pas transférer d’armes dès lors qu’il existe un risque majeur qu’elles puissent servir à commettre ou faciliter des violations graves du droit international.
Un exercice de transparence raté
« Nous continuerons par ailleurs à cultiver la transparence vis-à-vis des Français », c’est en ces termes que la ministre des Armées a achevé son propos introductif lors de son audition du 7 juillet 2020. Cependant, malgré nos demandes répétées d’un examen public sur les ventes d’armes, l’audition de la ministre des Armées s’est déroulée à huis-clos.
Et alors qu’elle était interpellée à plusieurs reprises au sujet des ventes d’armes de la France à l’Arabie saoudite, la livraison programmée le lendemain au port de Cherbourg à destination de ce pays n’a jamais été évoquée.
À l’abri des regards, le 8 juillet, la France a procédé à la livraison de trois nouveaux intercepteurs maritimes, des navires de guerre, vers l’Arabie Saoudite et sa marine militaire. Cela confirme que les transferts d’armes françaises sont réguliers alors même que la France ne peut ignorer les violations graves des droits humains commises par ce pays, dans le conflit au Yémen, ainsi que le blocus maritime mis en place par la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite.
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Comble de l’hypocrisie, lors de la sixième conférence des États parties au Traité sur le commerce des armes (TCA), la France a « appelé l’ensemble des parties au Traité à respecter leurs obligations en ce domaine [la transparence sur les ventes d’armes] ».
L’opacité : un obstacle au contrôle
Du 17 au 21 août 2020 a eu lieu la sixième conférence des États parties au TCA, sous un format inédit et à distance. Cette nouvelle session annuelle a confirmé que le manque de transparence faisait obstacle au bon fonctionnement du TCA. Une nouvelle fois, les transferts d’armes contestés et contestables n’ont pas été à l’ordre du jour des échanges entre les États parties. Un sujet somme toute essentiel à cette conférence.
La situation est préoccupante. 97 États parties étaient tenus de soumettre un rapport annuel sur leurs exportations et importations d’armes intervenues en 2019, avant le 31 mai 2020.
Seulement trente-cinq d’entre eux s’en sont acquittés, soit un taux de respect des délais de 36 %, le plus bas constaté depuis l’entrée en vigueur du TCA. Et chaque année, ce taux se réduit comme peau de chagrin. De plus, le rapport annuel de la France au TCA reste à améliorer comme nous l’avons souligné en mai 2020.
Alors que le conflit au Yémen fait toujours rage et que les transferts vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis devraient être immédiatement suspendus en vertu du droit international, ces deux pays restent les clients privilégiés de la France.
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La France pointée du doigt au Yémen
Le 9 septembre 2020, le Groupe d’experts éminents sur le Yémen, mis en place par le Conseil des droits de l’homme en 2017, a rendu public son troisième rapport sur la situation des droits humains dans le conflit au Yémen.
Il a pour mandat de procéder à un examen approfondi de toutes les violations et atteintes présumées aux droits humains commises par toutes les parties au conflit depuis septembre 2014, et, si possible, en identifier les responsables. Son rapport intitulé « Une pandémie d’impunité dans un pays torturé » couvre la période de juillet 2019 à juin 2020. Une nouvelle fois, le Groupe d'experts rapporte que toutes les parties au conflit ont continué de commettre toute une série de violations du droit international des droits humains et du droit international humanitaire.
Le Yémen reste une terre de torture, avec son peuple ravagé d’une manière qui devrait choquer la conscience de l’humanité.
Kamel Jendoubi, le président du groupe d’experts
Par ailleurs, le rapport fustige la poursuite de la livraison des armes qui alimente la guerre. Ainsi, il relève qu’en dépit de ses recommandations précédentes, des États, dont la France mais aussi le Canada, l’Iran, le Royaume-Uni et les États-Unis ont continué de soutenir les parties au conflit, notamment au moyen de transferts d’armes, contribuant ainsi à perpétuer le conflit. Ces transferts interviennent au mépris flagrant des violations graves du droit international humanitaire et des droits humains, alors que des violations graves ont été documentées jusqu’à maintenant. Le Groupe d’experts estime enfin que ces États manquent à leurs responsabilités de garantir le respect du droit international humanitaire et que certains États pourraient violer leurs obligations au titre du Traité sur le commerce des armes.
Il est plus que jamais indispensable que les parlementaires français exercent enfin un contrôle sur les exportations d’armes de la France.
Stop à la complicité de la France !
Plus que jamais, nous devons être vigilants et demander une véritable transparence et un contrôle sur les ventes d’armes françaises. Exigez d’Emmanuel Macron que la France respecte ses engagements