Des civils tués, des familles déchirées, des habitations détruites... Dans le Haut-Karabakh, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont utilisé des armes interdites par le droit international humanitaire. En dépit des preuves, les deux camps nient leur utilisation.
Sur le terrain, nous avons mené l’enquête. Dans un rapport, nous exposons en détail dix-sept frappes illégales imputables aux deux camps, qui ont tué des civils.
Au total, au moins 146 civils, dont des enfants et des personnes âgées, sont morts lors du conflit du Haut-Karabakh.
Les forces arméniennes et les forces azerbaïdjanaises ont utilisé des armes qui ne peuvent être maniées avec précision sur des zones civiles à forte densité de population. Les bombes à sous-munitions et les armes explosives à large rayon d’impact sont pourtant interdites par le droit international humanitaire, précisément dans ce type de situation qui ne permet pas de distinguer des objectifs militaires de personnes ou bien civils. Le droit international humanitaire parle alors de frappes sans discrimination.
Un mépris évident à l’égard de la vie humaine
Bâtiment endommagé où Arkadi Lalayal a été tué par une roquette tirée par les forces azerbaïdjanaises le 4 octobre 2020 // Credit : Donatella Rovera
Les forces arméniennes ont eu recours à des missiles balistiques imprécis, des systèmes de lance-roquettes multiples non guidés et des tirs d’artillerie. Les forces azerbaïdjanaises ont aussi utilisé des munitions d'artillerie non guidées et des lance-roquettes multiples. Les autorités arméniennes et les autorités azerbaïdjanaises nient avoir mené des frappes sans discrimination contre des zones civiles et avoir utilisé des bombes à sous-munitions, alors même que des preuves attestent du contraire.
En utilisant ces armes imprécises et meurtrières à proximité de zones civiles, les forces arméniennes et les forces azerbaïdjanaises ont enfreint les lois de la guerre et fait preuve d’un profond mépris à l’égard de la vie humaine.
Pire, certaines des attaques ont été menées à répétition contre des zones habitées par la population civile, loin des lignes de front, alors qu’il n’y avait visiblement pas d’objectifs militaires alentour. Sans nul doute, le nombre de victimes civiles aurait été bien plus élevé si de nombreux habitants n’avaient pas déjà fui les zones touchées ou ne s’étaient pas abrités dans des sous-sols dès le début du conflit.
Attaques menées par les forces arméniennes
Nous avons recensé huit frappes menées par les forces arméniennes contre des villes et des villages en Azerbaïdjan, qui ont tué au total soixante-douze civils.
Dans la ville de Ganja, le 17 octobre 2020, vingt et un civils ont été tués et plus de cinquante ont été blessés lorsqu’un missile balistique SCUD-B a frappé le quartier de Mukhtar Hajiyev. Cette frappe a coûté la vie à la fille de Sudaba Asgarova, Nigar, la veille de son 15e anniversaire. « C’était ma fille unique, elle était tout ce que j’avais », nous a confié Sudaba.
Selon Ramiz Gahramanov, 64 ans, lors de la même frappe, sa fille Khatira, 34 ans, a été tuée avec son fils Orhan, 11 ans, et deux de ses filles, Maryam, 6 ans, et Laman, 18 ans.
J’ai regardé en bas, et lorsque j’ai vu que la maison était complètement détruite, j’ai su immédiatement qu’ils étaient tous morts, car personne ne peut survivre à une telle destruction. Je n’ai pas retrouvé les corps de mes petits-enfants. On a retrouvé des morceaux de leurs cadavres des jours plus tard, dans la rue voisine, et d’autres parties sont restées introuvables.
Ramiz Gahramanov, un témoin
Quatre victimes de la famille de Ramiz Gahramanov qui ont été tuées, en Azerbaïdjan, par un missile lancé par les forces arméniennes, le 17 octobre 2020 // Credit : Donatella Rovera
Le 27 octobre, cinq personnes ont été tuées et quatorze ont été blessées lorsque les forces arméniennes ont largué une bombe à sous-munitions dans le village de Qarayusufli, causant des dégâts matériels très importants. Parmi les victimes, citons Aysu Iskandarli, 7 ans, qui jouait sur une balançoire dans son jardin au moment de la frappe.
Comprendre : Qu'est-ce qu'une bombe à sous-munitions ?
Le 28 octobre, les forces arméniennes ont également tiré plusieurs roquettes de gros calibre sur la ville de Barda, à plus de 230 km de la ligne de front. Trois missiles sont tombés sur le centre-ville, dont deux près de deux hôpitaux. Le troisième – un 9M55 Smerch de fabrication russe contenant des sous-munitions de type 72 9N235 – a atterri au milieu d’un rond-point fréquenté, tuant 21 civils.
Le 27 septembre, le jour où le conflit a éclaté, les forces arméniennes ont déclenché une frappe d’artillerie à Gashalti, près de Naftalan, tuant cinq membres de la famille Gurbanov et détruisant partiellement leur maison.
Attaques menées par les forces azerbaïdjanaises
Nous avons recensé neuf frappes menées par les forces azerbaïdjanaises dans des villes et des villages du Haut-Karabakh et une en Arménie, tuant onze civils. Selon les autorités locales, au moins 52 civils arméniens ont été tués lors du conflit.
La principale ville de la région, Stepanakert, a été la cible d’attaques fréquentes, parfois plusieurs en un seul jour. Certaines frappes ont utilisé des armes non discriminantes par nature, comme des roquettes Grad de 122 mm, et des armes à sous-munitions interdites par le droit international.
Le 4 octobre, une série de frappes a fait quatre morts et une dizaine de blessés parmi les civils. Naver Lalayal a raconté que son père Arkadi, âgé de 69 ans, a été tué lors de cette attaque.
Depuis le début de la guerre, mes parents restaient dans l’abri installé au sous-sol du bâtiment avec d’autres habitants et remontaient régulièrement à l’appartement pour se servir de la salle de bains et de la cuisine. Ce matin-là, mon père est monté à l’appartement et se tenait sur le balcon lorsqu’un missile a explosé dans le jardin. Il a été tué sur le coup.
Naver Lalayal, un témoin
Ces trois personnes ont été tuées lors de frappes azerbaïdjanaises. De gauche à droite : Artsvik Gevorgyan, deux ans, Hovhannes Aghajanyan, un secouriste, Svetlana Mkrtchyan, 83 ans
Une jeune femme souffrant d’un grave handicap physique et mental a également été blessée et traumatisée lors de cette frappe.
Un expert indépendant en matière d’armes a examiné des fragments d’armements que nous avons pu observer sur site et les a identifiés comme « de probables parties d’un missile balistique EXTRA », une arme israélienne dont on sait qu’elle est vendue à l’Azerbaïdjan. Plusieurs autres sites autour de la ville ont été frappés le même jour, notamment près d’une école qui n’était plus occupée et près du bureau du Comité international de la Croix-Rouge.
Dans d’autres frappes visant Stepanakert, les forces azerbaïdjanaises ont délibérément ciblé des infrastructures essentielles, notamment les services d’urgence, un grand ensemble de bâtiments situé à la frontière est de la ville. Le 2 octobre, vers 14 heures, une roquette a frappé le parking adjacent, blessant mortellement l’un des secouristes
À Martuni, le 27 septembre, on a recensé douze frappes en l’espace de quatre minutes, dont une a mortellement blessé une fillette de 8 ans et grièvement blessé et traumatisé son frère de 2 ans.
Selon le témoignage de Davit Khachatran, un habitant de Martakert, ses deux parents et sa tante, tous trois âgés d’une soixantaine d’années, ont été tués sur le coup lorsqu’une roquette Grad a frappé l’entrée d’un bâtiment, le 30 septembre. Les débris de la roquette étaient encore logés dans les marches du bâtiment lorsque nous nous sommes rendus sur place près de quatre mois après.
Notre travail d’enquête dans ce conflit
Au lendemain de l’accord tripartite du 10 novembre 2020 qui a mis fin au conflit, nous nous sommes rendus sur les lieux de dizaines de frappes en Azerbaïdjan et en Arménie fin novembre et début décembre 2020.
Nous avons interviewé 79 victimes, témoins et proches de civils tués et blessés lors des frappes, ainsi que des autorités locales civiles et militaires, des employés d’ONG et des journalistes.
En outre, notre équipe de réaction aux crises a analysé des fragments des munitions utilisées lors des attaques et examiné des vidéos, des photographies et des images satellite prises lors du conflit.
Les autorités arméniennes et les autorités azerbaïdjanaises doivent mener sans délai des investigations impartiales sur l’usage incessant et souvent inconsidéré par leurs forces d’armes explosives à large rayon d’impact dans des zones civiles densément peuplées.
Tandis que les leaders des deux camps commencent à élaborer des accords en matière de sécurité, les responsables présumés de ces violations des droits humains doivent être rapidement amenés à rendre des comptes et les victimes doivent obtenir réparation.
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