Le conflit armé a appauvri le pays et provoqué la pire crise humanitaire au monde. C’est dans ce contexte que 4,5 millions de personnes en situation de handicap luttent pour survivre.
Au Yémen, des millions de personnes sont en situation de handicap. Elles endurent depuis des années le conflit armé et sont parmi les populations les plus exclues dans le cadre de ce que les Nations unies ont qualifié de pire crise humanitaire au monde.
Notre enquête est le résultat de six mois de recherche notamment de visites effectuées dans trois gouvernorats du sud du Yémen, d’entretiens avec une centaine de personnes. Cela nous a permis de réunir des informations sur le quotidien de 53 femmes, hommes et enfants avec différents handicaps.
« Des déplacements sans fauteuil roulant ni béquilles »
Les personnes en situation de handicap sont confrontées à des difficultés accrues quand elles fuient la violence. Nombre d’entre elles ont témoigné qu’elles ont dû effectuer lors des déplacements des voyages épuisants sans fauteuil roulant ni béquilles ni autre équipement d’aide à la mobilité. Elles ont presque toutes été dans une situation de dépendance vis-à-vis de leur famille ou d’amis.
Le voyage a été extrêmement pénible. On m’a transporté de bus en bus, au total dans quatre bus. Ce sont mes voisins qui m’ont porté.
Migdad Ali Abdullah, un jeune homme de 18 ans
Migdad Ali Abdullah, âgé de 18 ans, à mobilité réduite et ayant des difficultés à communiquer, pose pour une photo alors qu'il était assis à côté de sa mère devant la tente où ils vivent au camp de Mishqafa, Lahj, le 11 juin 2019. Migdad a dit qu'il voulait une meilleure matelas parce que le sien était en train de s'effondrer et qu'il était incapable d'utiliser les installations sanitaires du camp, car il devait ramper pour utiliser les latrines et les personnes qui urinaient sur le sol à proximité © Amnesty International
Des personnes qui avaient des handicaps ont été abandonnées quand les familles ont fui, car elles ont été séparées dans le chaos qui régnait, ou parce que le voyage était trop difficile à entreprendre pour la personne handicapée.
Certaines de ces personnes sont handicapée parce que les belligérants n’ont pas signalé de façon effective qu’ils allaient lancer des attaques ayant des répercussions sur les civils.
Dans les camps de personnes déplacées, les installations n’ont pas été conçues pour les personnes en situation de handicap. Cela concerne notamment la conception des latrines et l’emplacement des points de distribution de l’aide, qui privent ces personnes de leur indépendance et de leur dignité en les forçant à demander de l’aide à leurs proches ou à des tiers. Un homme de 75 ans dont la mobilité est réduite a dit qu’il a besoin de l’aide de ses fils pour aller aux latrines : « Ils me traînent. Ils ne peuvent pas me porter. »
Pauvreté et dépendance
Le Yémen est partie à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, et il dispose de lois visant à protéger les 4,5 millions de personnes, au moins, – qui représentent 15 % de la population – en situation de handicap, d’après les estimations de l’Organisation mondiale de la santé. Il est difficile d’obtenir des statistiques fiables, et compte tenu des conséquences du conflit en cours, certains experts estiment que ces chiffres sont en réalité plus élevés.
Les services publics de la santé et de l’aide sociale ont été durement touchés par la guerre et l’effondrement économique du Yémen, ce qui a abouti à un non-respect systématique des droits des personnes handicapées. Beaucoup vivent de la charité ou doivent subvenir seules à leurs besoins, et certaines sont contraintes de vivre dans la pauvreté pour pouvoir payer des fournitures indispensables telles que les médicaments ou des couches pour adultes. Un homme en situation de handicap a été forcé de mendier sur la route.
Une prothèse, appartenant à une fillette de 11 ans blessée lorsqu'un mortier s'est posé sur son domicile en 2015, attend d'être réparée au Centre de prothèses d'Aden, le 18 juin 2019 © Amnesty International
Des proches de ces personnes ont dit avoir dû vendre des biens ou retarder le versement du loyer ou d’autres paiements essentiels pour faire face de façon prioritaire à des dépenses liées à l’aide que nécessite un membre de leur famille handicapé. La mère d’une petite fille de trois ans atteinte d’épilepsie et d’amyotrophie spinale a déclaré :
« J’ai vendu les meubles de ma maison et je l’ai emmenée à Sanaa pour qu’elle puisse recevoir son traitement […] Quatre mois plus tard, j’ai vu qu’elle ne bougeait plus, ne riait plus et ne jouait plus. Je l’ai de nouveau emmenée [à Sanaa.] L’autre jour, j’ai même demandé à mes amis comment faire pour vendre un de mes reins. Je suis prête à vendre mon rein pour pouvoir lui acheter un an de médicaments, les chaussures dont elle a besoin et tout le reste. »
Les conflits successifs au Yémen ont conduit à une crise en matière de santé mentale, car une importante proportion de la population, y compris de nombreux enfants, est gravement traumatisée.
Pourtant, il n’y a quasiment pas d’aide psychosociale ; on ne dénombre que 40 psychiatres en tout dans le pays, et la plupart d’entre eux sont installés dans les villes.
Les personnes en situation de handicap demandent à juste titre, partout dans le monde, qu’aucune décision ne soit prise « à leur sujet, sans elles ».
Lors d'une visite au camp Sabr de Lahj le 12 juin 2019, Amnesty International a constaté à quel point les latrines étaient inaccessibles pour les personnes handicapées. Ces conditions, également observées dans d’autres camps visités par l’organisation, ont une incidence sur la capacité des personnes handicapées à se soigner elles-mêmes et portent atteinte à leur autonomie, à leur vie privée et à leur dignité © Amnesty International
Les organisations humanitaires sont confrontées à d’énormes défis au Yémen. Mais elles pourraient prendre des mesures relativement simples pour améliorer leur action. Par exemple, réunir et analyse des données plus solides, mieux ventilées sur l’ensemble des personnes handicapées à qui elles viennent en aide. Elles devraient aussi permettre aux personnes handicapées de participer aux décisions qui concernent leur vie.