Phumzile Mlambo-Ngcuka, directrice exécutive d'ONU Femmes, Kate Gilmore, Haut-Commissaire adjointe des Nations unies aux droits de l'homme et Tawanda Mutasah, directeur général à Amnesty International, appellent la communauté internationale à contrer les dangers qui menacent le militantisme citoyen.
Les anniversaires sont l’occasion de faire le point.
Soixante-dix ans après l'adoption par les Nations unies de la Déclaration universelle des droits de l'homme, 20 ans après l'adoption par l’ONU de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l'homme et 100 ans après la naissance, en Afrique du Sud, de Rolihlahla Mandela au Cap-Est et d'Albertina Sisulu au Transkei, nous faisons face à la réalité d'un monde dans lequel les objectifs communs, sur lesquels nous nous sommes mis d’accord pour l'humanité, sont gravement menacés.
Dans plus de la moitié des pays du monde, le militantisme citoyen se heurte à de fortes restrictions, en particulier pour celles et ceux qui ont défendu par le passé et continuent à défendre les exclus, les laissés-pour-compte et les sans-voix.
Cela limite la qualité de vie des gens, leur capacité à jouir sur un pied d’égalité de leurs droits humains, à prendre part au débat démocratique et à vivre dans la paix et la liberté. Pour de nombreuses personnes dans le monde, de la Pologne à la Palestine, du Zimbabwe au Nicaragua, organiser des manifestations pacifiques reste une activité dangereuse.
Nous avons assisté à une répression sans précédent contre les militants citoyens ces dernières années : 300 défenseurs des droits humains ont été tués en 2017 et le nombre de défenseurs des droits environnementaux victimes d’homicides a quadruplé entre 2002 et 2017.
Ces faits nous disent que nous sommes aujourd’hui bien loin des idéaux qui devraient nous unir. La possibilité, pour tous les individus et tous les groupes, d’exprimer des désaccords est indispensable au bon fonctionnement et à la solidité d’une société démocratique.
Les personnes qui défendent les droits humains ont besoin d’un environnement favorable et positif pour mener à bien leurs activités. Cela est particulièrement le cas en ce qui concerne l’égalité entre femmes et hommes et les conditions particulièrement restrictives dans lesquelles opèrent les défenseurs des droits des femmes.
Nous luttons pour l’égalité des sexes non seulement parce que les femmes continuent à subir des discriminations dans tous les pays du monde, mais aussi parce que l’égalité des sexes conduit à la réalisation de nombreux droits pour l’humanité tout entière.
Dans l’Afrique du Sud de Mandela et d’Albertina Sisulu, en 1956, plus de 20 000 femmes et filles de tous horizons ont marché contre l'apartheid.
Aujourd'hui, la mobilisation féministe est au cœur du mouvement pour la justice sociale. Les femmes et les filles d'Afrique du Sud protègent les droits humains en dénonçant les violations, en accélérant le changement et en organisant des mouvements tels que #TotalShutDown pour mettre fin à la violence sexiste.
Depuis le début du mois de janvier 2018, nous avons vu à la fois des États et des acteurs non étatiques répondre à des rassemblements et manifestations pacifiques par la répression - souvent à caractère sexiste -, que ce soit par la brutalité physique ou par des interventions technologiques sophistiquées.
Souvent, les personnes qui défendent les droits des femmes et l'égalité entre femmes et hommes sont les premières à être attaquées, signe glaçant d'une répression plus vaste à venir. Les personnes qui défendent nos droits humains doivent être reconnues et soutenues, tout comme celles et ceux celles qui luttent pour que les gens puissent exercer leurs droits individuels et collectifs à la liberté d’expression, d’association, de réunion et de participation.
Pour que le Programme de développement durable à l'horizon 2030, approuvé par tous les États du monde en 2015, soit un succès, il faut que ces mêmes États respectent leurs engagements et qu’ils n'empêchent pas leur population de leur demander des comptes s'ils ne satisfont pas à l’obligation qui leur incombe de respecter, protéger et réaliser les droits humains. Il ne peut y avoir aucun compromis à cet égard, et nous devons insister fermement pour obtenir les garanties nécessaires.
Encouragés par le souvenir de nos leaders du passé, et dans la perspective de 2030, nous prenons conjointement la résolution de faire de 2018 l'année de notre engagement renouvelé à protéger l'espace du militantisme citoyen, à témoigner notre solidarité à toutes les personnes qui subissent des violations des droits humains et à défendre ces droits.
Nous devons être solidaires et faire tout ce qui est en notre pouvoir, de manière formelle et informelle, pour apporter le changement que les générations actuelles et à venir attendent de nous. Et nous devons reconnaître l’importance capitale des jeunes leaders féministes et les soutenir activement.
Nous tous, qui nous sommes réunis en Afrique du Sud cette semaine, nous sommes engagés à faire reculer les lois répressives qui érigent en infraction le militantisme citoyen et la mobilisation féministe, à dénoncer les violations des droits humains où qu'elles aient lieu et à agir contre les représailles, à garantir et à défendre un espace sûr pour le militantisme citoyen, à créer et à défendre un espace favorable pour la société civile par le biais du libre partage d’informations et de l’accès libre à l'information, à financer et à défendre la société civile, et à soutenir les médias indépendants.
Le leadership de Nelson Mandela et d'Albertina Sisulu, leur vie de combat et leur dévouement à l'humanité et à la liberté ont laissé au monde un héritage en matière de droits humains qui, en cette année du 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, prend une importance renouvelée.
Quand Mandela, adulte, s’est exprimé sur les droits des femmes, l'égalité des sexes et le rôle essentiel de la société civile, sa voix a été entendue dans le monde entier. De même, Mama Sisulu a montré la voie à de jeunes militants, des formations citoyennes et des organisations de femmes dans toute l’Afrique du Sud, nous rappelant que « s’attaquer aux femmes, c’est s’attaquer à un roc ».
Poursuivre le combat pour la justice et l’égalité, c’est ce que nous devons à leur héritage, et c’est notre obligation dans toutes nos organisations et tous nos espaces. Le changement est aussi possible qu’il est nécessaire.
Le 15 août 2018, ONU Femmes, l’entité des Nations unies pour l’autonomisation des femmes et l’égalité des sexes, le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme et Amnesty International, la plus grande organisation internationale de défense des droits humains, se sont joints au gouvernement sud-africain et à d'autres partenaires dans le cadre d’un forum de haut niveau pour réfléchir aux enseignements des leaders historiques du militantisme citoyen, examiner les défis auxquels la société civile est aujourd'hui confrontée et envisager une réponse commune.
Cet article a été initialement publié en anglais sur City Press.