Montrées du doigt, maltraitées, discriminées, inculpées, emprisonnées, et pour certaines tuées : les personnes qui défendent le droit à l’avortement voient leurs droits attaqués de toutes parts. Leur droit de travailler sans crainte et sans menace, d’exercer leurs compétences professionnelles sans discrimination doivent être respectés et protégés.
Elles sont psychologues, gynécologues, docteures : prodiguer des soins essentiels est leur quotidien, leur expertise. Elles connaissent les conséquences néfastes de l’interdiction de l’avortement.
En première ligne pour défendre l’accès à un avortement sûr et légal, elles partagent leurs préoccupations quand celui-ci est menacé. Nombre de ces défenseur.es du droit à l’avortement, qu’elles soient professionnelles de santé, militantes ou avocates sont victimes de violations, d’arrestations, de poursuites et d’emprisonnement pour avoir élevé leur voix ou pour avoir exercé leur métier.
Malgré l’hostilité et le manque de reconnaissance dont elles sont victimes, elles continuent d’aider avec courage d’innombrables femmes, jeunes filles et autres personnes enceintes à avorter. Elles constituent véritablement un mouvement inarrêtable.
Isolées et sans soutien, les professionnelles de santé et les militantes dans la tourmente
Les professionnel·les de santé que nous avons rencontrées sont unanimes : elles se sentent souvent isolées et sans aucun soutien. Leur travail n’étant pas reconnu, elles sont stigmatisées et se retrouvent souvent seules face au risque de poursuites pénales, de harcèlement, de menaces verbales ou d’actes de violence.
Pour de nombreux prestataires de santé sexuelle et reproductive, ce harcèlement et ces abus font désormais partie du travail, mais nous ne pouvons pas permettre que cela devienne la nouvelle norme.
Sarah Shaw, responsable des actions de plaidoyer à MSI Reproductive Choices.
Alors que certaines ne savent pas si elles pourront rentrer chez elles, d’autres voient leurs données personnelles divulguées en ligne. Même les sages-femmes, considérées comme des professionnelles de santé de confiance vers qui les femmes se tournent pour obtenir de l’aide lorsqu’elles sont enceintes, sont menacées.
Le droit à l’avortement, un droit essentiel
C’est un droit fondamental intrinsèquement lié à de nombreux autres droits. Sans accès à un avortement sûr et légal, les femmes ne peuvent pas jouir pleinement d’un grand nombre de droits : le droit à disposer de leur corps, le droit à la vie privée, le droit à la santé, pour n’en citer que quelques-uns.
"L’avortement est un soin de santé essentiel. Pourtant, en tant que prestataires de soins, nous sommes régulièrement victimes de discriminations et de violences pour avoir simplement fait notre travail", a déclaré Anne-Beatrice Kihara, présidente de la Fédération internationale de gynécologie et d’obstétrique (FIGO)
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En Pologne, Justyna Wydrzyńska, co-fondatrice du collectif Abortion Dream Team a été condamnée à huit mois de travaux d'intérêt général pour avoir aidé une femme à se procurer une pilule abortive. L’appel de son procès se tiendra le 30 janvier 2025.
En Andorre, Vanessa Mendoza Cortès, présidente de l’association Stop Violencès risquait e jusqu’à quatre ans de prison pour son discours en faveur du droit à l’avortement devant le Comité des Nation unies pour l’élimination de la violence. Elle a finalement été acquittée en janvier 2024 après trois ans d’une procédure judiciaire injuste.
Au Maroc, Hajar Raissouni, journaliste de 28 ans, a été condamnée à un an de prison ferme pour « avortement illégal » en septembre 2019. Face au tollé général qui a secoué le royaume, la jeune femme a été graciée par le roi un mois plus tard.
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Mais depuis, rien n’a bougé dans le pays où une réforme pour assouplir la législation se fait attendre depuis près de huit ans. Encore aujourd’hui, une femme qui avorte sans raison médicale risque jusqu’à deux ans de prison et les médecins qui la pratiquent jusqu’à cinq ans.
Malgré une tendance mondiale positive, les détracteurs du droit à l’avortement accaparent le débat public
Alors que la tendance mondiale est à la dépénalisation de l’avortement, des politiques anti-avortement continuent d’entraver son accès dans de nombreux pays.
Les discours obscurantistes et rétrogrades de certains mouvements anti-avortement sont appuyés et légitimisés par les prises de paroles publiques de certains responsables politiques qui diffusent des récits toxiques en désinformant gravement sur le sujet. Beaucoup de ces discours ciblent directement les militantes et professionnelles de santé qui luttent pour le droit à l’avortement et menacent ainsi leur sécurité.
Le cas américain
Depuis l’annulation par la Cour suprême des États-Unis de l’arrêt Roe v Wade, qui garantissait aux Américaines l’accès à l’avortement, une forte augmentation des incidents tels que les incendies criminels, les cambriolages ou encore les menaces de mort ou les menaces d’invasion de cliniques a été enregistrée .
Aujourd’hui, 28 États l’ont restreint ou interdit, obligeant des cliniques à fermer ou à déménager. C’est le cas notamment au Texas, en Louisiane ou au Mississippi, qui ne prévoient aucune exception, même en cas de viol ou d’inceste.
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La Fédération nationale pour l'avortement (National Abortion Federation) recense depuis des décennies les attaques violentes autour des cliniques, les menaces de mort, les agressions, les attentats à la bombe et les alertes à la bombe, les fusillades, les incendies criminels, le harcèlement, les cambriolages, le vandalisme et les invasions de cliniques.
Entre 1977 et 2022, elle a enregistré 11 meurtres, 26 tentatives de meurtre, 200 incendies criminels, 100 attaques à l'acide, 531 cas de coups et blessures et d'autres types d'attaques pour un total de 15 915 incidents.
25 millions d’avortement dangereux dans le monde selon l’OMS
Conséquence de cette criminalisation de l’avortement, plus de 25 millions d’avortements sont pratiqués dans des conditions dangereuses chaque année dans le monde. Le personnel de santé est constamment tiraillé entre le devoir éthique et professionnel de proposer les meilleurs soins disponibles et la peur de faire l’objet de poursuites pénales.
L'avortement sûr est devenu un privilège de riches, tandis que les femmes pauvres n'ont guère d'autre choix que de recourir à des prestataires peu sûrs.
Organisation mondiale de la santé (OMS).
« Malheureusement, nous connaissons tous un ou une collègue qui a été stigmatisé·e, dont l’évolution professionnelle a été entravée, qui a été victime de manœuvres d’intimidation, qui a été attaqué·e physiquement ou emprisonné·e, et, dans certains cas extrêmes, des professionnel·les de la santé ont été tués », s’alarme Anne-Beatrice Kihara, présidente de la Fédération internationale de gynécologie et d’obstétrique (FIGO).
Il est temps que les personnes défendant les droits des femmes soient protégées et pleinement soutenues sur leur lieu de travail.
L’accès à l’avortement est difficile même lorsqu’il est légal
Dans certains pays où le droit à l’avortement est autorisé par la loi, des obstacles demeurent. Un nombre croissant de professionnels de la santé refusent d'orienter les patientes ou de pratiquer des avortements pour des raisons de conscience. Ce sont les « objecteurs de conscience ».
Selon le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de religion et le Comité des droits de l’homme l’existence de ces objecteurs de conscience est préoccupante car cela porte dangereusement atteinte aux droits à la santé et à la vie des femmes, des jeunes filles et de toutes les personnes enceintes. Les conséquences sont d’autant plus graves pour les personnes marginalisées, à faible revenu vivant dans des zones rurales ou des petites villes.
Par exemple, en Italie, où l'avortement volontaire est autorisé jusqu'à 12 semaines de grossesse, 64,6 % de tous les gynécologues sont enregistrés comme "objecteurs de conscience", avec des pics de plus de 84 % dans certaines régions, y compris dans de nombreux hôpitaux qui emploient un personnel 100 % objecteur.
« Je pense qu’il est important que les médecins rendent l’avortement accessible dans les pays où les lois sont restrictives. C’est nous qui fournissons des soins aux femmes les plus pauvres, celles qui sont les plus susceptibles de souffrir. Nous sommes en première ligne des services de santé et nous devons faire partie du mouvement en faveur d’un accès sécurisé à des soins d’avortement. L’avortement est un soin de santé », argue Guillermo Ortíz, obstétricien au Salvador et militant de l’organisation Ipas.
Reconnaître le travail des défenseur·es des droits des femmes
Les personnes qui défendent le droit à l’avortement assurent et favorisent l’accès à des services essentiels. Il est inacceptable qu’elles soient contraintes de le faire dans un environnement hostile. Leur courage devrait être salué, jamais criminalisé !
Le droit à l’avortement n’est pas affaire d’opinion. C’est une question de normes internationales et de règles juridiques internationales.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International
Nous nous mobilisons partout dans le monde aux côtés des défenseur.es du droit à l’avortement pour :
Changer les législations qui le criminalisent et faire respecter celles qui le garantissent.
Protéger les militantes et les militants qui défendent le droit à l’avortement
Sensibiliser aux conséquences positives d’un avortement sûr et légal
Nos demandes
Nous appelons les États du monde entier à remplir leur obligation de protéger le droit à un avortement sûr et légal pour toustes, et à respecter et protéger le droit de toutes les personnes qui défendent le droit à l’avortement. Il est essentiel que les États prennent des mesures décisives et exhaustives. Les États doivent mettre en œuvre les principes clés suivants en vue de protéger les défenseur·e·s et de défendre les droits à l’avortement dans le cadre du respect des droits fondamentaux.
Les défenseur·e·s des droits à l’avortement, y compris les prestataires de soins d’avortement, ont tous le droit de mener leur travail et leurs activités sans subir de préjudices physiques ou psychologiques, sans craindre de subir de tels préjudices et sans discrimination. Ces personnes sont en droit d'être protégées contre les menaces, les intimidations, le harcèlement et/ou les atteintes à leur réputation. Leur droit au respect de leur vie privée et de celle de leurs proches doit également être protégé.
Les défenseur·es des droits à l’avortement, en particulier ceux qui procurent des services de première ligne, ont tous le droit d’effectuer leur travail librement et dans un environnement favorable, et ces personnes doivent pouvoir s’appuyer sur une règlementation qui protège les droits à l’avortement.
Les défenseur·es de l’avortement ont tous le droit de mener toutes les activités nécessaires à la défense des droits en matière de sexualité et de procréation, notamment des droits à l’avortement, et de plaider en faveur de l’élaboration de politiques et de programmes soutenant la mise en œuvre et l’acceptation de ces droits.
Les États ont l’obligation de respecter et protéger le droit dont disposent tous les défenseur·e·s des droits à l’avortement de mener leurs activités légitimes sans crainte de sanctions ou poursuites judiciaires, que ce soit par le biais de fausses accusations ou de lois allant à l’encontre des droits fondamentaux. Les États ont l’obligation de poursuivre au titre de la législation les personnes qui causent du tort à des défenseur·e·s des droits à l’avortement ou qui endommagent leur lieu de travail ou leurs biens.