Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
Des policiers arrêtent un manifestant tenant une pancarte sur laquelle on peut lire « Non à la guerre contre l'Ukraine ! Poutine doit démissionner » lors d'une manifestation contre l'invasion de l'Ukraine par la Russie sur la place Pushkinskaya à Moscou, le 24 février 2022. © Kirill KUDRYAVTSEV / AFP
Russie : La répression des voix antiguerre
Les voix dissidentes en Russie sont réprimées par le pouvoir depuis des années. Mais depuis l’invasion russe en Ukraine, la répression s’est intensifiée. Silenciation des médias, promulgation de nouvelles lois restrictives ou multiplication des peines de prison, la société civile russe est de plus en plus menacée de représailles si elle ose tenir un discours autre que celui du Kremlin. Bien que profondément fragilisée et acculée, les voix dissidentes depuis la Russie et les terres d’exil s’organisent.
Géorgie, Tchétchénie, Syrie ou encore plus récemment en Ukraine : les guerres menées par la Russie s’enchainent et l’histoire semble être condamnée à se répéter, en toute impunité.
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Mais une autre guerre parallèle, certes moins meurtrière mais redoutable, se déroule également à l’intérieur de la Russie. Cette guerre est menée à l’encontre des dissidents qui s’opposent aux attaques de l’armée russes.
Les revendications de défense des droits humains et les luttes pour les libertés semblent avoir été balayés par des décennies de répression menée par l’Etat russe. Depuis plus de quinze ans, les autorités utilisent des lois et des méthodes de plus en plus restrictives pour réduire au silence toute dissidence.
Depuis l’invasion russe en Ukraine déclenchée le 24 février 2022, la répression contre les voix antiguerre s’est intensifiée.
Un arsenal législatif renforcé
Les autorités russes sont adeptes des lois qui restreignent la dissidence et qui sapent les droits fondamentaux de la population : droit à la liberté d’expression, droit à la liberté de réunion pacifique et d’association.
Avec la guerre en Ukraine, la répression s’est vivement accélérée pour empêcher toute possibilité de voix dissonante avec le pouvoir.
Pour preuve flagrante, dès le 4 mars 2022, une loi a été votée de manière expéditive pour censurer ce que les autorités qualifient de « fausses informations » sur les activités de l’armée russe en Ukraine ainsi que toutes les expressions d'opinions critiques à l'égard des autorités russes, de leurs actions et de leurs politiques. Avec cette loi, les personnes qui, selon les autorités russes, propagent de « fausses informations » encourent jusqu’à 15 ans de prison.
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Les personnes critiques à l’égard des autorités s’exposent à toute une série de représailles : des poursuites et détentions arbitraires, de lourdes amendes et peines d’emprisonnement, de violentes agressions perpétrées en toute impunité, etc.
La torture et les autres formes de mauvais traitements sont fréquentes en détention et ces actes restent le plus souvent impunis. La mort tragique de l’opposant politique Alexeï Navalny le 16 février 2024 alors qu’il était détenu dans la colonie pénitentiaire la plus reculée de Russie symbolise la terrible répression des voix dissidentes.
L’impossible manifestation
Cet arsenal législatif est également dirigé à l’encontre des manifestations, les rendant quasi impossibles.
Aujourd’hui en Russie, les personnes qui manifestent s’exposent à de lourdes amendes, à des détentions administratives et à des poursuites pénales. C’est sans compter les nombreuses violences policières qui s’abattent sur eux, en toute impunité.
Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des milliers de manifestant.es qui dénonçaient la guerre ont été arrêtés de manière brutale et arbitraire par les autorités russes. Pour la seule journée du 6 mars 2022, 5 000 personnes ont été arrêtées dans 69 villes russes.
Une presse muselée
Depuis plus de vingt ans, les autorités russes mènent une guerre contre les voix dissidentes en arrêtant des journalistes ou en fermant des salles de rédaction indépendantes.
Le 7 octobre 2006, la journaliste russe Anna Politkovskaïa qui travaillait pour pour le journal indépendant Novaïa Gazeta avait été assassinée devant son domicile. Elle enquêtait sur les crimes commis par la Russie et en particulier sur les exactions commises pendant la guerre de Tchétchénie. Plus de quinze ans après son assassinat, elle reste un emblème de la liberté d’expression bafouée en Russie.
Lors de la couverture des manifestations antiguerre après l’invasion de l’Ukraine, nous avions recensé de nombreux cas d’entrave au travail des journalistes et des observateurs lors des manifestations publiques.
Violences, lourdes amendes, arrestations et détentions sont utilisées à l’encontre des journalistes pour les empêcher de rendre compte de ce mouvement antiguerre qui traverse la société civile russe.
Après la mise en place de la nouvelle loi promulguée à la hâte, le 4 mars 2022, plusieurs journalistes et blogueurs ont été poursuivis pour « diffusion de fausses informations sur les forces armées russes ».
Près de 300 médias sont étiquetés “agents de l’étranger” ou “indésirables”. Un chiffre multiplié par trois depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. (Source : analyse de RSF sur la base des données recensées par l’ONG russe OVD-Info).
Malgré ces menaces qui pèsent sur la liberté de la presse, des journalistes poursuivent leur travail d’information en secret ou en exil.
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Des organisations de défense des droits humains fermées
Les lois répressives visent également des organisations de la société civile, et notamment des groupes de défense des droits humains.
Après 30 ans d’existence, l’ONG Memorial et le Centre Memorial de défense des droits humains ont été dissous en décembre 2021 par la Cour suprême russe. Memorial avait pour cœur de mission de préserver la mémoire des victimes des violations des droits humains durant la période soviétique.
Le 8 avril 2022, c’est au tour de notre bureau, celui de Human Right Watch et de treize autres ONG à être fermés en Russie.
Rien qu'en 2023, 54 organisations et 172 particuliers ont été étiquetés « agents de l’étranger » et 56 organisations ont été classées « indésirables » comme nous le recensions dans notre rapport annuel sur la situation des droits humains. Les organisations classées “indésirables” sont selon les autorités russes des organisations étrangères qui représentent une “menace pour la Russie” et sont empêchées d’exercer la moindre activité sur le territoire russe.
Un endoctrinement jusque dans l’intimité des familles
Une autre méthode des pouvoirs russes pour empêcher toute voix dissidente est de s’infiltrer jusque dans les foyers, menaçant de séparation les enfants des parents qui s’opposent à la guerre.
Cette menace repose sur un système bien organisé et ancré dans les écoles russes. Les écoles et enseignants endoctrinent les élèves avec de faux récits imposés par les autorités mais ce n’est pas tout. Le corps enseignant dénonce directement à la police et aux services de sécurité les enfants et familles qui exprimeraient des opinions divergentes. Une fois repérées et dénoncées, les personnes qui s’opposent à la guerre sont visées par des mesures répressives comme le placement en institution, les arrestations arbitraires, les perquisitions et les poursuites pénales.
Certaines familles russes n’ont d’autre choix que de quitter leur pays pour éviter des poursuites pénales ou une séparation forcée.
La lutte pour la défense des libertés s’organise malgré tout
Des journalistes, défenseurs des droits humains, membres d’ONG et d’associations prennent le chemin de l’exil pour continuer le combat pour la défense des droits humains en Russie.
C’est le cas du militant politique Vladimir Kara-Mourza, condamné à 25 ans de prison avant d'être finalement relâché aux côtés de 15 autres personnes après un échange de prisonniers le 1er août 2024. Depuis l’exil, il cherche à unir les oppositions et à préparer l’après-Poutine.
Même si dissoute en Russie, l’ONG Memorial continue à rendre compte des crimes commis par la Russie depuis ses bureaux à l’étranger. Elle a notamment mené le projet “30 ans avant” dont fait partie l’exposition présentée à Bayeux “Crimes sans châtiment. Trente ans de crimes de guerre de l’État russe”.
Stop à la répression des voix antiguerre !
Malgré les menaces et les lourdes sanctions, la dissidence russe reste debout et continue de manifester sa voix. Montrons aux personnes qui se sont courageusement opposées à la guerre qu’elles ne sont pas seules !
Demandons l’abrogation des lois qui censurent les voix antiguerre et exigeons la libération des personnes emprisonnées pour s’être opposées pacifiquement à la guerre !