Les enfants de parents qui s’opposent à la guerre en Ukraine encourent le risque d’être placés en orphelinat. Voici l’une des méthodes de représailles des autorités russes pour écraser la dissidence. Une forme de répression peu documentée que nous mettons en lumière dans notre nouvelle recherche.
Alexeï Moskaliov est libéré de prison
Après plus d’un an et demi passé derrière les barreaux en Russie, Alexeï Moskaliov a été libéré de prison le 15 octobre 2024.
A sa sortie, il a pu retrouver sa fille Maria Moskaliova qui avait été placée en orphelinat à l’âge de 12 ans à l’issue d’une campagne de persécution à l’égard de sa famille.
Alexeï Moskaliov avait d’abord été condamné à une amende après que la directrice d’école ait dénoncé aux autorités le dessin antiguerre de sa fille. Il avait ensuite été condamné à deux ans d’incarcération pour « discréditation répétée des forces armées russes » à cause de commentaires postés sur les réseaux sociaux.
« Vos enfants iront en orphelinat » c’est le titre de notre recherche qui expose comment les autorités russes instrumentalisent les enfants et leurs familles pour les dissuader de s’opposer à la guerre en Ukraine. Parmi les méthodes employées : endoctrinement via la propagande de guerre, séparation des familles, menaces de retraits des droits parentaux. En Russie, la menace est l'une des armes de répression du Kremlin.
Certaines familles russes n’ont d’autre choix que de quitter leur pays pour éviter des poursuites pénales ou une séparation forcée. Nos équipes de recherches ont rencontré certaines d’entre elles.
Soutenir les russes emprisonnés pour avoir dit non à la guerre
En orphelinat pour un dessin anti-guerre
Varvara (Varia) Galkina a 10 ans. Sur sa photo de profil whats app est affiché un dessin en soutien à l’Ukraine. Le 5 octobre 2022, la petite fille est interrogée par la police à Moscou. La raison de l’interrogatoire : sa photo whats app et surtout, l'absence de Varvara à un cours organisé par l'école qui avait pour but d'endoctriner les enfants et auquel Varvara ne s'était pas rendue. Résultat : perquisition du domicile et menaces directes à sa mère, Elena Jolicoeur.
Dessin du compte whatsapp de Varvana représentant une fille tenant une arme antichar, le Javelin, avec le slogan ukrainien signifiant « Gloire à l'Ukraine »
La répression des autorités russes se déploie : Elena est obligée de participer à un programme de « prévention » pour les « parents qui ne remplissent pas correctement leurs devoirs ». Elena fait alors le choix de fuir la Russie avec ses deux filles, craignant d’être à nouveau persécutée.
Elena Jolicoeur (à gauche), la mère de Varya, 10 ans (à droite). Elles demandent aujourd'hui l'asile au Royaume-Uni / © Amnesty International
Je ne veux pas que ma fille vive une double vie et prétende qu’elle est d’accord avec le gouvernement et qu’elle soutient la guerre
Elena Jolicoeur, en exil suite aux pressions des autorités russes sur sa famille
Maria Moskaliova a 12 ans. Dans son école à Efremov, en Russie centrale, elle fait un dessin hostile à la guerre alors qu'il lui avait été donné pour consigne par son école de faire un dessin en soutien aux troupes russes en Ukraine. L’administration scolaire fait immédiatement un signalement à la police. Le père et la fille sont ensuite tous deux immédiatement arrêtés. Son père, Alexeï Moskaliov, qui l’élève seul, est condamné à une amende pour le dessin de sa fille.
Dessin de Maria signalé par l'administration de l'école et qui a valu à son père une amende suivie d'une arrestation
Le père de la jeune fille est ensuite condamné à une peine de deux ans d’incarcération pour « discréditation répétée des forces armées russes » à cause de commentaires postés sur les réseaux sociaux. A la suite de cette campagne de silenciation des voix anti-guerre de la famille Moskaliova, la jeune fille de 12 ans est séparée de son père et placée dans un orphelinat. Après un tollé général, elle a finalement été autorisée à vivre avec d’autres membres de sa famille mais Maria est toujours séparée de son père. De force.
Dans cette Russie, si vous êtes mineur et que vous n’êtes pas d’accord avec le gouvernement, la police, les tribunaux et même les écoles représentent une menace immédiate
Oleg Kozlovski, chercheur sur la Russie à Amnesty International
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Les écoles endoctrinent les enfants
En visant des mineurs, les autorités russes viennent cibler l’éducation. Les écoles et les enseignants sont utilisés par le Kremlin comme des outils à part entière de leur stratégie répressive et d’ingérence arbitraire. Notre recherche démontre que les écoles endoctrinent les enfants avec de faux récits imposés par le gouvernement. Un système bien organisé puisque le corps enseignant dénonce directement à la police et aux services de sécurité les enfants et familles qui exprimeraient des opinions divergentes. Une fois repérées et dénoncées, les personnes qui s’opposent à la guerre sont visées par des mesures répressives comme le placement en institution, les arrestations arbitraires, les perquisitions et les poursuites pénales.
Un risque, même lointain, de telles représailles est une perspective suffisamment effrayante pour en dissuader beaucoup de s’exprimer.
Oleg Kozlovski, chercheur sur la Russie à Amnesty International
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Ces mesures ont de graves conséquences sur la santé psychologique et physique des enfants, qui souffrent notamment de troubles liés au stress et aux traumatismes causés par ces menaces. Les familles doivent aussi faire face à des répercussions financières, ce qui entraîne des difficultés économiques et peut perturber l’éducation des enfants.
En Russie, les personnes prises pour cible pour avoir affiché leur opinion contre la guerre se comptent par milliers. Nous sommes à leurs côtés, pour soutenir leur combat, que le Kremlin ne pourra étouffer. Nous appelons les autorités russes à cesser de supprimer les droits parentaux et à cesser de placer des enfants sous la tutelle de l’État pour les punir d’avoir manifesté ou exercé leurs droits.
Stop à la répression des voix antiguerre en Russie
Toute personne qui s’oppose pacifiquement à la guerre s’expose à de lourdes peines de prison en Russie. Soutenons leur voix et manifestons-nous pour la criminalisation des voix antiguerre cesse !