La coupe du monde 2034 aura bien lieu en Arabie saoudite. Cette confirmation de la FIFA menace les droits humains, le royaume saoudien n’ayant entrepris aucune réforme d’envergure pour atténuer les risques graves d’exploitation, de discrimination et de répression.
La confirmation de la Fédération Internationale de football association (FIFA), lors de son Congrès extraordinaire du 11 décembre 2024, de désigner l’Arabie saoudite comme pays hôte de la Coupe du monde de football 2034 soulève de grandes inquiétudes. À chaque étape de son processus d’appel d’offres, la FIFA a montré que son engagement en faveur des droits humains n’était qu’une imposture.
La décision irresponsable de la FIFA d’attribuer la Coupe du monde 2034 à l’Arabie saoudite sans s’assurer que des protections adéquates en matière de droits humains sont en place mettra de nombreuses vies en péril. La FIFA risque de porter une lourde responsabilité pour de nombreuses atteintes aux droits humains qui seront associées à l’événement.
Steve Cockburn, responsable du programme Droits du travail et Sport d’Amnesty International
Sur la base de preuves manifestes à ce jour, la FIFA sait que les travailleurs et travailleuses seront exploités et risqueront même leur vie si des réformes de fond ne sont pas entreprises en Arabie saoudite ; pourtant, elle choisit de donner suite. Nous avons à de maintes reprises alerté la FIFA sur le caractère biaisé de son processus d’appel d’offre et sur le fait que des risques importants en matière de droits humains n’avaient pas été pris en compte. Le manque de consultation des organisations de droits humains, l’incapacité de la fédération à indemniser les travailleurs migrants exploités lors de la précédente coupe du monde organisée au Qatar confirme par ailleurs qu’elle n’a pas tiré les leçons qui s’imposent. La FIFA doit d’urgence changer de cap et veiller à ce que la Coupe du monde s’accompagne de réformes d’envergure en Arabie saoudite, sous peine de voir son tournoi phare terni par une décennie d’exploitation, de discrimination et de répression.
Nous, les travailleurs et travailleuses migrants, subissons l’exploitation de plein fouet et notre vulnérabilité est souvent ignorée. Nos vies comptent – nous craignons pour la vie de milliers de nos frères et sœurs migrants qui sont en danger. La FIFA ne doit pas fermer les yeux ; la vie des migrants exige obligation de rendre des comptes et justice.
Bhim Shrestha, cofondateur de Shramik Sanjal, un réseau dirigé par des travailleurs migrants basé au Népal, co-signataire d’une déclaration conjointe de 21 organisations, dont Amnesty International.
Un coût humain prévisible
Le dossier de candidature de l’Arabie saoudite pour la Coupe du monde de 2034 prévoit de construire ou rénover 11 stades, plus de 185 000 chambres d’hôtel supplémentaires et de grands projets d’infrastructure allant des liaisons de transport à la création de nouvelles villes. L’Arabie saoudite aura besoin d’un très grand nombre de travailleurs et travailleuses migrants pour réaliser ses ambitions. Or, le royaume n’a toujours pas pris d’engagement pour réformer le système de parrainage (kafala) qui exploite les travailleurs dans le pays, pour fixer un salaire minimum pour les non-citoyens, et les autoriser à adhérer à des syndicats ou adopter de nouvelles mesures visant à prévenir les décès au travail.
Malgré les énormes projets d’infrastructure prévus, aucune nouvelle mesure visant à protéger ou indemniser les victimes d’expulsions forcées n’a été envisagé. De même, les questions liées à la discrimination à l’égard des femmes, à la criminalisation des relations extraconjugales et homosexuelles, ou le besoin de protéger les supporters et les résidents LGBTI contre les violations, voire les arrestations, n’ont pas été abordés.
L’attribution de la Coupe du monde 2034 à l’Arabie saoudite sans obtenir de garanties crédibles concernant des réformes aura un coût humain réel et prévisible. Les supporters seront victimes de discrimination, des résidents seront expulsés de force, des travailleurs·euses migrants seront exploités et beaucoup mourront.
Steve Cockburn, responsable du programme Droits du travail et Sport d’Amnesty International.
Procédure biaisée de la FIFA
La FIFA a introduit pour la première fois des critères relatifs aux droits humains dans son processus de sélection pour la Coupe du monde masculine de 2026, à la suite des controverses suscitées par la sélection de la Russie en 2018 et du Qatar en 2022.
En octobre 2023, la FIFA a confirmé que les candidatures pour les Coupes du monde de 2030 et 2034 doivent démontrer qu’elles respectent un éventail de normes relatives aux droits humains, notamment en matière de droits du travail, de liberté d’expression et de discrimination, et que ces critères constituent des « obligations pleinement contraignantes ». Pourtant, la FIFA a sapé son pouvoir de levier quant aux réformes en matière de droits humains en donnant suite à une procédure qui ne présente qu’une seule candidature pour chaque tournoi. En octobre 2024, elle a également annoncé que les associations de football ne pourront pas voter pour chaque candidature séparément, mais devront approuver ou rejeter les deux en bloc.
Par ailleurs, il semble même que la FIFA ait contribué à favoriser la stratégie très insuffisante de l’Arabie saoudite en acceptant de limiter fortement la portée de l’évaluation des risques en matière de droits humains réalisée par le cabinet d’avocats britannique AS&H Clifford Chance, qui a omis des questions clés s’agissant notamment de la liberté d’expression, de la discrimination vis-à-vis des personnes LGBTI et des expulsions forcées. Interpellée par notre organisation, la FIFA n’a pas répondu à la question de savoir sur quelle base elle avait pris cette décision, tandis que le cabinet de conseil s’est contenté de déclarer qu’il serait « inapproprié » de faire d’autres commentaires.
Risques mortels
Régulièrement en contact avec des travailleurs et travailleuses qui vivent des situations terribles en Arabie saoudite, l’ancienne employée de maison Martha Waithira, qui enquête désormais pour l’ONG Equidem, tire la sonnette d’alarme sur le désastre annoncé d’un accueil par le royaume saoudien du plus grand évènement sportif mondial :
En tant qu’ancienne employée de maison en Arabie Saoudite, je sais que les femmes comme moi sont souvent traitées comme des esclaves. Les centaines de milliers de personnes qui devraient arriver en Arabie saoudite pour construire les stades et nettoyer les hôtels avant la Coupe du monde risquent d’être gravement exploitées, et risquent même de mourir. Comment ces réalités ont-elles pu échapper à l’attention d’AS&H Clifford Chance ?
Voir : Documentaire - Coupe du monde 2022 : les exploités du Qatar
Le royaume de la répression
Depuis l’arrivée au pouvoir du prince héritier Mohamed Ben Salmane, la situation des droits humains s’est considérablement détériorée. Nous avons recensé l’ensemble de ces violations dans un rapport intitulé « Arabie saoudite : royaume de la répression » publié en 2024. La population saoudienne est soumise à une répression sans précédent de la liberté d’expression, des activités ou féministes sont condamnées à de lourdes peines de prison pour avoir émis des critiques envers les autorités sur les réseaux sociaux. Les exécutions, prononcées pour un vaste éventail d’infractions, ont atteint un niveau record en 2022 des niveaux records : 196 personnes ont été exécutées en 2022, 172 personnes en 2023.
Campagne de blanchiment d’image
En 2017, le ministère saoudien de l’Information a lancé une campagne mondiale « pour promouvoir le nouveau visage de l’Arabie saoudite auprès du reste du monde et améliorer la perception internationale du royaume. » Dans les terrains massivement investis : le sport où le royaume a dépensé des milliards de dollars. Parmi les célébrités accueillies dans le royaume, Cristiano Ronaldo. Le joueur de football portugais a signé un contrat avec l’Arabie saoudite pour jouer au club Al Nassr. Une campagne de blanchiment d’image pour donner l’illusion d’un pays transformé. L’un des objectifs : détourner le regard d’un bilan calamiteux en matière de droits humains.
Lire aussi : Acheter le silence du monde avec une campagne de blanchiment d’image
Le sportwashing a ses limites. Pour accueillir la Coupe du monde sans donner lieu à des violations massives des droits humains, l’Arabie saoudite doit procéder à de profondes réformes.
Sans réformes et sans prise en considération par la FIFA des risques de violations des droits humains en Arabie saoudite, des opposants seront arrêtés, des femmes et des personnes LGBT seront victimes de discrimination, des travailleurs seront exploités à grande échelle. La FIFA doit s’efforcer d’obtenir une évaluation digne de ce nom et une véritable stratégie en matière de droits humains, faute de quoi sa compétition phare sera ternie par de graves violations. La balle est dans leur camp.
*Liste des ONGs pointant la défaillance de l'évaluation indépendante concernant les droits humains sur la candidature de l’Arabie saoudite pour la Coupe du Monde 2034
ALQST for Human Rights
Amnesty International
Centre du Golfe pour les droits humains (GCHR)
Equidem
FairSquare
Football Supporters Europe
Human Rights Watch
Internationale des Travailleurs du Bâtiment et du Bois (IBB)
Middle East Democracy Center
Migrant-Rights.org
The Army of Survivors
Une Saoudienne en prison pour des tweets
Manahel al Otaibi, professeure de fitness de 29 ans, a été arrêtée à la suite d'une publication sur les réseaux sociaux de photos d'elle sans abaya dans un centre commercial.
Elle a été condamnée à 11 ans de prison par les autorités qui ont jugé sa tenue d' «indécente». Une condamnation ubuesque qui illustre le niveau de répression du régime saoudien. Signez notre pétition pour sa libération !