Les manifestations qui ont gagné le Pérou depuis décembre 2022 sont violemment réprimées par les forces de sécurité. Au moins 48 personnes ont été tuées depuis le début des manifestations, dont des mineurs. On compte plus de 1200 blessés. Le point sur la situation.
L’armée et la police péruvienne ont utilisé illégalement et sans discernement des armes meurtrières et autres armes à létalité réduite contre la population dans le cadre des manifestations qui ont démarré le 7 décembre 2022. Nous dénonçons également les attaques généralisées et le racisme systémique envers la population autochtone et paysanne, principale cible de la répression. Sur la base de notre travail de recherche, mené par la mission d'enquête envoyée sur le terrain en janvier, nous dénonçons aujourd’hui de graves violations des droits humains.
Le ministère de la justice péruvienne a déclaré le 18 février dans un communiqué qu’'il « n'existait au Pérou ni une politique de violation massive et systématique des droits de l'Homme, ni ce qui a été qualifié de 'racisme systémique' dans les actions des différentes autorités». Nos recherches attestent que ces déclarations sont fausses.
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Comprendre les manifestations au Pérou
Le Pérou traverse une crise politique de longue date qui s’est intensifiée au début du mois de décembre par des actions de protestation contre le nouveau gouvernement. Les manifestations en cours dans le pays font suite à la destitution de l’ancien président Pedro Castillo qui avait tenté de dissoudre le Congrès national, le 7 décembre. Le Tribunal constitutionnel et le Congrès ont rejeté cette décision, et Pedro Castillo a été arrêté le jour même. En signe de protestation contre le Congrès et les nouvelles forces politiques en place, des mobilisations se sont répandues dans tout le pays.
Des morts et des blessés
Depuis le début des manifestations le 7 décembre, au moins 48 personnes ont été tuées, dont des mineurs : Romario Quispe Garfias, 18 ans, et un autre garçon âgé de 15 ans ont été tués le 11 décembre dans la ville de Andahuaylas.
Majoritairement pacifiques, les manifestations ont été émaillées par quelques épisodes de violence ciblée de la part de certains manifestants, comme des jets de pierre avec des lance-pierres artisanaux et des feux d’artifice. Les éléments recueillis montrent toutefois que la police et l'armée ont tiré des balles aveugles et parfois dirigées contre des cibles concrètes, tuant ou blessant des passants, des manifestants et des personnes qui ont porté secours à des blessés.
Les autorités péruviennes ont permis, pendant plus de deux mois, que l'usage excessif et meurtrier de la force soit la seule réponse du gouvernement face aux doléances de milliers de communautés qui réclament aujourd'hui la dignité et un système politique qui garantisse leurs droits humains.
Erika Guevara-Rosas, directrice de la région Amériques à Amnesty International
Nous avons pu vérifier des images montrant des policiers tirant des grenades lacrymogènes directement et à faible distance sur des manifestants sur la place centrale de Lima. Nous rappelons que la force ne doit être utilisée que lorsque cela est strictement nécessaire et de façon proportionnée. Face à des actes de violence, les forces de l’ordre doivent réagir de façon individualisée contre les responsables des troubles et des agissements qui mettent en danger la vie ou l’intégrité d’autrui.
Voir : Reportage - Colombie, au coeur des manifestations
Lire aussi : Chili, des violences policières en toute impunité
Aujourd'hui, partout dans le monde, le droit de manifester est menacé. La répression violente au Pérou et la répression sanglante en Iran n'en sont que les derniers exemples. De trop nombreux États mettent en œuvre un large éventail de mesures pour réprimer les manifestations.
Population autochtone : première cible
Nos enquêtes sur le terrain ont permis de constater que le nombre de décès liés à la répression gouvernementale est concentré dans les régions où la majorité de la population est autochtone. Depuis le début des manifestations, 80% des décès ont été enregistrés dans des départements où les habitants sont majoritairement autochtones alors qu’ils ne représentent que 13% de la population totale du Pérou. Les autorités ont fait subir des préjugés racistes très marqués. Une forme d’acharnement exercée contre ces populations déjà largement discriminées dans l’histoire du pays.
Le racisme systémique, enraciné dans la société péruvienne et au sein de ses institutions depuis des décennies, a été le moteur de la violence exercée comme sanction contre les communautés qui ont élevé la voix.
Erika Guevara Rosas, directrice de la région Amériques à Amnesty International
Les manifestants diabolisés
Les autorités péruviennes, même au plus haut niveau, tiennent un discours stigmatisant à l’égard des personnes qui manifestent. Elles affirment, sans preuve, que leur action est liée au « terrorisme » et à des groupes criminels. L’objectif de ces discours étant de décrédibiliser les revendications des manifestants et de justifier les atteintes à leurs droits fondamentaux.
Or, les manifestants péruviens qui descendent dans la rue se battent, résistent, défendent des idées et protestent pour leurs droits. Leur droit de manifester doit être protégé et non réprimé.
Besoin d'enquêtes indépendantes
Près de deux mois après le début des manifestations, les expertises ou le recueil de témoignages, n'ont toujours pas été accomplis par les organismes juridiques compétents.
Cette répression contre les manifestants et des manifestantes appelle à une intervention rapide, impartiale et efficace des instances compétentes et spécialisées en vue d’enquêter sur les faits, d’identifier les responsables et de les amener à rendre des comptes dans le cadre d’une procédure régulière.
Retarder et négliger ce travail crucial contribue à créer un climat d'impunité qui ne fait que favoriser de tels actes.
Marina Navarro, directrice exécutive d'Amnesty International Pérou
Nous réitérons notre appel à la présidente par intérim, Dina Boluarte, et aux autres représentants de l'État pour qu'ils mettent fin à la répression ; qu'ils répondent aux demandes légitimes des manifestants ; et qu'ils s'assurent que l'État s'acquitte de son obligation d'enquêter sur toutes les violations des droits humains commises par les forces de sécurité, et de traduire en justice les responsables présumés.
Interpeller la présidente Dina Boluarte pour lui demander de mettre fin à cette répression. 👇
Madame la Présidente,
Je vous écris afin de vous faire part de la profonde inquiétude que m’inspire la mort de 18 personnes lors de manifestations dans la ville de Juliaca (département de Puno) au Pérou, le 9 janvier 2023. Je déplore par ailleurs que des dizaines d’autres personnes aient été blessées ce jour-là. Ces homicides viennent alourdir un bilan déjà alarmant, puisqu’au moins 40 personnes ont été tuées depuis le début de la crise politique au Pérou le 7 décembre 2022 et dans le contexte de la répression des manifestations. Le gouvernement s’en est pris à des personnes ayant exprimé leur mécontentement face à la crise, en déployant la police nationale et les forces armées durant les manifestations à travers le pays et en recourant à la force de manière excessive contre les manifestant·e·s. Selon les normes internationales relatives aux droits humains portant sur le recours à la force, celle-ci ne doit être utilisée contre des manifestant·e·s que si cela est strictement nécessaire et proportionné, et dans un but légitime. Tout recours à la force doit ensuite donner lieu à un processus de reddition de comptes. Je vous exhorte à essayer de nouer le dialogue et à mettre immédiatement fin à toutes les formes d’utilisation illégale de la force par les forces de sécurité, notamment en faisant cesser tout recours excessif à la force contre les manifestant·e·s. Je vous demande aussi d’utiliser toutes les ressources à votre disposition afin de protéger la vie et l’intégrité des personnes blessées, de fournir le soutien nécessaire aux familles de victimes, et de collaborer avec les services concernés de sorte à mener dans les meilleurs délais une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur les allégations de violation des droits humains dans le contexte de la crise actuelle.
Veuillez agréer, Madame la Présidente, l’expression de ma haute considération
Par email : dboluarte@presidencia.gob.pe
Par voie postale :
Dina Ercilia Boluarte Zegarra
Jr. De la Unión S/N, cuadra uno Lima
Lima 15001, Pérou
MANIFESTEZ-VOUS
Partout dans le monde, le droit de manifester est menacé. Défendons-le.