Parler librement ou exercer simplement son travail de journaliste est devenu très difficile en Russie. Depuis plusieurs années, les autorités accentuent leur répression contre les médias et contre celles et ceux qui défendent les libertés. Une parole libre est-elle encore possible en Russie ?
Le sujet des libertés fondamentales en Russie revient au cœur de l’actualité.
Le 7 octobre 2021 marquait les 15 ans de l'assassinat d’Anna Politkovskaïa, grande journaliste russe et éminente défenseure des droits humains. Le lendemain, le 8 octobre 2021, Dmitri Mouratov, rédacteur en chef du journal russe d’investigation Novaïa Gazeta a reçu le prix Nobel de la paix. Deux semaines après, le 20 octobre, le Parlement européen remettait le prix Sakharov à Alexeï Navalny en saluant l’ « immense courage » du militant politique russe. Le même jour, nous organisions avec d’autres associations une conférence exceptionnelle à l’Hôtel de ville de Paris, en hommage à toutes ces personnes qui se battent pour la liberté d’expression en Russie. Le 11 novembre, des procureurs russes ont demandé la liquidation judiciaire de Memorial, l’une des organisations de défense des droits humains les plus anciennes et les plus respectées de Russie.
Plus que jamais, nous devons soutenir les voix indépendantes que les autorités russes cherchent à réduire au silence, par tous les moyens.
L’impossibilité de se taire
Pour les journalistes indépendants, la situation en Russie est de plus en plus difficile. Pour autant, malgré les menaces et les dangers, ils poursuivent leur travail. Le livre « lls font vivre le journalisme en Russie », dont nous sommes partenaires, présente les portraits de 15 journalistes russes qui continuent d’enquêter, d’informer, d’alerter.
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Des hommes et des femmes courageux qui évoquent leur crainte et leur espoir. Bien qu’ils tentent de continuer leur travail de journalistes, aucun d’eux ne sait pour combien de temps encore ni quelle sera demain la situation de la liberté de la presse en Russie. Une chose est sûre : ils ne se tairont pas.
« Je continuerai d’enquêter, tant que je le peux »
Elena Milachina, journaliste d’investigation au journal Novaïa Gazeta nous a fait l’honneur de témoigner depuis Moscou lors de la conférence à l’Hôtel de ville de Paris. Elle a notamment enquêté sur des crimes commis en Tchétchénie. Pour cela, elle a été prise pour cible à de nombreuses reprises et a fait l'objet de menaces de mort, d'intimidation et d’agressions physiques.
Cela fait 24 ans que je suis journaliste. J’ai commencé quand la Russie était un pays libre. Cette liberté n’a pas duré longtemps. Elle s’est terminée quand Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir.
Elena Milachina, journaliste à Novaïa Gazeta
Le témoignage de cette journaliste est une véritable leçon de courage. Malgré les menaces qu’elle subit, elle poursuit ses enquêtes. Si informer a un coût, se taire n'est pas envisageable.
Le journal d’Elena Milachina, c’est Novaïa Gazeta, le même que celui d’Anna Politkovskaïa et le même que Dmitri Mouratov, prix Nobel de la paix 2021.
Malgré le prix Nobel, les autorités pourraient très bien clore notre journal d’un jour à l’autre. Rejoindre Novaïa Gazeta est le choix le plus important de ma vie. Je continuerai d’enquêter, tant que je le peux.
Elena Milachina, journaliste à Novaïa Gazeta
Les journalistes classés « agents de l’étranger »
Le pouvoir russe classe de nombreux journalistes d' «agents de l’étranger». En décembre 2020, des modifications draconiennes de la législation ont été adoptées, permettant de désigner comme tel le personnel des ONG, les groupes non déclarés et les particuliers. Ces dispositions sont de plus en plus utilisée de façon abusive, pour faire taire les voix critiques.
En nous déclarant "agents de l’étranger", le Kremlin vise à nous exclure et à nous empêcher de faire notre travail en toute liberté.
Témoignages de journalistes russes extraits d’une vidéo de Reporters Sans Frontières.
La journaliste Elena Milachina explique les conséquences de cette qualification : « Cette étiquette met une croix sur les possibilités de travailler correctement. Vous subissez des contraintes administratives, financières et risquez des condamnations pénales. »
Alexeï Navalny reçoit le prix Sakharov
Depuis le 2 février 2021, Alexeï Navalny, l’un des principaux opposants à Vladimir Poutine, est en prison. Une décision arbitraire et motivée politiquement. En octobre, le Parlement européen lui a attribué le prix Sakharov. C'est sa fille de 20 ans, Daria Navalnaya, qui a reçu le 15 décembre à Strasbourg le prix Sakharov, au nom de son père, encore en prison. Nous espérons que ce prix aidera à sa sécurité et surtout, permettra qu’il soit enfin libéré.
4 choses à faire pour appeler à la libération d’Alexeï Navalny
Un ouvrier recouvre un graffiti représentant Alexeï Navalny, à Saint-Petersbourg, le 28 avril 2021 / © Olga Maltseva - AFP via Getty images
Lors de notre conférence organisée en partenariat avec d’autres associations, les lettres de prison d’Alexeï Navalny ont été lues par le comédien Mathieu Amalric. Dans une salle plongée dans le noir, nous avons entendus ses mots, courageux :
Salut, c’est Navalny. Il m’est de plus en plus difficile de mesurer ce qui se passe réellement de votre côté, hors des murs de ma cellule. Mon avocat m’a raconté les rassemblements d’hier. Deux sentiments débordent en moi : la fierté et l’espoir.
Extraits des lettres de prison d'Alexeï Navalny, 22 avril 2021
Même du fond de sa cellule, la voix d’Alexeï Navalny continuera d’exister.
Depuis sa prison, il a félicité les prix Nobel de la paix Dmitri Mouratov et Maria Ressa : « C’est une récompense hautement méritée. Plus que jamais, nous avons besoin d’un journalisme qui n’a pas peur de dire la vérité. » Des mots forts, qui dans ce contexte de répression, soulignent à quel point l’information est clé.
L'ong MEMORIAL menacée de fermeture
Cela fait plus de 30 ans que l’ONG russe existe. Le 8 novembre, le bureau du procureur a demandé la liquidation de Memorial. L'ONG est accusée de «glorifier le terrorisme et l’extrémisme» et de violer la loi sur les «agents de l’étranger ». En s’attaquant à Memorial, les autorités russes montrent leur détermination à mettre fin au travail de défense des droits humains en Russie.
Memorial compte parmi les organisations de défense des droits humains les plus anciennes et les plus respectées de Russie. Son travail a débuté en 1988 pendant la vague de réformes de la perestroïka. L'ONG russe a compilé la plus grande base de données sur les victimes de persécutions politiques de l'ère soviétique. Elle comprend plus de trois millions de personnes. Son centre de défense a permis qu’une centaine d'affaires soient soumises à la Cour européenne des droits de l'homme. Des audiences sont en cours pour statuer sur la fermeture de Memorial. Nos équipes les suivent de près. Nous apportons notre soutien le plus total à Memorial et appelons les autorités russes à mettre fin aux représailles à l’encontre de Memorial.
Un blizzard souffle aujourd’hui sur les libertés fondamentales en Russie. Il est de notre devoir, avec les autres organisations de porter haut la défense des libertés fondamentales dans un pays où elles sont de plus en plus bafouées. Une autre mission, essentielle, est de lutter contre l’oubli. En Russie, l’impunité perdure. Plus que jamais, nous continuerons d’alerter sur la situation des droits humains en Russie et de soutenir celles et ceux qui défendent les libertés.
UNE ARTISTE RUSSE RISQUE 6 ANS DE PRISON POUR DES DESSINS
Ioulia Tsvetkova, une artiste de 27 ans est poursuivie par les autorités russes pour ses dessins de corps nus et de vulves.
Son procès est en cours, soutenez-la !