Depuis son arrivée au pouvoir, le prince héritier et Premier ministre Mohammed bin Salman (MBS) a étouffé toute forme de dissidence au sein du pays, tout en investissant de considérables moyens financiers à la réhabilitation de l’image du royaume à l’étranger, une image qui a été gravement entamée en 2018 par le violent homicide perpétré contre Jamal Khashoggi, journaliste saoudien dissident.
Toutefois, depuis 2021, de plus en plus de joueurs et joueuses de football, de stars de la musique et d’influenceurs et influenceuses des réseaux sociaux affluent au royaume pour assister à de prestigieux événements, sur des sites touristiques dans le désert ou dans d’immenses ensembles immobiliers. Le but : émerveiller et faire oublier la répression qui s’intensifie constamment. Explications.
Depuis que Mohammed bin Salman, le prince héritier d’Arabie saoudite, est arrivé au pouvoir, les autorités dépensent des milliards de dollars dans une campagne de réhabilitation de l’image du pays, afin de blanchir la réputation de l’Arabie saoudite sur la scène internationale. Le gouvernement saoudien investit massivement dans le sport, le commerce et le divertissement, afin de détourner le regard du monde de son bilan calamiteux en matière de droits humains. Des célébrités et des athlètes sont accueillis en Arabie saoudite pour donner l’image d’un pays prestigieux et transformé. Cette image minutieusement façonnée est loin de refléter la réalité.
Depuis l’arrivée au pouvoir du prince héritier, la situation en matière de droits humains s’est considérablement détériorée. La population saoudienne est soumise à une répression sans précédent de la liberté d’expression, de lourdes peines de prison étant notamment prononcées pour des commentaires critiques sur les réseaux sociaux. Les exécutions, prononcées pour un vaste éventail d’infractions, atteignent des niveaux records.
Et maintenant, un projet de code pénal menace de renforcer ces graves violations des droits humains.
Tolérance zéro pour la critique
Les autorités saoudiennes ont adopté une politique de tolérance zéro vis-à-vis des critiques, aussi inoffensives soient-elles. Elles ont fait fermer tous les groupes de défense des droits humains, faisant disparaître toute forme de société civile indépendante dans le royaume.
Des personnes en Arabie saoudite sont condamnées à des peines parmi les plus sévères que nous ayons jamais recensées dans le pays pour des motifs liés à leur liberté d’expression, alors que d’autres ont même été condamnées à mort.
Salma al Shehab, doctorante et mère de deux enfants, arrêtée alors qu’elle était revenue du Royaume-Uni où elle faisait ses études pour une visite en Arabie saoudite, purge actuellement une peine de 27 ans d’emprisonnement, pour des publications sur X (anciennement Twitter) soutenant les droits des femmes.
Mohammad al Ghamdi a été condamné à mort en juillet 2023 pour avoir critiqué les autorités sur X (anciennement Twitter), où son compte n’était suivi que par dix personnes en tout, ainsi que sur YouTube.
De nombreuses affaires liées à la liberté d’expression sont jugées par le tristement célèbre Tribunal pénal spécial, conçu pour juger les infractions liées au terrorisme, mais qui est utilisé comme arme pour museler la dissidence. Ce tribunal prononce de lourdes condamnations à l’issue de procès d’une iniquité flagrante contre des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s, des journalistes, des dignitaires religieux et des personnes ordinaires.
Les autorités saoudiennes sont connues pour réduire au silence les personnes qui les critiquent. En 2018, le journaliste et dissident Jamal Khashoggi a été tué au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, ce qui avait provoqué une levée de boucliers dans le monde entier contre le gouvernement saoudien.
Cinq courageux Saoudiens et Saoudiennes emprisonnés pour avoir réclamé le changement dans leur pays
Manahel Al Otaibi
Professeure de fitness et militante des droits des femmes. Elle a été soumise à une disparition forcée après avoir été placée en détention en raison de ses tweets en faveur des droits des femmes et pour avoir publié des photos d’elle sans abaya (une tunique traditionnelle à manches longues et à la coupe ample).
Salma Al Shehab
Doctorante et mère de deux enfants. Elle purge, depuis janvier 2023, une peine de 27 ans d’emprisonnement, qui sera suivie d’une interdiction de quitter le pays pendant 27 ans, pour des tweets soutenant les droits des femmes.
Mohammad al Ghamdi
Enseignant à la retraite. Il a été condamné à mort en juillet 2023 pour avoir critiqué les politiques du gouvernement sur X (anciennement Twitter), où son compte n’était suivi que par dix personnes, et pour avoir suivi des comptes critiquant le gouvernement sur YouTube.
Mohammed Al Qahtani
Défenseur des droits humains. Il a été condamné à 10 ans d’emprisonnement en 2013 pour avoir cofondé une organisation de défense des droits humains et pour son militantisme et son travail en faveur des droits humains. Il est toujours détenu et soumis à une disparition forcée, bien qu’il ait purgé la totalité de sa peine.
Abdulrahman Al Sadhan
Employé humanitaire du Croissant-Rouge. Il est emprisonné depuis mars 2018 et est actuellement soumis à une disparition forcée. En avril 2020, il a été condamné à une peine de 20 ans d’emprisonnement, qui sera suivie d’une interdiction de quitter le pays pendant 20 ans, pour ses tweets satiriques.
Acheter le silence du monde avec une campagne de blanchiment d’image
En 2017, le ministère saoudien de l’Information a annoncé le lancement d’une campagne mondiale « pour promouvoir le nouveau visage de l’Arabie saoudite auprès du reste du monde et améliorer la perception internationale du royaume ».
Des experts des relations publiques ont été engagés pour afficher une illusion de progrès et de réformes et contrer les couvertures médiatiques négatives du pays. Le fonds souverain de l’Arabie saoudite, le Fonds public d’investissement présidé par le prince héritier Mohammed bin Salman, s’est imposé dans les secteurs du divertissement, du sport et de la technologie à hauteur de plusieurs milliards de dollars.
Des personnalités du monde des affaires, du sport et du divertissement se sont précipitées pour tirer profit de la manne financière que représente l’Arabie saoudite. Oubliant les condamnations formulées précédemment concernant les droits humains, des dirigeant·e·s mondiaux ont déroulé le tapis rouge au prince héritier.
Dans le même temps, la situation des droits humains dans le royaume s’est détériorée de manière exponentielle. Dans le sillage de leur politique de tolérance zéro envers la critique, les autorités saoudiennes ont exécuté 196 personnes en 2022, et au moins 172 personnes en 2023, malgré les promesses des autorités saoudiennes de limiter leur recours à la peine de mort. Le chiffre de 2022 représente le nombre annuel le plus élevé d’exécutions enregistré par nos équipes de recherche dans le pays au cours des 30 dernières années.
En ce moment même, au moins sept jeunes hommes, condamnés à mort pour des infractions présumées commises lorsqu’ils étaient mineurs, risquent à tout moment d’être exécutés. L’un d’eux avait 12 ans au moment de l’infraction présumée pour laquelle il a été condamné.
Même si les autorités saoudiennes ont publiquement promis de limiter l’application de la peine de mort, l’Arabie saoudite a exécuté 196 personnes en 2022 : c’est le nombre annuel d’exécutions le plus élevé qu’ait recensé Amnesty International au sein de ce pays depuis 30 ans. Ce chiffre est trois fois supérieur au nombre de personnes exécutées en 2021 et sept fois supérieur aux chiffres de 2020.
Un « manifeste pour la répression »
En février 2021, le prince héritier Mohammed bin Salman a annoncé un ensemble de réformes législatives en vue de « préserver les droits, protéger les droits humains et renforcer les principes de justice ». Ces réformes comprenaient le premier ensemble de lois pénales définissant les infractions et sanctions dans le pays. Pour l’instant, en l’absence de code pénal, les juges peuvent définir les infractions et prononcer des condamnations à leur discrétion, sans s’appuyer sur un quelconque texte juridique, ce qui entraîne des différences dans les sanctions imposées pour une même infraction.
Un projet de code pénal, qui a fuité sur Internet en juillet 2022, semble présenter une tout autre situation. Notre analyse montre qu’il s’agit en réalité d’un manifeste pour la répression Voici ce qu’il prévoit :
👉 il codifie le recours à la peine de mort comme peine principale pour un vaste éventail d’infractions, qui ne sont pas limitées aux homicides volontaires comme le prévoient les normes internationales ;
👉il sanctionne la liberté d’expression et ne protège pas les droits aux libertés d’association et de réunion pacifique ;
👉 il érige en infraction les relations sexuelles consenties « illégitimes » et les relations sexuelles entre personnes de même sexe et restreint l’accès à l’avortement en érigeant en infraction le fait d’obtenir un avortement ou d’aider à pratiquer un avortement ;
👉 il ne protège pas les femmes et les filles des violences liées au genre, en permettant aux auteurs de crimes dits « d’honneur » d’échapper aux poursuites pénales ;
👉 il ne définit pas clairement tous les crimes et les châtiments, ce qui laisse aux juges une vaste marge de manœuvre pour déterminer ce qui constitue une infraction et quelle est la sanction appropriée.
Codification de la discrimination contre les femmes
Une autre loi promise, adoptée en mars 2022, ne permet pas non plus de tenir la promesse de réforme. La Loi relative au statut personnel codifie la discrimination contre les femmes dans la plupart des aspects de la vie de famille, y compris le mariage, le divorce, la garde des enfants et la succession, et perpétue le système de tutelle masculine.
La loi ne protège pas efficacement les femmes contre la violence domestique. Au contraire, elle renforce l’assignation patriarcale des rôles en fonction du genre, en exigeant des femmes qu’elles « obéissent » à leur époux, et elle conditionne également l’octroi du soutien financier des hommes à leur épouse pendant le mariage au fait que les femmes « se soumettent » à leur époux, ce qui expose les femmes à un risque d’exploitation et de violence.
Exploitation des travailleurs et travailleuses migrant·es
En outre, malgré des réformes limitées, adoptées en 2021, du système régissant le travail de millions de travailleurs et travailleuses migrant·es dans le pays, nos équipes de recherche ont constaté que des travailleurs employés sous contrat dans des entrepôts en Arabie saoudite avaient été soumis à de graves atteintes aux droits humains, constituant très probablement de la traite d'êtres humains à des fins d’exploitation par le travail, et qu’ils ont notamment :
· été trompés par des agences de recrutement, avant de quitter leur pays, quant à la nature de leur employeur et aux conditions de leur emploi ;
· vu leur salaire retenu par des sous-traitants ;
· été logés dans des lieux sales et surpeuplés ;
· été victimes de violences verbales ou physiques ou de menaces de violences, particulièrement lorsqu’ils se sont plaints de leurs conditions de vie et de travail.
Le nouveau code pénal du pays renforcera le risque d’exploitation par le travail.
Toutes ces modifications législatives interviennent dans un contexte dans lequel la liberté d’expression est sévèrement restreinte et où toute discussion ou tout débat public critique des réformes ou de leurs conséquences sur les droits humains est interdit.
Pour plus d’informations sur les conséquences de ces réformes législatives sur les droits humains en Arabie Saoudite et pour consulter nos recommandations sur les éléments que devrait comprendre un code pénal respectueux des droits humains, lisez notre rapport.