En 2023, les prisons iraniennes se sont transformées en véritable cimetière. Avec 853 exécutions, la République islamique enregistre son taux le plus élevé d’exécutions depuis 2015 avec une augmentation de 172 % par rapport à 2021. Dans notre nouveau rapport, nous démontrons que la peine de mort continue d’être un outil de répression politique et que plus de la moitié des exécutions recensées en 2023 étaient liées à la lutte contre les stupéfiants, en plus de cibler les minorités.
Il est urgent que la communauté internationale prenne des mesures fortes afin de mettre un terme à l’effroyable vague d’exécutions et que les autorités iraniennes mettent en place un moratoire sur toutes les exécutions.
"Don’t Let Them Kill Us”: Iran’s Relentless Execution Crisis since 2022 Uprising révèle que les autorités iraniennes ont renforcé leur recours à la peine capitale dans le but de répandre la peur au sein de la population et de resserrer leur emprise sur le pouvoir, à la suite du soulèvement « Femme. Vie. Liberté » qui a eu lieu de septembre à décembre 2022.
Ce rapport sonne l’alarme face à l’impact disproportionné sur les communautés pauvres et marginalisées des politiques meurtrières de lutte contre les stupéfiants menées par autorités.
« La peine de mort est un châtiment odieux en toutes circonstances, mais son application à grande échelle pour des infractions liées aux stupéfiants, à l’issue de procès manifestement iniques devant des tribunaux révolutionnaires, constitue un abus de pouvoir grotesque. Les politiques meurtrières de lutte contre la drogue de la République islamique contribuent au cycle de la pauvreté et aux injustices systémiques, et renforcent la discrimination à l’égard de communautés marginalisées, en particulier la minorité baloutche, opprimée en Iran », a déclaré Diana Eltahawy, notre directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Cette vague meurtrière se poursuit en 2024 avec au moins 95 exécutions recensées au 20 mars. Nos chiffres sont des estimations a minima, et nous sommes convaincus que le nombre réel d’exécutions est plus élevé.
COMMENT AVONS-NOUS ENQUÊTÉ ?
Pour recenser le nombre d’exécutions menées en 2023, nous avons travaillé en étroite collaboration avec le Centre Abdorrahman Boroumand, en nous appuyant sur des informations en accès libre, notamment des informations émanant de médias d’État, de médias indépendants et d’organisations de défense des droits humains. Les autorités iraniennes refusent de fournir des statistiques publiques sur les condamnations à mort et les exécutions.
Nous avons également examiné les registres d’exécutions des organisations non gouvernementales Iran Human Rights et Kurdistan Human Rights Network.
En 2023, les tribunaux révolutionnaires ont prononcé 520 (61 %) des condamnations à mort. Ces tribunaux sont compétents pour juger de nombreux actes, notamment les infractions liées aux stupéfiants, que les autorités considèrent comme des crimes relevant de la « sécurité nationale ». Mais, les tribunaux ne sont pas indépendants et opèrent sous l’influence d’organes de sécurité et de renseignement. Ils s’appuient régulièrement sur des « aveux » forcés et obtenus sous la torture pour prononcer des condamnations à l’issue de procès sommaires manifestement iniques.
Nous exhortons les autorités iraniennes à modifier l’article 91 du code pénal islamique afin d’abolir la peine de mort pour des infractions commises par des mineur·e·s, quelles que soient les circonstances.
Forte augmentation des exécutions liées aux stupéfiants
La forte hausse des exécutions en 2023 s’explique en grande partie par le changement de cap meurtrier dans le cadre de la politique de lutte contre la drogue impulsée par l’arrivée d’Ebrahim Raisi à la présidence en 2021 et la nomination de Gholamhossein Ejei comme responsable du pouvoir judiciaire.
Lire aussi : Peine de mort : 2022 : nouvelle année record pour les exécutions
Nous avons analysé les déclarations officielles de hauts responsables de l’exécutif et de la justice critiquant publiquement les réformes apportées en 2017 à la loi relative aux stupéfiants, qui ont entraîné une baisse spectaculaire des exécutions liées à la drogue entre 2018 et 2020, et prônant un recours accru à la peine de mort pour lutter contre le trafic de stupéfiants.
Ces positions officielles se sont traduites par une terrifiante trajectoire ascendante depuis 2021 avec 481 exécutions liées aux stupéfiants en 2023 soit 56 % du nombre total d’exécutions. Cela représente une augmentation de 89 % par rapport à 2022, année où 255 personnes ont été exécutées pour des infractions liées à la drogue, et une augmentation de 264 % par rapport à 2021, avec 132 personnes exécutées pour des faits de ce type.
La peine de mort en Iran
Recourir à la peine de mort n’est pas nouveau dans le pays des Mollahs. L’Iran est le deuxième pays qui la pratique le plus, après la Chine.
En 2023, l'Iran a mené au moins 853 exécutions.
Depuis 1977, notre organisation se bat pour l’abolition universelle de la peine de mort.
En 2022, nous faisions l'état des lieux de la peine de mort dans le monde, à visionner ici 👇
La peine de mort comme outil d’oppression politique
Tout au long de l’année 2023, à la suite du soulèvement « Femme. Vie. Liberté » de septembre-décembre 2022, les autorités iraniennes ont aussi intensifié leur recours à la peine de mort afin d’étouffer toute contestation.
Elles ont notamment visé des manifestant·e·s, des utilisateurs de médias sociaux et d’autres opposant·e·s réels ou supposés pour des actes protégés par le droit international relatif aux droits humains, qui ont donné lieu à des inculpations pour « insulte au prophète » et « apostasie », ainsi qu’à de vagues accusations d’« inimitié à l’égard de Dieu » (moharebeh) et/ou de « corruption sur terre » (efsad-e fel arz).
« Des manifestant·e·s, des opposant·e·s et des membres de minorités ethniques opprimées figurent parmi les personnes exécutées. Les autorités utilisent la peine de mort comme une arme, dans une tentative orchestrée de semer la peur au sein de la population et d’étouffer la contestation. En l’absence d’une réaction mondiale vigoureuse, les autorités iraniennes se sentiront autorisées à exécuter des milliers d’autres personnes dans les années à venir, en toute impunité », a déclaré Diana Eltahawy.
En 2023, les autorités ont exécuté six hommes en relation avec le soulèvement de 2022, et un autre homme accusé d’avoir participé aux manifestations nationales de novembre 2019.
Au moins sept autres personnes ont été condamnées à mort et risquent d’être exécutées en relation avec le soulèvement de 2022 et les manifestations de novembre 2019.
L’augmentation du nombre d’exécutions a conduit des condamnés à mort à entamer une grève de la faim et à demander publiquement des interventions dans le but d’empêcher leur exécution.
En mai 2023, plusieurs jours avant leur exécution après des procès manifestement inéquitables, les manifestants Majid Kazemi, Saleh Mirhashemi et Saeed Yaghoubi ont clandestinement fait sortir de prison une note dans laquelle ils demandaient de l’aide : « S’il vous plaît, ne les laissez pas nous tuer ».
Le 28 janvier 2024, un autre groupe de condamnés à mort a écrit une lettre ouverte annonçant leur grève de la faim et leur demande de soutien, dans l’espoir que cela leur sauve la vie : « Peut-être qu’avec votre aide, ces exécutions peuvent être empêchées. Quelle que soit la manière dont vous le ferez, soyez notre voix... »
Lire aussi : Iran : la peine de mort pour étouffer le soulèvement
Exécutions de personnes arrêtées alors qu’elles étaient mineures
L’année dernière a également été marquée par une intensification choquante de l’application de la peine de mort à des mineur·e·s délinquant·e·s, avec l’exécution d’un garçon de 17 ans et de quatre jeunes condamnés pour des crimes commis alors qu’ils étaient âgés de moins de 18 ans.
Hamidreza Azari a été arrêté alors qu’il n’avait que 16 ans et exécuté moins de sept mois plus tard, après un procès manifestement inéquitable et expédié par les autorités chargées des poursuites. Les autorités iraniennes ont menti de manière éhontée en affirmant dans les médias nationaux qu’il avait 18 ans, afin de se soustraire à l’obligation de rendre des comptes pour avoir bafoué le droit international, qui interdit l’application de la peine capitale à des personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits qu’on leur reproche.
Ces derniers mois, les autorités ont présenté de manière trompeuse une nouvelle directive du responsable du pouvoir judiciaire comme un pas vers une « nouvelle réduction » du nombre de condamnations à mort prononcées contre des mineur·e·s délinquant·e·s. Notre analyse révèle cependant que cette directive ne s’attaque pas aux défaillances que présente de longue date la législation sur les mineur·e·s, mais elle réaffirme le pouvoir discrétionnaire habilitant les juges à condamner à mort des mineur·e·s délinquant·e·s après des « évaluations de maturité » erronées.
Nous avons exhorté, à plusieurs reprises, les autorités iraniennes à modifier l’article 91 du Code pénal islamique afin d’abolir la peine de mort pour des infractions commises par des mineur·e·s, quelles que soient les circonstances.
La peine de mort est le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit. Nous nous opposons à la peine de mort en toutes circonstances, sans exception, quelles que soient la nature ou les circonstances du crime, indépendamment des questions relatives à la culpabilité ou à l’innocence ou à toute autre situation de la personne condamnée, et quelle que soit la méthode d’exécution employée par l’État.
Je soutiens Narges Mohammadi
Pour agir rapidement pour Narges, nous vous proposons d’interpeller l’ambassade d’Iran en France par mail. Sa situation ne peut rester sous silence. Mobilisons-nous pour sa libération, aux côtés de ses proches, qui vivent actuellement en France.