Dans ce pays d’émigration, gouvernement et citoyens ouvrent grand leurs portes.
La vaste bâtisse blanche avec ses hautes fenêtres et son jardin clos sent le neuf et le silence. Quelques voix ténues viennent du dernier étage, presque noyées dans le vide des grands couloirs. Derrière les portes, des dortoirs aux lits sans matelas. Sauf un : les draps défaits, une paire de chaussures, de menus objets.
C’est un Érythréen, il n’est là que depuis deux mois mais c’est un très bon ébéniste, il a déjà trouvé du travail »
Catarina Gouveia Homem, conseillère à la mairie de Lisbonne.
À l’étage supérieur, un éducateur sermonne quatre Syriens surpris à fumer dans leur chambre. Les cinq hommes, tous venus de Grèce, sont les seuls occupants, ce mois d’octobre, du centre d’accueil pour réfugiés de la mairie de Lisbonne, immense maison de maître inoccupée depuis des années, rénovée en trois mois en 2015 à grands frais – 140 000 euros – et inaugurée en février 2016.
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Dans son bureau de la mairie, le patron de Catarina, Joao Afonso, chargé du programme, se désole : « le maire nous a demandé, en août 2015, de faire au plus vite pour recevoir des réfugiés relocalisés depuis la Grèce ou l’Italie. Nous nous sommes démenés. Tout est prêt. Les structures sont prêtes. Nos partenaires de la société civile, ONG, églises, sont mobilisés. Mais les réfugiés ne viennent pas ». Quarante-neuf seulement ont été accueillis depuis février par la municipalité de Lisbonne. Dans tout le pays, seuls 600 sont pour l’instant arrivés.
Pourtant, le Portugal devrait accueillir 4 500 personnes dans le cadre du programme de répartition adopté au forceps par l’Union européenne (UE) en septembre 2015.
Pire : cela fait trois mois que pas un seul n’a débarqué dans la capitale portugaise. La faute, expliquent en chœur Joao Afonso et Edouardo Cabrita, le ministre adjoint en charge des réfugiés et migrants, aux lourdeurs administratives italiennes et surtout grecques. Auxquelles s’ajoute, reproche la députée européenne Ana Gomes, la bureaucratie portugaise :
cela fait plus de six mois que j’essaie de faire venir un groupe de 470 Yézidis coincé à Idomeni en Grèce. J’ai convaincu leurs dirigeants d’accepter le Portugal en leur faisant faire le voyage à Lisbonne, j’ai dépensé une énergie folle, et pour l’instant ils continuent à vivre dans des conditions inhumaines.
Un soutien politique quasi unanime
Tel est le paradoxe du Portugal : voici un pays qui attend des réfugiés qui ne viennent pas. Ne le peuvent pas, ou ne le veulent pas. Tout à l’extrémité de l’Europe, trop petit pour être connu – sauf par les fans de football – réputé pas très riche. Alors que le pays est classé 2e, juste après la Suède, dans l’Index des politiques d’intégration des migrants (Mipex) co-fondé par l’Union européenne, qui observe les politiques menées par 38 pays dont les 27 de l’UE.
Alors que, non content d’accepter de bonne grâce le quota décidé par la Commission européenne en septembre 2015, il affirme six mois plus tard, par la voix de son Premier ministre, être prêt à en accueillir jusqu’à 10 000, y compris en « soulageant » l’Allemagne, l’Autriche et la Suède. Alors que personne ici ne manifeste son opposition à ce projet, ni dans la rue ni au Parlement. Edouardo Cabrita l’affirme :
je suis un ministre heureux ! Je suis un des rares, en Europe, à pouvoir aller devant les députés défendre la politique d’accueil et recevoir une approbation quasi unanime !
Edouardo Cabrita, ministre adjoint en charge des réfugiés et migrants
Soixante-huit municipalités dans tout le pays, dont celle de Lisbonne, ont accepté de jouer le jeu. Le gouvernement a pour rôle d’impulser et de coordonner.
Et le ministre égrène les mesures gouvernementales à l’égard de ceux qui arrivent dans le cadre de la politique de répartition. Ils reçoivent une carte de séjour de six mois, renouvelable deux fois et, au bout des dix-huit mois, un permis « définitif ».
Ils jouissent d’un logement gratuit, d’abord en centre d’accueil pendant deux à trois mois puis dans des appartements dédiés. Ils bénéficient de l’accès gratuit au système national de santé, leurs enfants sont scolarisés. Ils suivent des cours de portugais. Ils sont aidés pour trouver du travail.
Un viatique de 150 euros par mois leur est versé. Une somme également allouée à ceux qui sont « réinstallés » directement depuis la Turquie, le Liban ou la Jordanie, et même à ceux qui arrivent par leurs propres moyens.
Rassemblement de soutien aux réfugiés et migrants à Lisbonne © Patricia de Melo Moreira / AFP
Aucun acte d’hostilité signalé
Un effort considérable pour un pays de 10 millions d’habitants frappé par une violente crise économique, avec un chômage oscillant entre 12 % et 15 %, dont la population soumise à de dures politiques d’austérité a vu ses revenus baisser en moyenne de 30 % en quelques années.
Un effort accepté par tous, pourtant : une manifestation d’hostilité a bien eu lieu, une fois, place Marquès de Pombal, une des plus grandes de Lisbonne. Elle a rassemblé péniblement une petite centaine de personnes. Les affiches proclamant « Lisbonne cité d’accueil » qui parsèment la ville depuis février 2016 ne sont ni taguées ni lacérées. Et les réfugiés rencontrés ne signalent aucun acte d’hostilité, bien au contraire.
Le Portugal est accueillant. Une bonne partie des familles compte dans ses rangs des immigrés. Une autre a subi l’exil politique sous le régime de Salazar. « Nous savons ce que signifie vivre loin de chez soi et devoir s’adapter », entend-on dans tout Lisbonne. « C’est une question humanitaire et un devoir de solidarité européenne », ajoute Ana Gomes, qui n’a pas de mots assez durs pour le groupe de Visegrad.
L'histoire d'Oussama al-Hussein
Oussama al-Hussein, dans sa vingtaine, est né dans un village kurde de Syrie. Quand la révolution éclate, il étudie la physique à Damas et doit fuir la répression, menacé car Kurde, affirme-t-il. Il va d’exil en exil et, fin février 2016, débarque en Grèce où il erre de camp en camp jusqu’à s’inscrire pour le programme de relocalisation. Anglophone, il veut aller en Irlande, ce sera le Portugal et Lisbonne.
J’étais content, finalement, car un pays me disait “tu es le bienvenu”, raconte le jeune homme. Je partage un logement avec un autre réfugié, avec une magnifique vue sur le Tage, je suis des cours de portugais, et j’espère reprendre bientôt mes études.
Oussama al-Hussein
L’association qui s’occupe d’Oussama n’a pas l’habitude des réfugiés : Crescer na Maior, dont le siège est situé dans un ensemble de HLM à la mauvaise réputation, prend plutôt en charge les SDF et les toxicomanes. Elle a été, comme d’autres, mandatée par la mairie de Lisbonne. Grâce à elle, Oussama a trouvé un emploi dans un centre d’appel. Elle négocie aussi avec une université pour qu’il puisse intégrer un cursus avec des cours en anglais.
Oussama a décidé de rester au Portugal. Ce n’est pas le cas de tous. Les autorités portugaises s’attendent à ce que 15 à 20 % des réfugiés quittent le pays. Maria Carmona, une des psychologues employés par Crescer na Maior, n’est pas étonnée : « ces personnes n’ont pas choisi leur destination. Elle leur est imposée par le programme de répartition. Eux rêvent plutôt d’Allemagne, de Suède, de Grande-Bretagne. En outre, de fausses informations leur sont communiquées en Grèce et ils espèrent souvent beaucoup plus que nous ne pouvons leur offrir, et surtout beaucoup plus vite ».
C’est le cas de Tsehaye Berhane et d’Awet Gebremariam, deux Érythréens dans la force de l’âge. Leurs familles sont restées au Soudan et comptent qu’ils aient un travail pour pouvoir les rejoindre. Ils se plaignent aussi d’attendre depuis trois mois leur immatriculation sociale, indispensable pour toute démarche. « Je connais des réfugiés qui ont été installés en France, ils reçoivent 300 euros par mois et nous seulement 150. C’est si peu », déplore Tsehaye sans vouloir prendre en compte la différence de niveau de vie. Ne maîtrisant pas le portugais et à peine l’anglais, ils peinent à trouver un emploi.
Agissez : envoyez vos messages de solidarité à Alan et Gyan, 2 réfugiés bloqués en Grèce
Cours de langue et jeux de rôle
L’apprentissage de la langue est le pivot de l’intégration. Un pivot d’autant plus important que le Portugal, jusque-là, ne recevait guère que des migrants lusophones et que les autres communautés linguistiques sont rares. « Dans certaines municipalités, trouver un traducteur en tigréen ou même en arabe est impossible. L’intégration est difficile », affirme Dulce Furtado, d’Amnesty International Portugal.
Isabel Galvao ne la contredira pas : cette petite femme enseigne le portugais depuis dix-neuf ans aux demandeurs d’asile accueillis par le Centre portugais pour les réfugiés (CPR), antenne du HCR. Les cours ont lieu dans le centre de Bobadela, une banlieue résidentielle de Lisbonne.
Soixante personnes, dont des familles, vivent ici de trois à six mois, le temps des démarches administratives et d’un début de reconstruction. « C’est difficile. La plupart ont tout perdu et beaucoup ne sont pas disponibles pour apprendre une langue aussi éloignée de la leur », raconte Isabel. Elle a monté, avec l’actrice Sofia Cabrita, des cours d’expression théâtrale. Sur une petite scène, le corps vient à l’appui des mots, les jeux de rôle font apprendre dans les rires la vie quotidienne et les codes culturels. «
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