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URGENCE PROCHE ORIENT

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Un Erythréen de 26 ans à Calais
Un Erythréen de 26 ans à Calais © REUTERS/Pascal Rossignol
Personnes réfugiées et migrantes

France : les droits des personnes exilées menacés par un énième projet de loi

Le 6 décembre 2022 s'est tenu un débat sans vote à l’Assemblée nationale sur “la politique de l’immigration” en vue du nouveau projet de loi “asile et immigration” qui sera proposé par le gouvernement français et débattu début 2023. Depuis 30 ans, les textes relatifs à la politique migratoire de la France se succèdent et ont toujours les mêmes conséquences : le recul des droits des personnes exilées et la détérioration de leurs conditions d’accueil.

Début janvier 2023, le gouvernement proposera un nouveau projet de loi "asile et immigration". Ce texte devrait être débattu au Sénat et à l’Assemblée nationale. Notre inquiétude ? Une énième réforme visant à examiner les demandes d’asile plus rapidement pour pouvoir expulser plus vite.

Encore une fois, l’objectif affiché d’efficacité et de simplification des procédures relatives aux demandes d’asile l’emporte sur le respect des droits des personnes.

Des politiques migratoires aux conséquences dramatiques

Les dernières actualités illustrent les conséquences, trop souvent dramatiques, des politiques migratoires actuelles : les expulsions de campements à répétition, parfois avec violence et destructions des biens des personnes exilées ; les dysfonctionnements et atteintes aux droits dans la zone d’attente de Toulon, où ont été débarquées les 234 rescapés de l’Ocean Viking ; l’accord franco-britannique signé le 14 novembre qui renforce les systèmes de surveillance policière le long de la Manche sans trouver de solutions pour éviter de futurs naufrages ; les révélations sur l'absence d'intervention des secours lors du naufrage du 24 novembre 2021, qui avait vu périr 27 personnes dans la Manche.

Lire aussi : Un an après le naufrage meurtrier dans la Manche

Le système d’asile en France dysfonctionne depuis de nombreuses années, malgré la succession des réformes : difficultés pour les demandeurs d’asile d’avoir un accès effectif au travail, impossibilité de demander l’asile aux frontières terrestres, nombre important de personnes qui sont contraintes de vivre à la rue - pour ne citer que ces problèmes. Cela fait plus de vingt ans que ces problèmes existent, à des degrés divers.

Ce projet de loi ne semble pas répondre aux enjeux actuels en termes de migrations. Les mesures envisagées par le gouvernement risquent de rogner encore davantage les droits des personnes étrangères : droit d’asile, droit à mener une vie privée et familiale normale, droits de l’enfant, droits à un procès équitable…

Analysons certains des points problématiques qui pourraient figurer dans cette nouvelle réforme. 👇

L’obligation de quitter le territoire français (OQTF) après rejet de la demande d’asile

La nouvelle réforme pourrait prévoir d’automatiser la notification d’une OQTF pour toutes les personnes qui voient leur demande d’asile rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA). Comble de l’absurdité, cette OQTF ne pourra pas être exécutée tant que leur recours n’aura pas été examiné.

Qu’est-ce qu’une obligation de quitter le territoire français ?

L’OQTF est la principale mesure utilisée par les préfectures pour expulser une personne étrangère du territoire français. En 2020, plus de 108 000 OQTF ont été prononcées en France, un record en Europe. Outre la décision obligeant la personne à quitter le territoire français, deux autres décisions sont prises en même temps :

Une décision relative au délai de départ volontaire : La préfecture peut accorder à la personne un délai pour quitter la France par ses propres moyens – généralement 30 jours – ou refuser de lui laisser ce choix – sans délai de départ volontaire

Une décision relative au pays de destination : la préfecture doit préciser le pays dans lequel la personne doit retourner. Il s'agit en général du pays dont il a la nationalité.

Un élément essentiel du droit d’asile est la protection contre l’expulsion dans un pays où la personne risque la persécution, la torture ou des mauvais traitements (principe du non-refoulement). Aujourd’hui, certaines personnes peuvent être expulsées alors que leur demande d’asile n’a pas fait l’objet d’une réponse définitive : la préfecture prononce une OQTF dès le rejet de la demande par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) sans attendre la réponse de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) sur le recours des intéressés. C’est par exemple le cas des personnes qui proviennent de pays considérés comme « sûrs » par la France. En 2021, 630 personnes provenant de pays dit « sûrs » ont été reconnues réfugiées par l’OFPRA. Le risque de refoulement est donc réel.

- Source La Cimade

Les OQTF signifient : « merci de quitter le territoire français, mais pas tout de suite ! ». Absurde. 

Manon Fillonneau, notre chargée de plaidoyer migration

Les conséquences seront :

L’augmentation des risques de refoulement pour les personnes qui n’auraient pas pu déposer un recours dans les temps

La complexification des démarches car il faudra faire deux recours dans des délais très restreints : un contre le rejet de l’OFPRA, l’autre contre l’OQTF.

La notification d’une OQTF à des personnes qui seront reconnues comme réfugiées par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

La procédure d’asile a normalement pour but d’éviter le renvoi d’une personne dans un pays où sa vie ou sa sécurité est menacée. Si l’on réduit les délais et que l’on renvoie les personnes avant d’avoir terminé l’examen de leur demande d’asile, le droit français devient totalement défaillant.

Cette prise de risque est humainement inacceptable et juridiquement contestable. Elle constitue également une absurdité qui ajouterait de la complexité à la procédure et générait toujours plus d’angoisse chez les demandeurs d’asile.

Comprendre : Qu'est-ce qu'un demandeur d'asile ?

Aujourd'hui, les OQTF sont délivrées au petit bonheur la chance enfin plutôt au petit malheur la chance.

Marie-Christine Vergiat
Vice-présidente de la Ligue des droits de l'Homme

Un juge unique à la Cour nationale du droit d’asile

La réforme prévoit par ailleurs la généralisation du juge unique à tous les recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), sauf en cas de « difficulté sérieuse ». Aujourd’hui, la décision de la CNDA est le plus souvent prise par une formation collégiale de trois juges pour les procédures normales et un juge pour les procédures accélérées.

La généralisation du juge unique priverait de nombreuses personnes de la garantie d’être entendues par une formation collégiale de trois juges. La présence d’une personne qualifiée, nommée par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), parmi les trois juges fait aujourd’hui la spécificité de la CNDA. C’est un acquis précieux car beaucoup ont une expertise sur les pays d’origine, qui permettent de mieux comprendre les raisons de la persécution des demandeurs d’asile. Une telle décision, qui a un impact direct sur la vie des gens, ne devrait jamais être prise par un seul juge.

La présence de trois juges y compris celui nommé par le HCR, fonctionnement collégial actuel, permet de croiser les regards, les compétences et expériences, et limiter l’impact des représentations pour juger de la crédibilité et la cohérence du récit. Les personnes qui demandent l’asile jouent leur vie à ces audiences.

Jean-Claude Samouiller
Président d'Amnesty International France

L’enferment administratif des enfants

Nous demandons par ailleurs que dans ce texte figure l’interdiction stricte de l’enfermement des enfants en centre de rétention et en zone d’attente, en France métropolitaine et Outre-mer.  La France a été condamnée à de nombreuses reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’enfermement des enfants pour des raisons administratives. Aucun enfant ne devrait être enfermé : jamais, nulle part. Les effets traumatisants de la détention, notamment sur des enfants, ont été prouvés à maintes reprises.

Pourtant, le gouvernement prévoit l’interdiction de l’enfermement des enfants de moins de 16 ans, pour raisons administratives, et non pour tous ceux qui ont moins de 18 ans comme nous le demandons.

La désinformation et les clichés xénophobes, qui bénéficient aujourd’hui en France de relais inédits, aboutissent à ce que les migrations ne soient vues que comme une menace et un mal à combattre, ce qui est intolérable.

Au-delà de ces nouvelles mesures, nous regrettons les dérives sémantiques de ces dernières semaines – qu’il s’agisse de propos tenus par des personnalités de l’opposition, de la majorité, ou du gouvernement -. Elles ont abouti à une stigmatisation supplémentaire des personnes sous OQTF, sans mentionner que ce sont des décisions administratives qui n'ont rien à voir avec une sanction pénale.

L’accueil des personnes ukrainiennes a montré qu’il était possible de lever de nombreux obstacles, aux frontières, mais aussi dans l’accueil : accès au travail, à l’hébergement, à l’éducation. Une politique migratoire respectueuse de la dignité des personnes et de leurs droits fondamentaux est possible.

On ne peut transiger avec le droit d’asile, c’est le dernier droit qui reste lorsque tous les autres ont été bafoués.

Jean-Claude Samouiller, président d'Amnesty International France

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