Aller au contenu
Agir
Faire un don
ou montant libre :
/mois
Grâce à la réduction d'impôts de 66%, votre don ne vous coûtera que : 5,1 €/mois
URGENCE PROCHE ORIENT

Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles

Gianni Infantino, président de la FIFA
Gianni Infantino, président de la FIFA © AAPIMAGE via Reuters Connect
Personnes réfugiées et migrantes

« Se concentrer sur le football » ? Notre réaction face à la réponse inadmissible d’Infantino

Dans une lettre aux 32 nations participant au Mondial 2022, Giovanni Infantino, président de la FIFA, les exhorte à : "Se concentrer sur le football". Une déclaration "étonnante" face à ce qui s'est passé et se passe encore pour des milliers de travailleurs migrants au Qatar. Notre secrétaire générale, Agnès Callamard, réagit dans une tribune.

21/11/2022

La FIFA menace les joueurs qui voudraient porter le brassard LGBTI

La FIFA qui a annoncé vouloir imposer des sanctions contre les joueurs qui prévoyaient de porter le brassard « One Love » en soutient à la communauté LGBTI. Les menaces de dernière minute visant à sanctionner les joueurs qui porteraient des messages de soutien aux droits humains et à l’égalité ne sont que le dernier exemple en date de l’incapacité de la FIFA à respecter pleinement ses propres valeurs et responsabilités. Le sport ne se déroule pas dans un vase clos, et ce sont des questions sur lesquelles la FIFA devrait montrer la voie, au lieu de les réprimer.

Des accords sur les brassards et de meilleures protections pour les communautés LGBTI auraient déjà dû être mis en place il y a bien longtemps.

Agir

IL N'EST PAS TROP TARD POUR AGIR !

À quelques jours du coup d’envoi du Mondial 2022, il est encore temps de ramener la coupe à la raison et de changer la vie de milliers de travailleurs migrants au Qatar.

Dans moins d'une semaine, le président de la FIFA Gianni Infantino prendra place dans son fauteuil pour assister au match d’ouverture de la Coupe du monde 2022, qui opposera le Qatar, pays hôte, à l’Équateur, dans le stade denier cri d’al Bayt, à Doha. Parmi les sept sites construits spécialement pour le tournoi, ce stade est le joyau d'un projet de développement de grande ampleur qui a transformé la capitale du Qatar et ses alentours depuis 2010, lorsque la FIFA a attribué au pays l’organisation de la Coupe du monde. Pour un coût estimé à 200 milliards d’euros, les infrastructures englobant des centres d’entraînement, des hôtels et des autoroutes, ont été bâties en prévision de la venue de 1,5 million de supporters attendus pour ce qui est sans doute le plus grand événement sportif du monde.

Les millions de travailleuses et travailleurs migrants qui ont trimé sur les chantiers de construction ont payé un lourd tribut. C’est notamment le cas du Népalais Tul Bahadur Gharti qui, à l’âge de 34 ans, est mort dans son sommeil en novembre 2020 après avoir travaillé plus de 10 heures par des températures grimpant jusqu'à 39 °C sur un chantier. Son épouse Bipana n’a jamais reçu aucune explication sur ce qui est arrivé à son mari. D’après le certificat de décès délivré par les autorités qatariennes, Tul Bahadur Gharti, qui n'avait pas d'antécédents médicaux, est mort de « causes naturelles ».

Lire aussi : Les causes de la mort de milliers de travailleurs migrants dissimulées par le Qatar

En mai 2022, Amnesty International et 24 organisations de la société civile et syndicats ont écrit à Gianni Infantino pour lui demander de mettre en place un programme de réparation pour les atteintes aux droits humains subies par des personnes comme Gharti et Bipana. Les histoires de souffrance humaine comme la leur sont innombrables derrière la façade chatoyante que le Qatar présentera au monde à partir du 20 novembre. Faits dénoncés par Amnesty International et diverses organisations, des centaines de milliers de travailleurs migrants, principalement originaires d'Afrique et d'Asie du Sud et du Sud-Est, ont été victimes d'exploitation et d'abus généralisés au travail – frais de recrutement exorbitants, conditions assimilables à du travail forcé, salaires perdus et impayés, et longues périodes de travail sans jours de repos. À l’instar de la mort de Tul Bahadur Gharti, des milliers de décès de travailleurs migrants demeurent inexpliqués.

L’appel à indemnisation lancé par Amnesty International recueille une liste croissante et diverse de soutiens, dont des associations de football d’Angleterre, d’Allemagne, de France, des Pays-Bas et des États-Unis, les sponsors de la Coupe du monde Coca-Cola, Adidas, Budweiser et McDonald, et, via une vidéo devenue virale le mois dernier, l’équipe nationale australienne. Selon un sondage mondial commandé par Amnesty International, 84 % des spectateurs potentiels de la Coupe du monde sont favorables à cette proposition.

Au milieu de cette clameur croissante, la voix la plus cruciale de toutes a gardé un silence remarqué : celle de Gianni Infantino. Malgré les assurances privées et publiques de la FIFA qui affirme « étudier la proposition », Gianni Infantino, hormis quelques platitudes, a constamment éludé la question. Il n'a toujours pas répondu à notre lettre conjointe. Puis, la semaine dernière, il a adressé une lettre aux 32 nations en compétition, les invitant à « se concentrer sur le football » et balayant d'un revers de main les préoccupations relatives aux droits humains, désireux de ne pas se laisser entraîner dans ces « batailles idéologiques ou politiques ».

Sa lettre est une tentative grossière d’exonérer la FIFA de sa responsabilité dans ces atteintes aux droits humains et envers ces travailleuses et travailleurs, qui est sans équivoque. L'engagement de la FIFA à remédier aux violations auxquelles elle contribue est inscrit dans sa propre politique. Au regard du passé bien documenté en matière de violations des droits du travail au Qatar, la FIFA connaissait – ou aurait dû connaître – les risques évidents pour ce personnes au moment de l’attribution de la Coupe du monde à ce pays. Pourtant, lors de l’évaluation de sa candidature, aucune mention n’a été faite des travailleurs ou des droits humains et aucune condition n'a été posée en matière de protections du travail. La FIFA a ensuite pris des mesures très insuffisantes pour prévenir ou atténuer ces risques.

Lire aussi : Neuf actions à mener par le Qatar pour protéger les travailleurs migrants

Toute la hiérarchie de la FIFA ne s’est pas montrée aussi muette. En octobre, son secrétaire général adjoint, Alasdair Bell, a déclaré devant le Conseil de l'Europe qu'il était « important d’essayer de voir que quiconque ayant subi une blessure en raison de sa participation à la Coupe du Monde, cela soit en quelque sorte réparé », et a ajouté : « C’est certainement quelque chose que nous souhaitons faire progresser ». De beaux sentiments qui montrent que le soutien gagne les plus hautes sphères de la FIFA – mais sans la bénédiction de Gianni Infantino, ces mots resteront vides de sens.

Depuis son arrivée à la présidence de la FIFA en 2016, Gianni Infantino a présidé à un changement notable dans l'approche de l'organe directeur en matière de droits humains. Son mandat coïncide avec des réformes positives du droit du travail au Qatar, mais le chemin à parcourir est encore long. La définition de la première politique de la FIFA en matière de droits humains en 2017, l'annonce de la Stratégie de développement durable de la Coupe du monde au Qatar en 2020 et les critères relatifs aux droits humains pour les candidatures à la Coupe du monde 2026 marquent un réel progrès. Au cœur de ces politiques réside la responsabilité de la FIFA de remédier aux préjudices auxquels elle contribue et de veiller à ce qu'ils ne se reproduisent pas à l'avenir. La FIFA doit maintenant joindre le geste à la parole. En promettant d’accorder des réparations, Gianni Infantino démontrerait de manière tangible qu’elle prend au sérieux son engagement à respecter les droits humains.

La FIFA et le Qatar se plaisent à répéter, à l’instar d’Alasdair Bell dans ses propos devant le Conseil de l'Europe, qu'un ensemble de mesures correctives serait compliqué à élaborer et à appliquer. Certes, le nombre de personnes concernées et l'ampleur des violations rendent cet engagement complexe, mais cela ne saurait servir d'excuse à l'inaction ou à un retard supplémentaire. Les solutions existent, c’est une question de volonté de les mettre en œuvre.

Tout ce que nous demandons à ce stade, c'est un engagement ferme de la FIFA, à savoir : les victimes d'abus seront indemnisées et les programmes de prévention seront financés, dont un centre où les travailleurs pourront s'informer sur leurs droits et obtenir une assistance et des conseils juridiques. Il suffit d'un simple trait de plume de Gianni Infantino. Les détails, à peaufiner en collaboration avec les autorités qatariennes, les syndicats, des experts indépendants et les travailleurs migrants eux-mêmes, pourront être réglés après la Coupe du monde. L'argent ne devrait pas être un obstacle, au regard des 6 milliards d’euros de recettes que la FIFA devrait engranger.

Pour Bipana et tant d’autres, aucune somme d’argent ne pourra effacer la souffrance ni ramener leurs êtres chers. Mais une indemnisation financière aidera les victimes et leurs familles à reconstruire leur vie. Si Gianni Infantino souhaite vraiment que le monde se concentre sur le football pendant la Coupe 2022, il devrait commencer par s’assurer que ceux qui l’ont rendue possible obtiennent la justice et les réparations qu’ils méritent. Le temps presse.