Dans cette nouvelle enquête, nous mettons en lumière les différentes activités nuisibles de Shell au Nigeria, qui l’amènent aujourd’hui devant la justice.
En 2020, Shell fera l’objet de procédures judiciaires sans précédent concernant les atteintes aux droits humains commises pendant des dizaines d’années au Nigeria. Le géant pétrolier se prépare à entendre les conclusions d’une série de batailles judiciaires devant les tribunaux européens. Shell est notamment accusée de complicité dans des exécutions illégales, de pollution systémique et de dégâts environnementaux dans le delta du Niger.
Depuis vingt ans, nous compilons des preuves et nous menons des recherches sur les activités de Shell dans le delta du Niger.
"Greenwashing" de Shell
Shell a débuté l’année avec une opération visant à "verdir" son rôle dans la crise climatique, en cherchant à se présenter comme l’avenir de l’énergie alors même que la planète brûle. Cette onéreuse campagne de relations publiques ne détournera pas l’attention des examens judiciaires dont fait l’objet Shell quant à ses activités au Nigeria.
Le modèle économique de Shell lui a permis de tirer parti des faiblesses de la justice et du cadre réglementaire nigérians, ravageant la vie et les moyens de subsistance des Nigérians, tandis que les profits continuent d’affluer vers ses sièges européens. Une transition juste vers des énergies propres suppose également d’amener les pollueurs à rendre des comptes pour les dégâts qu’ils ont causés par le passé.
Le roi Okpabi, chef coutumier de la communauté d'Ogale, a exprimé une frustration largement partagée face au refus de Shell d’assumer la responsabilité de ses actes :
Shell a pollué notre eau et détruit nos moyens de subsistance. Elle dépense aujourd’hui des millions pour se protéger et expliquer au monde qu’elle n’a aucun devoir envers la population d’Ogale, au lieu de réparer les torts qu’elle nous a causés.
Les accusations contre Shell
Il est si difficile de porter plainte devant les tribunaux nigérians que les personnes et les communautés touchées par les activités de Shell au Nigeria intentent des poursuites dans les pays où se trouvent les sièges de Shell, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Ces actions pourraient établir des précédents importants s’agissant d’amener les multinationales polluantes à rendre des comptes à l’avenir.
Esther Kiobel face à Shell : dans le cadre du premier jalon judiciaire de 2020, en mars, un tribunal de la Haye entendra les témoignages de quatre femmes qui accusent Shell de complicité dans l’arrestation, la détention et l’exécution illégales de leurs époux par l’armée nigériane en 1995. Elles attendent de Shell une indemnisation et des excuses publiques. Les exécutions furent le point culminant d’une violente campagne menée par l’armée nigériane pour faire taire toute contestation contre la pollution imputable à Shell.
Lire aussi : Jugement de Shell, une avancée capitale vers la justice
Affaire des quatre fermiers : en mai 2020, une audience finale est attendue dans l’affaire intentée contre Shell par quatre fermiers nigérians et les Amis de la Terre en 2008. Ils réclament une indemnisation à la Royal Dutch Shell (RDS) basée aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, ainsi qu’à sa filiale nigériane, la Shell Petroleum Development Company (SPDC), pour les dommages qu’auraient subis leurs étangs à poissons et leurs terres du fait de déversements d’hydrocarbures.
C’est la première fois qu’une entreprise néerlandaise est poursuivie devant un tribunal néerlandais pour les activités de ses filiales à l’étranger.
Ces affaires sont une liste non exhaustive des procès intentés contre Shell. D’autres affaires sont à retrouver dans notre nouveau rapport. Nous demandons à Shell d’améliorer ses pratiques opérationnelles dans le delta du Niger, à un moment où le monde s’intéresse de près au rôle de Shell et des grandes entreprises de combustibles fossiles dans la crise climatique.
Les données des rapports d’incidents de Shell sur les déversements révèlent que de 2011 à 2018, l’entreprise a signalé 1 010 déversements le long du réseau d’oléoducs et de puits qu’elle gère au Nigeria. Ces déversements sont dus à diverses causes – du sabotage par des tiers, aux fautes d’exploitation et à la corrosion de structures vétustes.
Shell soutient que la majorité des déversements sont le résultat de vols et de sabotages d’oléoducs. Cependant, nos recherches et celles de notre partenaire, le Centre nigérian pour l’environnement, les droits humains et le développement (CEHRD), montrent que l’entreprise utilise une procédure biaisée pour établir les chiffres relatifs au volume, aux causes et à l’impact des déversements d’hydrocarbures. Ces recherches révèlent également le manque fréquent d’indépendance et de supervision de cette procédure, notamment en raison de la faiblesse des autorités de régulation du gouvernement. Difficile dans ces conditions de faire confiance aux conclusions de Shell.