À New-York, un réseau tentaculaire de caméras de surveillance est déployé. Problème : la police peut analyser les images de ce réseau avec des logiciels de reconnaissance faciale. Un réel danger pour les droits. Décryptage.
Big Apple ou Big Brother ? La question mérite d’être posée. À New York, des quartiers entiers sont exposés à un système de surveillance de masse. Nous avons recensé 25 500 caméras de surveillance dans la ville. Mais à New-York, être exposé à la vidéosurveillance, c’est aussi être exposé à l’identification par des logiciels de reconnaissance faciale.
La police peut se servir de ce réseau tentaculaire de caméras à des fins de reconnaissance faciale intrusive, ce qui risque de transformer New York en une cité de la surveillance digne d’un roman d’Orwell.
Matt Mahmoudi, chercheur sur l’Intelligence artificielle et les droits humains à Amnesty International
La police de la ville de New York (NYPD) peut suivre à la trace et identifier chaque habitant lors de ses déplacements en scannant les images des caméras par des logiciels de reconnaissance faciale.
Cette technologie bafoue le droit à la vie privée et menace le droit de manifester. Et ce n’est pas tout : la façon dont la police new-yorkaise utilise la reconnaissance faciale amplifie la discrimination à l’égard des minorités lors des opérations de maintien de l’ordre.
Comprendre : La reconnaissance faciale : quelle menace pour nos droits ?
Une technologie qui amplifie le racisme dans la police
Les vastes opérations de surveillance du Département de police de la ville de New York (NYPD) affectent davantage les personnes qui sont déjà largement ciblées par les opérations policières. Nous avons analysé les données sur les contrôles d’identité et les fouilles effectuées par le NYPD depuis 2002. Résultat : les communautés noires et latina sont les principales cibles.
La reconnaissance faciale dans nos villes : c'est non !
Le Bronx, Brooklyn et le Queens : dans ces quartiers new-yorkais, où vivent beaucoup de personnes des communautés noires et latina, le nombre de caméras de vidéosurveillance est plus élevé. Les fouilles et contrôles d’identité y sont fréquents. Vous êtes donc plus exposés à la vidéosurveillance, et de fait à la reconnaissance faciale, dans les quartiers où vous êtes plus exposés aux opérations policières.
Nous savions depuis longtemps que les contrôles d’identité et les fouilles à New York sont une méthode raciste de maintien de l’ordre. Nous savons désormais que les communautés les plus ciblées par cette méthode sont aussi plus exposées à un maintien de l’ordre discriminatoire via la surveillance intrusive.
Matt Mahmoudi, chercheur sur l’Intelligence artificielle et les droits humains à Amnesty International
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Une caméra de surveillance du département de police de la ville de New-York (NYPD), mars 2017 / © Drew Angerer - Getty Images
Les manifestants Black Lives Matter ciblés
À New-York, les manifestants du mouvement Black Lives Matter ont été plus exposés aux technologies de reconnaissance faciale.
La reconnaissance faciale a très probablement été utilisée pour identifier, tracer et permettre l'arrestation d'un manifestant du mouvement Black Lives Matter, Derrick « Dwreck » Ingram.
Cela pose problème car cela viole les droits à la vie privée et la liberté de réunion. Ces pratiques peuvent dissuader la personne victime d’exercer son droit de manifester.
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7 août 2020 : des dizaines de policiers du NYPD tentent d’entrer de force dans l’appartement de Derrick en vue de l’interpeller. Ils l’accusaient d’avoir agressé un policier en lui hurlant dessus à l’aide d’un mégaphone, pendant la manifestation Black Lives Matter. Le NYPD n’a pas dûment informé Dwreck de ses droits, a menacé de défoncer sa porte, a tenté de l’interroger sans avocat, a employé au moins un hélicoptère et des drones de la police et a posté des dizaines d’agents dans son entrée, au niveau de sa sortie de secours et à des positions tactiques dans des bâtiments voisins et aux alentours. Tout cela, sans présenter un mandat de perquisition.
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Nous sommes particulièrement dans le viseur des technologies de reconnaissance faciale, en raison de ce que nous contestons et parce que nous tentons de déconstruire un système qui englobe aussi la police .
Derrick Ingram, manifestant du mouvement Black Lives Matter
Derrick Ingram lors d'une interview accordée à Amnesty International dans le cadre de notre enquête sur la reconnaissance faciale à New-York, 2021 / © Amnesty International
Touristes à New-York : souriez vous êtes filmés
En marchant de l’Empire State Building jusqu’à Times Square, vous êtes exposés à la reconnaissance faciale sur 85 % de votre trajet.
En visitant simplement les principales attractions touristiques de la ville, vous êtes largement exposés à ces caméras et à un risque d’identification par la reconnaissance faciale.
Nous avons lancé une plateforme interactive – disponible ici – qui permet aux utilisateurs de découvrir s’ils sont surveillés par les technologies de reconnaissance faciale lorsqu’ils empruntent tel ou tel itinéraire, entre deux endroits à New York.
Aller plus loin : Indiquez votre itinéraire pour mesurer votre exposition à la reconnaissance faciale
L’usage généralisé des technologies de reconnaissance faciale est en réalité un contrôle policier numérique.
Matt Mahmoudi, chercheur sur l’Intelligence artificielle et les droits humains à Amnesty International
Sur les sites des manifestations, la reconnaissance faciale peut servir à identifier, tracer et harceler des gens qui ne font qu’exercer leurs droits humains. Cette tactique de la peur est une atteinte inacceptable aux libertés fondamentales : il faut y mettre un terme.
Notre méthode d’enquête
Pour révéler l’ampleur de l’utilisation de la vidéosurveillance à New-York, nous avons fait appel à des militants et bénévoles du monde entier dans le cadre d’un projet participatif : Decode Surveillance NYC. Des milliers de volontaires y ont participé. Ils avaient comme mission de géolocaliser les caméras grâce à Google Street View. Grâce au travail de ces « décodeurs » d’Amnesty, nous avons pu révéler la présence de 25 500 caméras de surveillance à travers New York. Une fois localisées, nous avons, avec l’expertise de scientifiques, comparé les données collectées avec des statistiques démographiques ainsi que des statistiques relatives aux contrôles d’identité et aux fouilles. C’est sur la base de ce travail que nous avons pu tirer les conclusions de notre enquête.
Aujourd’hui, il n’existe aucune transparence sur l’utilisation des technologies de reconnaissance faciale à New York.
L’an dernier, nous avons poursuivi en justice le NYPD qui a refusé de divulguer les documents publics concernant son acquisition de technologies de reconnaissance faciale et d'autres outils de surveillance. L’affaire est toujours en cours.
Notre positionnement sur l’usage de la reconnaissance faciale, à New-York et partout dans le monde, est clair : nous demandons l’interdiction totale de son utilisation, de son développement, de sa production et de son commerce à des fins de surveillance de masse, par les États comme par le secteur privé. Ces technologies menacent notre vie privée et nos libertés fondamentales.
La reconnaissance faciale dans nos villes : c'est non !
Si cette technologie se généralise, nos villes risquent de devenir des cités de surveillance dignes d’un roman d’Orwell.
Notre demande est la suivante : l’interdiction mondiale des systèmes de reconnaissance faciale. Agissez avec nous !