Après des mois d’enquêtes, de collecte de preuves et d’analyses juridiques, nos équipes publient un rapport appelé à faire date, dont les conclusions démontrent que les autorités israéliennes commettent un crime de génocide contre la population palestinienne de Gaza.
Les recherches de nos équipes, rassemblées dans un rapport de près de 300 pages intitulé « 'On a l’impression d’être des sous-humains' - Le génocide des Palestiniens et Palestiniennes commis par Israël à Gaza », révèlent que l’État d’Israël, fait subir un déchaînement de violence et de destruction permanent aux Palestinien·nes de Gaza à la suite des attaques meurtrières du Hamas dans le sud de son territoire le 7 octobre 2023, et ce en toute impunité.
Les autorités israéliennes ont commis et commettent toujours des actes interdits par la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, dans l’intention spécifique de détruire physiquement la population palestinienne de Gaza.
➡ Elles se sont notamment rendues coupables de meurtres, d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des personnes, et de soumission délibérée des Palestiniens et Palestiniennes de Gaza à des conditions de vie destinées à entraîner leur destruction physique. Depuis plus d’un an, la population palestinienne de Gaza a été déshumanisée et traitée comme un groupe de sous-humains ne méritant pas le respect de ses droits fondamentaux, ni de sa dignité.
Nos conclusions accablantes doivent sonner comme un signal d’alarme pour la communauté internationale : il s’agit d’un génocide, qui doit cesser immédiatement.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International
Nos équipes de chercheur·ses et d’expert·es ont examiné et analysé rigoureusement et méthodiquement un ensemble de faits survenus entre octobre 2023 et juillet 2024, qui par leur récurrence, leur simultanéité, leurs effets immédiats ou leurs conséquences cumulées s’avèrent constituer des actes relevant de la Convention sur le génocide.
Lire aussi : Comment avons-nous enquêté sur Gaza ?
Le génocide, un terme défini par le droit international
Déterminer s'il y a eu génocide relève d’une conclusion juridique. Nos expert·es se sont concentrés sur le cadre juridique du génocide en droit international, tel qu'il est défini et érigé en infraction par la Convention sur le génocide et repris tel quel par le Statut de Rome. Ils ont d’abord vérifié que les Palestinien.es faisaient bien partie d'un groupe protégé tel que défini dans la Convention : à savoir un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Ils ont ensuite examiné rigoureusement et méthodiquement l’ensemble des faits commis par les forces israéliennes d'octobre 2023 à juillet 2024 dans la bande Gaza pour vérifier s’ils correspondaient bien aux actes constitutifs d’un génocide, tels qu’énoncés dans la Convention. Enfin, ils ont examiné les différentes preuves permettant de déterminer l'intention, un des critères clés de la définition de la Convention sur le génocide.
En savoir plus : Qu’est-ce qu’un génocide ?
Les preuves d’un génocide à Gaza
Bombardements incessants de zones densément peuplées, destruction de structures hospitalières, coupure permanente d’eau et d’électricité, entrave à la délivrance d’aide humanitaire, multiples déplacements forcés de la population...
Ces différentes attaques et actions commises par les forces israéliennes dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023 ont été scrupuleusement examinées.
➡ Les conclusions sont claires : ce que subissent les Gazaouis depuis le début de l’offensive de l’État d’Israël correspond à trois actes qualifiant le terme de génocide selon la Convention de 1948.
Meurtre des membres du groupe
Ils et elles ont été décimés par des bombardements massifs et incessants, tués dans un hôpital par des tirs ciblés ou pendant les opérations terrestres. En tout, en l’espace d’un an, entre le 7 octobre 2023 et 7 octobre 2024, plus de 42 000 vies ont été fauchées sur une bande de terre d’à peine 40 km de long. Des pertes incommensurables qui relèvent des actes prohibés par la Convention sur le Génocide signée en 1948.
🔴 Un drame humain
De tous les conflits du XXIème siècle, l’offensive de l’État d’Israël sur Gaza est celle qui a causé le nombre le plus élevé de morts de journalistes, de personnels de santé et d’humanitaires en un temps aussi court.
*Source : Ministère de la Santé du Hamas. Ce chiffre sous-estime le nombre de victimes réelles car il ne prend pas en compte les personnes disparues, les personnes qui se trouvent encore parmi les décombres et les personnes décédées à cause de la famine, de l’eau insalubre ou par faute d’accès aux soins de santé.
Abdelal habite le quartier d’Al-Janina, à l’est de la ville de Rafah. Le 20 avril 2024, une frappe aérienne israélienne s’abat sur sa maison. Ses proches meurent sur le coup, dans leur sommeil. La victime la plus âgée de l’attaque était un homme de 86 ans. La victime la plus jeune avait à peine trois mois. Par cette frappe, ce sont trois générations de Palestinien.es d’une même famille qui ont été décimées, dont 16 enfants.
*Données recueillies au 31 août 2024
❗ À noter que pour définir un génocide, il n'existe pas de "seuil minimal" ou "maximal" de victimes effectives. Le critère retenu et indispensable est l’intention de détruire physiquement en tout ou partie le groupe protégé par la Convention. Pour justifier cette intention de destruction physique, la partie du groupe visé doit être substantielle. Les Palestinien·nes vivant à Gaza correspondent à 40% des 5.5 millions de Palestiniens (chiffre 2023).
Par ailleurs, dans un contexte de conflit armé, le « meurtre » peut comprendre le fait de causer la mort de civil·es par des attaques directes contre la population civile ou des biens de caractère civil, ainsi que par des attaques aveugles pouvant délibérément viser la population civile en même temps que des objectifs militaires.
Douleur et recueillement de proches de victimes d'une attaque israélienne contre la maison Faram après que leurs corps ont été amenés à l'hôpital Al Awda à Jabalia, Gaza, le 20 septembre 2024 © Collection privée
🔴 Des attaques indiscriminées
Nos expert·es ont travaillé sur 15 cas de frappes aériennes survenues entre le 7 octobre 2023 et le 20 avril 2024 dans le nord, le centre et le sud de Gaza.
Ces frappes ont touché :
➡️ 12 maisons et bâtiments résidentiels, une église, une rue, un marché public, tous situés dans des zones urbaines densément peuplées. La plupart ont eu lieu entre 23 heures et 4 heures du matin, surprenant les Palestinien·nes dans leur sommeil.
Au total, ces frappes ont causé la mort d’au moins 334 personnes, dont 141 enfants et blessé des centaines d’autres. Une analyse de tous les éléments de preuve a démontré que toutes les personnes tuées étaient des civil·es qui ne participaient pas activement aux hostilités. L’utilisation par l’armée israélienne d' armes explosives à large rayon d’impact, le moment et le lieu des attaques ainsi que l’absence d’avertissement montrent que ces attaques ont été menées de manière à causer un grand nombre de mort·es et de blessé·es parmi la population civile.
Ces 15 frappes ne représentent qu’une fraction de l’ensemble des attaques israéliennes. Mais l’étude de ces cas met en évidence une pratique généralisée d’attaques directes contre des civil·es et des biens civils ou d’attaques délibérément aveugles, en raison de l’absence d’objectifs militaires particuliers.
Préjudices physiques et mentaux graves
Les attaques incessantes et indiscriminées de l‘armée israélienne ont profondément, voire irrémédiablement affecté la population civile palestinienne, ce qui relève de l’acte II(b) de la Convention sur le génocide.
🔴 Des blessures irréversibles
Les bombardements intenses et continus ont entrainé des blessures profondes et irréversibles parmi la population palestinienne. Le nombre de personnes amputées est estimé à 4 500, parmi elles de nombreux enfants. Le cours de leur vie est à jamais bouleversé.
L’ampleur des attaques israéliennes n’a pas seulement contribué à blesser irrémédiablement les corps. Les esprits sont aussi durablement meurtris.
Derrière chaque vie décimée, il y a des familles endeuillées et traumatisées.
Mon corps a survécu, mais mon âme est morte avec mes enfants, elle a été enfouie sous les décombres avec eux.
Ahmad Nasman, a perdu ses parents, sa sœur, sa femme et ses trois enfants dans un bombardement israélien, 14 décembre 2023
🔴 Détentions au secret et torture
Entre février et juin 2024, nos équipes ont documenté 31 cas de détention au secret et ont réuni des preuves crédibles d'un recours généralisé à la torture et à d'autres mauvais traitements. Des prisonniers ont été battus, attaqués par des chiens, menottés, les yeux bandés, contraints de rester dans des positions inconfortables et stressantes pendant de longs moments. Ils ont également été privés de nourriture et détenus globalement dans des conditions inhumaines.
Des conditions de vie insoutenables
Au lendemain du 7 octobre 2023, Israël a imposé un blocus total à Gaza, coupant l’approvisionnement en électricité, en eau et en carburant. La soumission d’un groupe de personnes à un régime alimentaire de subsistance, la réduction des services médicaux nécessaires en deçà du minimum, l’expulsion systématique des logements, et plus généralement, la création de conditions entraînant une mort lente, comme la privation de nourriture, d’eau, de logement, de vêtements adéquats ou d’installations sanitaires relèvent de l’acte II (c) de la Convention sur le génocide.
Vue aérienne d'un bulldozer déblayant les décombres de bâtiments détruits à Khan Yunes, dans le sud de la bande de Gaza, le 22 avril 2024. © Collection privée
🔴 Des destructions matérielles sans précédent
La bande de Gaza est devenue un champ de ruines. Les destructions sont d’une ampleur jamais égalée dans aucun autre conflit du XXIème siècle.
Des expert·es en analyse de preuve ont noté que les dommages étaient “plus rapides et étendus” que tout ce qu’ils avaient cartographié auparavant.
Des Palestiniens déplacés empruntent la route côtière de Rashid pour retourner à la ville de Gaza en passant par Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, le 14 avril 2024.© Collection privée
🔴 Déplacements forcés et arbitraires
Le 13 octobre 2023, l'armée israélienne a émis son premier « ordre d’évacuation » de masse, demandant à plus d’un million de personnes de se déplacer « pour leur sécurité et leur protection », en ne prenant aucune mesure pour garantir leur accès aux produits de première nécessité. L'ordre s'applique à des centaines de milliers de personnes déjà déplacées et réfugiées dans des écoles de l'ONU, ainsi qu'à tous les patients et au personnel travaillant dans 23 hôpitaux et établissements médicaux de la région.
Nos équipes ont étudié au moins 59 « ordres d’évacuation » émis sur la page Facebook de l’administration militaire israélienne entre le 7 octobre 2023 et le 30 septembre 2024. Ces ordres, qui ont déclenché la plus grande vague de déplacement forcés de Palestinien·nes depuis 1948 étaient souvent trompeurs, arbitraires et parfois incompréhensibles pour la population.
Certaines personnes ont été déplacées jusqu’à dix fois. Après avoir été déplacés de force, des civil.es ont été bombardés par des frappes alors même que l’armée israélienne leur avait indiqué une « zone sûre ». Début 2024, l’armée israélienne a lancé des frappes aériennes sur des « zones humanitaires », sans avertir la population locale du changement des zones qu’elle allait bombarder. Ces « ordres d’évacuation » ont semé la panique et le chaos, contraignant les civil.es à fuir dans des zones désignées par l’armée israélienne, zones parfois insalubres, indignes et dangereuses, dépourvues des conditions les plus élémentaires pour survivre.
🔴 Aide humanitaire entravée
Ce volume était déjà souvent insuffisant pour la population de Gaza soumise au blocus (le nombre de camions nécessaires s’élève plutôt à 500 à 700 par jour). Dès le début de l’offensive israélienne, les points de passage vers Gaza ont été fermés par les autorités israéliennes. Après plusieurs semaines, quelques dizaines de camions ont été autorisés à entrer chaque jour et au compte-goutte, dans des quantités dérisoires par rapport aux besoins.
Des Palestiniens reçoivent des rations alimentaires à un point de donation dans un camp de déplacés à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 2 février 2024. © Collection privée
🔴 Une population confrontée à la famine
L’entrave de l’acheminement humanitaire a aggravé la situation humanitaire. La population assiégée est confrontée à la famine. Les enfants et les femmes enceintes sont parmi les premières victimes de la faim qui aura de graves effets sur le long terme.
*Source : Integrated Food Security Phase Classification
La malnutrition a empêché de nombreuses femmes d’allaiter leurs nouveau-nés. Faute d’approvisionnement, beaucoup de Gazaouis se tournaient dès le mois de février 2024 vers la consommation de plantes sauvages et de fourrage pour animaux.
🔴 Terres agricoles détruites
Destructions de vergers et de serres, qualité de la terre détruite, mort du bétail… les destructions des terres agricoles, qui ont atteint un niveau sans précédent, aggravent la catastrophe alimentaire sur le territoire.
Deux tiers des terres agricoles de l’enclave palestinienne ont été endommagés depuis le 7 octobre 2023, compromettant durablement les capacités de production, selon l’agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation.
Nous ne voyons pas d’avenir pour l’agriculture à Gaza après la guerre… Tout est détruit… Ce n’est pas l’histoire individuelle d’un pêcheur ou d’une femme travaillant dans une ferme, c’est celle du patrimoine qui a été volé à la population. Ils ont volé la capacité de produire de la nourriture.
Moyyad Ahmad, membre de l’Union des comités professionnels agricoles, 6 mai 2024
🔴 Destruction du système de santé
Nous avons analysé plusieurs actions des forces israéliennes.
➡️ D’abord les destructions ou graves dégâts infligés aux infrastructures médicales telles que les hôpitaux.
➡️ Ensuite les raids ciblés sur ces établissements conduisant à l’arrestation, à des blessures ou à la mort du personnel soignant.
➡️ Et enfin, les « ordres d’évacuation » massifs des hôpitaux et le refus des autorités israéliennes de permettre l'entrée de médicaments, et de centaines de fournitures médicales essentielles comme des bouteilles d'oxygène, des capsules de purification d'eau ou encore un respirateur.
L’ensemble de ces éléments ont contribué à l’effondrement du système de santé de Gaza.
Je ne dis plus aux gens que nous sommes à genoux en tant qu’organisation humanitaire. Nous sommes bien au-delà de cela. Nous sommes au stade de l’effondrement. N’importe quel événement risque d’entraîner la mort…
Un haut responsable humanitaire, deux mois après le début de l'opération terrestre à Rafah, juillet 2024
*Source : Nations unies, Banque mondiale et UE en mars 2024
L’extrême saturation des hôpitaux due au nombre élevé de blessé·es, à la situation humanitaire désastreuse et aux déplacements forcés de population, ne permet plus au personnel soignant une prise en charge des patient.es. Cela a notamment aggravé les blessures et le nombre d'amputations.
🔴 Des conditions sanitaires indignes
La surpopulation, associée au manque d’abris adéquats et d’installations sanitaires de base, a augmenté l'insalubrité alimentant la propagation des maladies et réduisant toute dignité humaine.
Des zones résidentielles entières, ciblées par des bombardements incessants sont devenues totalement inhabitables ; les déplacements forcés, la détérioration des conditions d’hygiène ont rendu la vie insoutenable : les insectes prolifèrent, la puanteur de l’air le rend irrespirable.
Ici, à Deir al Balah, c’est comme si c’était la fin du monde. […] On doit protéger nos enfants des insectes, de la chaleur, et il n’y a pas d’eau propre, pas de toilettes, et pendant ce temps, les bombardements incessants se poursuivent. On a l’impression d’être des sous-humains ici.
Mohammed, 42 ans, père de trois enfants, évoquant, en juin 2024, son déplacement de Rafah vers le gouvernorat de Deir al Balah.
La destruction rapide, massive et systématique d’infrastructures civiles, dont des établissements de santé, de terres agricoles et d’autres biens essentiels à la survie de la population civile, la répétition des « ordres d’évacuation » qui a entrainé un déplacement massif de la population, et le refus continu de permettre un accès adéquat à une aide humanitaire et à d'autres fournitures essentielles pour les habitants de Gaza révèlent un mode opératoire de la part de l’armée israélienne et plus généralement des autorités israéliennes destiné à entrainer une mort lente du groupe de Palestinien.nes.
L’intention génocidaire : des propos et des actes
🔴 Un contexte de déshumanisation
Il est important de rappeler que l’offensive israélienne à Gaza, déclenchée le 7 octobre 2023 après les atrocités commises par le Hamas dans le sud d’Israël, s’inscrit dans un contexte plus large et préexistant d’animosité des autorités israéliennes à l’encontre des Palestinien·nes, voire de déshumanisation systématique de la population palestinienne.
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Un système d’oppression, de domination et d'apartheid, ainsi que l’occupation militaire illégale et le blocus imposé à Gaza depuis 17 ans par les autorités israéliennes ont préparé le terrain des actes génocidaires qui ont suivi.
🔴 Des propos racistes et déshumanisants
Après le 7 octobre 2023, la rhétorique discriminatoire anti-palestinienne s'est considérablement intensifiée, imprégnant encore davantage la société israélienne.
Nous avons identifié au moins 102 déclarations de dirigeants israéliens, notamment des membres de la Knesset ou du cabinet de guerre, qui déshumanisent les Palestinien·nes, légitiment le génocide voire appellent à commettre des actes génocidaires ou d’autres crimes relevant du droit international. Parmi elles, 22 proviennent de hauts responsables directement en charge de l’offensive à Gaza et qui semblaient demander ou justifier des actes génocidaires, ce qui est une preuve directe de l’intention de commettre un génocide.
Ces déclarations ont précédé la mise en œuvre de nombreux actes illégaux à l’encontre des Palestiniens de Gaza, que nous avons recensés.
Sur le terrain, des soldats israéliens se sont emparés du message et ont à leur tour lancé des appels à « anéantir » la bande de Gaza. Une dizaine de vidéos analysées les montrent en train de célébrer les destructions qu'ils viennent de commettre sans aucune justification militaire apparente.
🔴 Une culture d’impunité
L’absence de sanction a renforcé un climat d’impunité qui légitime les violences massives contre la population palestinienne et permet aux violations les plus graves d’être commises.
Parallèlement, bien que les autorités militaires aient ouvert des enquêtes sur plusieurs dizaines d’incidents graves isolés, et notamment sur des cas de détenus palestiniens morts en détention, nous estimons avec d’autres organisations de droits humains que la réponse minimale de la justice militaire israélienne, qui contraste avec l’ampleur des violations documentées, révèlent l'incapacité du système judiciaire de rendre justice aux Palestinien·nes.
Recherches et opération de sauvetage dans les décombres de l'église orthodoxe grecque historique Saint Porphyrius détruite par une frappe aérienne israélienne, Gaza, le 20 octobre 2023. © Collection privée
Un mode opératoire révélateur
Au-delà des discours de haine, par leur répétition, leur caractère ciblé et indiscriminé, ces attaques constituent un mode opératoire révélateur de l’intention génocidaire de l'armée israélienne à Gaza.
En restreignant de façon extrême une aide humanitaire vitale, les autorités israéliennes ont créé les conditions propices à une mort lente et calculée des Palestinien.es de Gaza. Même après avoir annoncé le démantèlement du Hamas dans le nord de Gaza en janvier 2024, elles ont continué à entraver sévèrement l'accès humanitaire dans cette région, et ce malgré les alertes des Nations unies et les décisions contraignantes de la Cour internationale de Justice (CIJ) sur le risque de génocide.
Les autorités israéliennes avaient la possibilité d’améliorer la situation humanitaire à Gaza ; elles auraient pu atténuer l’impact de leurs actions et réduire les souffrances de la population civile en lui permettant d’accéder à des services essentiels. Pendant un an, elles ont refusé de prendre ces mesures qui étaient de toute évidence en leur pouvoir. Sous la pression de la communauté internationale, elles ont parfois fait des annonces en ce sens, mais les ont rarement concrétisées.
Par exemple, en avril 2024, l’armée israélienne déclare que 500 camions transportant nourriture, eau et abris entreront désormais quotidiennement à Gaza. Ces camions sont le seul approvisionnement pour toutes les fournitures venues de l’extérieur, la population en dépend donc très largement pour sa survie.
Cet engagement n’a jamais été respecté. Pendant la période, le nombre de camions entrés chaque jour est resté dérisoire, de quelques dizaines à 220 camions par jour selon les Nations unies. Cette quantité ne permet en aucun cas de couvrir les besoins essentiels des 2,2 millions de Gazaouis enfermés dans leur enclave.
Ces attaques indiscriminées et aveugles étaient susceptibles de provoquer un grand nombre de victimes parmi la population civile à Gaza, en raison de la densité de peuplement et des conditions précaires d’habitat des personnes déplacées. Les autorités le savaient. A plusieurs reprises, elles ont demandé à des civil.es d'évacuer d’un endroit à un autre, souvent dans un délai très court, avant de prendre pour cible l’endroit indiqué.
Beaucoup de frappes ont également eu lieu la nuit, pendant le sommeil des victimes. Au vu du nombre élevé de familles, souvent déplacées, regroupées à chaque adresse, et de l’absence d’objectif militaire identifié, les pertes civiles massives étaient prévisibles, et donc évitables. Ces attaques indiscriminées concourent donc à révéler l’intention de détruire.
Bien que la destruction de biens ou de patrimoines historiques, culturels et religieux ne soit pas considérée comme un acte prohibé par la Convention sur le génocide, la Cour internationale de justice (CIJ) a établi qu'une telle destruction peut constituer une preuve de l'intention de détruire physiquement le groupe lorsqu'elle est effectuée délibérément.
Des sites d’une importance capitale pour l'identité nationale palestinienne, la mémoire collective et le tissu social de Gaza ont été endommagés ou détruits.
En mars 2024, une enquête de Bellingcat et Scripps News a recensé la destruction ou l'endommagement de 100 mosquées et de 21 cimetières. Quatre vidéos analysées prouvent que les forces israéliennes contrôlaient certains sites au moment des faits, ce qui laisse penser que leur destruction ne répondait à aucune nécessité militaire impérative. Les vidéos contiennent également des instructions fictives sur la manière de détruire une mosquée ou montrent des soldats israéliens célébrant ou se moquant de la destruction, ou brûlant des livres religieux à l'intérieur des mosquées endommagées.
De même, le système éducatif à Gaza a été anéanti. L’ampleur sans précédent des destructions aura des conséquences indéniables sur la viabilité de l’éducation à Gaza dans les années à venir.
Les justifications des autorités israéliennes à l’épreuve du droit international
Les autorités israéliennes considèrent leurs actions militaires contre l’enclave de Gaza comme la réponse nécessaire aux terribles attaques du 7 octobre 2023, assurent vouloir seulement détruire le Hamas et reconnaissent parfois agir “simplement avec imprudence” pour justifier les énormes pertes humaines et matérielles causées par leurs actions militaires.
🔖Les autorités israéliennes invoquent le droit de se défendre après les attaques du 7 octobre 2023.
🔎Tout État a le droit et l’obligation d’assurer la protection des personnes sous sa juridiction. Ceci ne l’autorise pas pour autant à conduire des actions qui violent délibérément le droit international des droits humains ou le droit international humanitaire.
🔎 Rien ne peut justifier les crimes internationaux, tels les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou le crime de génocide. Les menaces qui pèsent sur la sécurité d’Israël ne peuvent en aucun cas justifier la commission d’un génocide à Gaza.
🔖 Les autorités israéliennes affirment que leurs attaques sont ciblées envers les combattants du Hamas, dans un objectif militaire.
🔎 Notre rapport démontre que l’objectif militaire israélien coexiste avec une intention génocidaire envers la population palestinienne de Gaza.
L’armée israélienne a recours à des attaques aveugles, indiscriminées et/ou disproportionnées contre les civil·es et les biens à caractères civils, ce qui relève du crime de guerre et est contraire au droit international.
De plus, l’armée israélienne utilise des armes explosives à large rayon d’impact qui touchent de larges périmètres au sein de zones surpeuplées, proches d’hôpitaux et de bâtiments civils. Nous dénonçons ce schéma répétitif d’attaques aveugles contre la population civile par l’armée israélienne, commis dans une intention génocidaire.
🔖 Les autorités israéliennes rejettent la responsabilité des victimes civiles palestiniennes sur le Hamas qui utiliserait les civil·es comme boucliers humains.
🔎 Nous avons dénoncé à plusieurs reprises la présence de combattants du Hamas et d’autres groupes palestiniens armés parmi la population civile, mettant cette dernière en danger. Toutefois, leur présence parmi la population civile n’absout pas Israël de son obligation, en vertu du droit international humanitaire, à prendre toutes les précautions possibles pour épargner la vie des civil·es.
🔖 L'armée israélienne indique qu’elle a donné à de multiples reprises des avis d'évacuation et a essayé d'avertir les civil·es de quitter les zones susceptibles d'être prises pour cible.
🔎 Nos recherches et analyses ont montré que les autorités israéliennes ont utilisé à plusieurs reprises les « ordres d'évacuation » massive comme un outil de déplacement forcé plutôt que pour protéger la vie des civil·es. De nombreux civil·es déplacé·es ont été victimes de frappes alors que les autorités israéliennes leur avaient indiqué se déplacer dans “un lieu sûr.”
Conclusions et appel à l’action
Pendant des mois, les autorités israéliennes ont persisté à commettre des actes génocidaires, en ayant pleinement conscience des préjudices irréparables qu’elles infligeaient aux Palestinien·nes de Gaza. Les déclarations déshumanisantes de responsables israéliens, l'ampleur des attaques, le nombre de victimes civiles, la répétition d'actes destructeurs visant systématiquement le même groupe indiquent une intention génocidaire.
Le fait que les autorités israéliennes considèrent la destruction de la population palestinienne comme nécessaire pour détruire le Hamas ou comme une conséquence acceptable de cet objectif, le fait qu’elles voient les Palestinien·nes comme une population sacrifiable ne méritant aucune considération attestent de leur intention génocidaire.
Une seule conclusion raisonnable est possible : ce que vise Israël est la destruction physique des Palestinien·nes de Gaza, que ce soit parallèlement à son objectif militaire d’élimination du Hamas ou comme moyen d’y parvenir.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International
🟠Agir maintenant pour mettre fin à la poursuite du génocide
L’urgence est de mettre fin au génocide en cours commis par l’Etat d’Israël envers la population palestinienne de Gaza.
Afin que cesse immédiatement le génocide, nos demandes s’adressent :
🟠 Appliquer un cessez-le-feu immédiat et durable dans la bande de Gaza
🟠 Se conformer à toutes les décisions de la Cour internationale de justice (CIJ) depuis le 26 janvier 2024, demandant à Israël de mettre un terme aux actes interdits au titre de la Convention sur le « génocide »
🟠 Autoriser l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire et permettre l’accès aux services essentiels
🟠 Ne plus déplacer de force la population civile palestinienne et permettre la libre circulation des personnes à Gaza
🟠 Cesser le système d’apartheid dont sont victimes les Palestinien·nes
🟠 Mettre fin à l’occupation illégale à Gaza et dans le reste du territoire palestinien occupé
🟠 Mettre fin au blocus imposé à Gaza depuis 17 ans
🟠 Appliquer un cessez-le-feu immédiat et durable dans la bande de Gaza
🟠 Libérer immédiatement et sans conditions les civils retenus en otages depuis le 7 octobre 2023
Nous rappelons à la communauté internationale son obligation de prévenir et punir le génocide, en vertu du droit international. Elle doit ainsi :
🟠 Obtenir d’urgence un cessez-le-feu à Gaza
🟠 Cesser tout transfert d’armes vers Israël afin de ne pas être complices du génocide en cours
🟠 Prendre les mesures nécessaires pour traduire en justice les auteurs des crimes relevant du droit international, notamment en ayant recours à la compétence universelle
🟠 Faire en sorte qu’Israël mette en œuvre toutes les mesures conservatoires ordonnées par la Cour internationale de justice (CIJ)
🟠 Tous les États membres de la Cour pénale internationale (CPI) doivent montrer qu'ils respectent les décisions de la Cour en arrêtant et en livrant les responsables israéliens et palestiniens contre lesquelles un mandat d’arrêt a été émis
🟠 Imposer un embargo complet sur les armes à Israël, au Hamas et aux autres groupes armés palestiniens
🟠 Imposer des sanctions ciblées, telles que le gel des avoirs, à l'encontre des responsables israéliens et du Hamas les plus impliqués dans des crimes de droit international
🟠 Faire avancer le retrait d'Israël du territoire palestinien occupé, conformément à l'avis consultatif de la CIJ du 19 juillet 2024 et à la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies du 18 septembre 2024
🟠 Envisager de toute urgence d'ajouter le crime de génocide à son enquête en cours sur les crimes présumés commis par des responsables israéliens depuis le 7 octobre 2023
L'impunité totale qui règne envers le génocide en cours commis par l’Etat d’Israël à Gaza doit immédiatement cesser. Nous appelons toutes les parties à coordonner leurs efforts pour stopper le génocide.
Les yeux du monde sont rivés sur Gaza. Tous les Etats, dont la France, ont un rôle majeur à jouer : ils ont l’obligation de prévenir et de punir le génocide.
Faites pression sur Emmanuel Macron pour qu’il agisse !