Alors que le Yémen connaît la « pire crise humanitaire au monde », la légalité des ventes d’armes de la France à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis est mise en cause.. Une situation aujourd’hui dénoncée par un cabinet d‘avocats sollicité par Amnesty International France et l’ACAT pour émettre un avis juridique.
En tant que partie au Traité sur le commerce des armes , la France s’est engagée à ne pas autoriser les transferts d’armements dès lors qu’il existerait un risque prépondérant ou clair que ces armes puissent être utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves du droit international humanitaire (DIH).
Le 25 mars 2015, une coalition internationale menée par l’Arabie saoudite (Bahreïn, Égypte, Jordanie, Koweït, Maroc, Soudan, Émirats arabes unis) lance des frappes aériennes contre le groupe armé houthi au Yémen, déclenchant un conflit armé de grande ampleur en cours encore aujourd’hui.
Notre dossier : le Conflit au Yémen
La France vend des armes à une coalition coupable de violations graves envers la population
La France a continué ses livraisons de matériels de guerre (véhicules blindés de combats, intercepteurs maritimes, artillerie, missiles, matériel de ciblage équipant les avions de chasse saoudiens, etc.) à l’Arabie saoudite et aux EAU, malgré le fait qu’ils puissent être utilisés pour commettre ou faciliter des crimes de guerre par la coalition. La France a vraisemblablement continué à livrer des munitions et à assurer la maintenance de matériels bien qu’ils soient engagés au Yémen, à l’exemple de chars Leclerc. La France a aussi fourni une assistance technique sur les Mirages 2000-9 émiriens utilisés dans le cadre du conflit.
Il semble aujourd’hui incontestable que la France ait eu connaissance des violations par les différentes parties au conflit yéménite. L’attitude de la France est plus grave encore du fait qu’elle a obligation au regard du droit international, même si elle n’est pas partie au conflit en cours, de faire respecter les conventions de Genève en toute circonstance, et de s’abstenir d’assister la commission de violations du droit international humanitaire.
Les violations du droit humanitaire par la coalition ont eu lieu de façon « généralisée et systématique » depuis le début du conflit selon les Nations unies : attaques de civils et de biens civils (bombardements de marchés, hôpitaux, commerces ou écoles), conséquences tragiques du blocus sur les civils et utilisation d’armes prohibées telles que les bombes à sous-munitions.
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Double discours ?
Si la France assure qu’elle applique une politique de contrôle de ses exportations d’armement rigoureuse, elle a pourtant bien accordé en 2016 des licences à des entreprises françaises pour la fourniture de matériels de guerre - et assimilés - à l’Arabie saoudite, pour un montant de plus de 19 milliards d’euros. Côté Émirats arabes unis, c’est un montant de 25,6 milliards d’euros de licences qui a été octroyé par la France.
Le gouvernement français continue à autoriser la signature de nouveaux contrats, tels que récemment, la vente annoncée de corvettes Gowind 2500 aux EAU ou la fourniture de patrouilleurs de type Combattante FS56 à l’Arabie saoudite. Il existe pourtant un risque de voir ce type de navires engagés dans le blocus naval des ports yéménites par la coalition, contribuant ainsi à la sanction collective imposée à la population civile yéménite.
Si la responsabilité de l’actuelle catastrophe humanitaire au Yémen incombe avant tout aux forces gouvernementales et aux pays de la coalition ainsi qu’au mouvement houthi et à ses alliés, les fournisseurs d’armes aux belligérants, tels que la France, endossent également une responsabilité morale, politique et légale pour les conséquences dramatiques liées à l’usage qui en est fait.
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Opacité, manque de contrôle et déficit démocratique
Il existe un manque considérable de transparence de la part des autorités françaises dans les exportations et ventes d’armes autorisées par la France. Les délibérations de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre(CIEEMG), chargée d’examiner les demandes de licences, sont absolument confidentielles.
En termes de transparence, la France fait aujourd’hui le strict minimum. Si le Ministère des Armées remet chaque année un rapport sur les exportations de la France au Parlement, ce document n’apporte aucune information exhaustive et détaillée sur les types d’armes fournies, en quelle quantité, pour quel type de destinataire et quelle utilisation finale. Ce rapport ne permet absolument pas de s’assurer que la France respecte ses obligations internationales relatives au TCA et à la Position commune. Il est impératif que le Parlement débatte des ventes d’armes françaises et exerce un contrôle sur celles-ci.
Le rapport au Parlement ne permet même pas de savoir si la France a refusé d’autoriser des exportations d’armements vers l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes unis en raison du risque d’utilisation dans le conflit yéménite. Il est impossible de savoir non plus si des licences octroyées avant le début du conflit ont été suspendues ou annulées depuis avril 2015. La poursuite des livraisons permet d’en douter. Les dispositions du code de la Défense permettant de revenir sur des licences accordées sont un outil essentiel pour garantir le respect, par la France, de ses engagements internationaux malgré des changements de contexte dans les pays importateurs.
En avril 2015, un embargo sur les armes aux rebelles houthis est voté par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Aujourd’hui, la coalition menée par l’Arabie saoudite continue par contre de recevoir des livraisons d’armements, entre autres, de la part du Royaume-Uni, des Etats-Unis et de la France. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unies étant les deux principaux pays engagés dans le conflit, l’avis juridique porte sur ces deux pays.
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