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URGENCE PROCHE ORIENT

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Portrait de Shole Pakravan / © Peter Wassing  
Peine de mort et torture

Iran : le combat d’une mère pour sauver sa fille d’une exécution

Téhéran, 2014, un samedi d’octobre, à l’aube. Shole Pakravan apprend l’exécution de sa fille, Reyhaneh, condamnée à mort en 2007 pour avoir poignardé l’homme sur le point de la violer. Durant sept ans, cette mère aura tout fait pour sauver sa fille. Un combat raconté dans le film « Sept hivers à Téhéran » qui met en lumière un système judiciaire iranien érigé contre les femmes. Rencontre avec cette mère qui poursuit son combat pour l’abolition de la peine de mort et qui reste déterminée à porter la voix de sa fille et, avec elle, celle de la jeunesse iranienne.

« Ce film n’est pas uniquement l’histoire de ma fille. Au moment où vous le regarderez, dites-vous que le régime continue de faire subir le même sort à de jeunes Iraniens. », déclare Shole Pakravan devant un jeune public, avant le début de la projection de « Sept hivers à Téhéran », dans la salle comble d’un cinéma parisien, boulevard Saint-Germain.

Voir : Bande-annonce du film "Sept hivers à Téhéran"

Shole Pakravan sort de la salle sous les applaudissements. Avant même d’avoir vu le film, le public salue son courage. Tandis qu'il découvre l’histoire de sa vie, l’histoire de sa fille, nous nous installons avec Shole Pakravan dans un bureau du cinéma. Elle nous confie son émotion de voir autant de jeunes présents dans la salle, venus écouter son histoire. Puis elle revient sur l'importance que ce film soit vu, du pouvoir de la solidarité internationale, de son regard sur les manifestations actuelles en Iran, de son espoir pour son pays et de son combat, universel, contre la peine de mort. Entretien.

Shole, en quoi était-il nécessaire pour vous de raconter le combat de votre vie dans « Sept Hivers à Téhéran » ? 

Dans sa dernière lettre avant son exécution, ma fille m’a écrit  : « Maman, laisse-moi partir, donne-moi au vent afin qu’il m’emporte. » J’ai laissé ma fille partir. Aujourd’hui, avec ce film, je lui donne des ailes. Reyhaneh peut s’envoler : son histoire ira partout. Ce film, qui raconte l’histoire de ma vie, était essentiel pour honorer l’une des dernières volontés de ma fille. 

Reyhaneh Jabbari lors de son procès en 2008

Au-delà de cette raison très personnelle, ce film permet de montrer au monde entier ce qui se passe en Iran et ce que les familles de victimes d’exécution endurent chaque jour. Quand j'étais jeune, je ne savais rien des exécutions qui avaient lieu dans mon pays. Après l’exécution de Reyhaneh, en 2014, j'ai rencontré des mères dans la même situation que moi. Ce sont elles qui m’ont donné la force de me battre, à un moment où je voulais moi-même mourir. Moi et ma famille nous nous sommes battues pour empêcher l’exécution de Reyhaneh. Quand ce terrible jour est finalement arrivé, c’était le début de notre douleur, irréparable. Il était nécessaire que les gens comprennent l’atrocité d’un système et ce que signifie une exécution.

Organiser une projection-débat du film « Sept Hivers à Téhéran » 

Votre fille, Reyhaneh, est devenue un symbole de la lutte pour les droits des femmes en Iran, comme Mahsa Jina Amini… Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir aujourd’hui ? 

Je fonde mon espoir sur la nouvelle génération ! J’avais 14 ans au moment de la révolution islamique d’Iran. J’étais une adolescente lorsque les mollahs sont arrivés au pouvoir. Au lycée, ils nous demandaient désormais de porter le hijab. Nous avons accepté. Lorsque ma génération a atteint l'âge du mariage, le régime avait instauré une série de lois en faveur des hommes. Nous avons accepté. Les lois ne nous donnaient aucun droit au divorce, les lois nous obligeaient à avoir la permission de notre père ou de notre mari pour partir en voyage ou ne serait-ce que pour avoir un travail. Nous avons accepté. À chaque fois, nous avons accepté, nous avons obéi aux ordres.

"Ma génération acceptait la lois des mollahs et avait peur de tout. Mais la nouvelle génération, elle, elle n’accepte plus, elle n’a plus peur de rien !"

Les images que j’ai vu d’Iran ces derniers mois sont fantastiques. Beaucoup de jeunes en ce moment continuent de se battre en Iran. Une jeune fille, comme de nombreux autres manifestants, a récemment perdu un œil sous les balles de la police. Quand on lui demande si ça en valait la peine, elle répond : « Oui, je peux continuer de me battre avec un seul œil !  ». Leur courage, leur détermination est incroyable.

Manifestation en Iran - 2022 / © private

Lire aussi : En Iran, le soulèvement des femmes pour la reconquête de leurs droits

Ma fille, Reyhaneh, je la retrouve à travers chacune de ces femmes, de ces filles aujourd’hui dans la rue, telles des combattantes qui veulent récupérer les droits qu’on leur a volés. Cette nouvelle génération, je crois profondément en elle. Les mollahs doivent savoir que leur ennemi juré c’est la nouvelle génération. Cette génération qui a décidé de défendre ses droits et l'égalité. Elle gagnera, j’en suis persuadée. « Femme, vie, liberté ! »

Depuis l’arrestation et la condamnation à mort de votre fille, vous avez fait de la lutte contre la peine de mort le combat de votre vie. Comment avez-vous fait de votre histoire personnelle un combat universel ?

Avant que ma fille ne soit arrêtée, j'étais une artiste. J’ai été comédienne pendant presque trente ans en Iran. Avec la condamnation de Reyhaneh, je me suis transformée en un soldat de la justice. Ma vie aujourd’hui c’est de rechercher la justice. Tel est mon seul et unique rôle. Et c’est curieux, mais je ne pense même plus à ma vie d’avant. En tant que soldat de la justice, je souhaite faire prendre conscience que les exécutions ne sont pas qu’un simple mot, ni un simple chiffre.

"L’Iran a aujourd’hui des lois du Moyen-Âge. Nous sommes au XXIe siècle !"

Le recours à la peine de mort n’est pas une punition normale pour une personne coupable. Un système qui a recours à la peine de mort n’est plus compatible avec notre monde actuel. Nous devons arrêter les exécutions en Iran.

Lire aussi : En Iran, la peine de mort utilisée pour étouffer le soulèvement

Depuis le début du soulèvement de septembre 2022, êtes-vous toujours en contact avec des familles de personnes condamnées à mort en Iran ? 

Bien sûr, je suis encore en lien avec plusieurs d’entre elles. C’est important de rappeler que les exécutions se poursuivent. Depuis le début du soulèvement, en septembre 2022, les autorités ont arrêté beaucoup de jeunes. Je me souviens encore du soir où Mohammed Hosseini et Mehdi Karami ont été arrêtés dans le cadre des manifestations et placés en cellule d'isolement. Concrètement, cela signifiait qu’il pouvait s’agir de leur dernière nuit : ils pouvaient être exécutés dans les heures ou les jours à venir.

Soutenez les jeunes iraniens qui risquent l'exécution

Cette nuit-là, je n'ai pas pu dormir une seule seconde. J’ai revécu la même nuit que celle que j’avais passé lors de l’exécution de ma fille. Je la revis chaque fois que j’apprends que quelqu’un est sur le point d’être exécuté en Iran. Suis-je coupable ? Ai-je fait quelque chose de mal ? Pourquoi ce châtiment me punit-il ? C’est essentiel que tout le monde réalise l’immense douleur infligée aux proches. C'est aussi pourquoi il était important de réaliser ce film, car c’est ce qu’il montre. 

Quelle est l’importance de la solidarité internationale pour soutenir les familles de condamnés à mort ? 

Lorsque ma fille a été arrêtée puis condamnée à mort, ma famille et moi pensions que nous étions seules au monde. Dans l'obscurité, nous cherchions un peu de lumière, aussi infime soit-elle. Elle est venue d’ONGs comme Amnesty International qui se sont mobilisées pour ma fille. Le simple fait de savoir que quelqu'un pensait à nous, que quelqu'un voulait nous aider, que quelqu’un soutenait Reyhaneh, était déjà un immense soulagement et nous apportait de la joie. Lorsqu'Amnesty International publie un rapport ou soutient une personne qui risque la peine de mort en Iran, vous ne pouvez pas imaginer la force que vous donnez à sa famille.

Si le film permet une prise de conscience qui puisse renforcer la pression sur le gouvernement iranien, ce serait formidable. En Iran, nous avons l’un des niveaux les plus élevés d'exécutions. Des centaines de personnes sont condamnées à mort. Chaque condamnation qui peut être évitée est un succès. D’où la nécessité du soutien international et du film.

Beaucoup de personnes se sentent totalement démunies dans leur action de solidarité face à la brutalité du régime iranien. Comment, depuis l’étranger, soutenir et accompagner le soulèvement en cours en Iran ? 

Je comprends leur désarroi mais les Iraniens ne demandent pas qu’on fasse la révolution à leur place, ils s’en occupent ! La révolution, ils sont en train de la faire dans la rue.

"La seule chose que les Iraniens demandent c’est que les gouvernements étrangers ARRÊTENT de soutenir le régime des mollahs."

À votre niveau, en tant que citoyen, citoyenne, militant, militante, vous pouvez soutenir le peuple iranien. Faites pression : signez des pétitions, parlez à vos amis, à vos collègues, à votre famille, à vos parlementaires, parlez autant que possible de ce qui se passe en Iran. Nous vivons dans un seul et même grand village, nous sommes connectés les uns aux autres.

Vidéo : Robert Badinter, une vie de lutte contre la peine de mort

En France, vous avez aboli la peine de mort. Vous vous êtes battus pour cela. Je veux apprendre comment je peux participer à l’avènement d’un Iran et un monde sans exécutions ! Ce qui se passe en Iran ou dans toute autre région du monde qui bafoue la dignité humaine nous concerne toutes et tous. La lutte contre la peine de mort est un combat universel. Où que nous soyons, nous pouvons et devons lutter contre la peine de mort, que ce soit en Iran, en Chine, en Arabie saoudite, au Bangladesh et même aux États-Unis. Nous devons arrêter cela !

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Voir "Sept hivers à Téhéran"

« Ce film n’est pas uniquement l’histoire de ma fille. Au moment où vous le regarderez, dites-vous que le régime continue de faire subir le même sort à de jeunes iraniens. », Shole Pakravan.

Nous sommes partenaires de ce film choc, poignant, nécessaire, qui résonne tout particulièrement dans le cadre du soulèvement actuel en Iran qui porte haut « Femme, Vie, Liberté ! ».