Chaque nuit, des hommes, des femmes et des enfants traversent la frontière franco-italienne par la montagne au péril de leur vie. Dans le même temps, l’État français organise des contrôles des plus répressifs pour traquer ces personnes. C’est pour cela que le 12 mars 2022, nous étions au col de Montgenèvre pour participer à La grande maraude solidaire organisée par l’association Tous migrants. Un événement pour mettre en lumière ce que vivent les personnes exilées aux frontières françaises.
Qu’est-ce que la maraude ?
Dans le contexte briançonnais, la maraude consiste à se rendre dans la montagne, au col de Montgenèvre, à la rencontre des personnes exilées qui tentent la traversée de la frontière franco-italienne. L’objectif est de leur prêter assistance car ce chemin est très périlleux à cause des conditions climatiques souvent extrêmes. Elles risquent l’hypothermie, des engelures ou, pire encore, la mort.
Samedi 12 mars 2022 au soir, plus de 300 personnes se sont mobilisées pour participer à La grande maraude solidaire organisée par l’association Tous Migrants. Nous étions à leurs côtés avec Médecins du Monde, Médecins sans frontières, La Cimade, l’Anafé, le CCFD Terre solidaire et le Secours catholique.
Ensemble, nous avons manifesté pour dénoncer ces politiques répressives et déshumanisantes qui obligent les personnes migrantes à prendre davantage de risques en montagne. Pour dénoncer le non-respect du droit d’asile garanti par la Convention de Genève. Pour dénoncer les pratiques de la police aux frontières qui consistent à enfermer illégalement les personnes exilées dans des lieux de rétention puis à les renvoyer vers l’Italie. Pour dénoncer les refoulements systématiques.
On est là pour dire que nous n’acceptons pas que des gens meurent dans la montagne, que des gens subissent des amputations, que des gens souffrent d’hypothermie. […] Nous n’acceptons pas que des gens soient refoulés en dépit du droit alors qu’ils ne demandent qu’une seule chose : une vie meilleure.
Agnès Antoine
Porte-parole association Tous Migrants
La traque des personnes exilées
Depuis plus de cinq ans, au col de Montgenèvre, la situation reste inchangée : des personnes traversent la frontière par la montagne, en altitude, sur des sentiers enneigés, par des températures négatives. Dans le même temps, l’État français continue ses pratiques de refoulement systématique contraignant les personnes exilées à emprunter des itinéraires toujours plus dangereux. Des personnes sont mortes, d’autres ont disparu, d’autres encore sont blessées et handicapées à vie, la plupart sont traumatisées par cette traversée…
Les maraudeurs en pleine montagne, col de Montgenèvre, 12 mars 2022 © Gael Grilhot / Amnesty International France
Depuis 2015, nous avons assisté à un renforcement des membres des forces de l’ordre à la frontière entre l’Italie et la France. Au col de Montgenèvre, ce sont des centaines de policiers et gendarmes qui ont été déployés pour traquer, contrôler et refouler les exilés qui tentent cette dangereuse traversée.
La France est ainsi devenue une forteresse. Elle s’était pourtant engagée à protéger, à accueillir et à garantir le droit d’asile aux personnes qui en ont besoin. Malheureusement, tout est fait à nos frontières pour que ce droit ne soit pas respecté.
Malheureusement, ce n’est pas qu’à Montgenèvre. La même chose se passe à Calais, Grande-Synthe, à la frontière franco-espagnole.
Corinne Torre
Porte-parole de Médecins sans Frontières
Une crise de l’accueil
Loin d’être une crise migratoire, il s’agit bel et bien d’une crise de l’accueil. La façon avec laquelle les États européens se sont engagés à accueillir les personnes fuyant l’Ukraine démontre bien que nous avons les moyens de respecter les droits des exilés et de les accueillir dignement.
Nous dénonçons ces politiques qui rendent malades et la crise de l’accueil à géométrie très variable en ce moment avec les bons et les mauvais migrants.
Jean-Luc Pesle
Porte-parole de Médecins du Monde
Lors de la prise de parole devant la police aux frontières, Agnès Antoine de Tous migrants a ajouté : « Avec les événements en Ukraine, tout d’un coup, on se rend compte que les gens qui fuient la terreur ont le droit de demander la protection en France ou dans d’autres pays. […] Une situation qui prouve que la France a la possibilité d’accueillir. »
Les maraudeurs devant le poste de la police aux frontières © Soundous Jeljoul / Amnesty International France
Droit d’asile : que dit la loi ?
Les personnes exilées disposent de droits protégés par le droit international, quels que soient la manière dont ils arrivent dans un pays et le but de leur déplacement : elles bénéficient des mêmes droits que n’importe quel autre être humain. Le principe juridique de « non-refoulement » signifie que personne ne devrait être contraint de retourner dans un pays où sa vie ou son bien-être est susceptible d’être menacé.
À titre d’exemple, les prises de parole des associations, devant le poste de la police aux frontières, ont été interrompues par l’arrestation de personnes exilées : parmi elles une femme enceinte de sept mois et des enfants. Finalement, ces personnes ont pu éviter le renvoi vers l'Italie et ont été conduites au Refuge solidaire. Plus tard, dans la soirée, quatre autres personnes ont pu être secourues lors de la Grande Maraude. Selon l'association Tous migrants, chaque nuit, entre 10 et 30 personnes exilées peuvent traverser la montagne dans des conditions de grand froid.
Dans le viseur des autorités
Face à cette situation dramatique, des bénévoles de la région organisent des maraudes, en ski ou à pied, dans des zones situées près de la frontière, pour venir au secours des personnes réfugiées ou migrantes.
Il y a moins de morts grâce à vous [les maraudeurs]. Continuez à le faire, vous êtes à vous seuls, à vous tous une grosse ONG.
Corinne Torre, Médecins sans frontières
Mais, au lieu d’être applaudies, ces personnes sont poursuivies, intimidées et stigmatisées.
Comprendre : Qu’est-ce que le délit de solidarité ?
Découvrez le combat de plusieurs collectifs qui déploient chaque soir des maraudes pour venir en aide à ces personnes exilées en danger et en détresse totale. 👇
Nos demandes au gouvernement français
Le droit d’asile en France et en Europe doit être respecté et protégé, notamment à nos frontières. Ceci inclut le principe de non-refoulement, interdisant aux États d’expulser une personne vers un pays dans lequel il existe un risque sérieux qu’elle soit soumise à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
La France doit user de toute son influence au sein de l’Union européenne pour que le règlement Dublin soit révisé afin de garantir les droits des demandeurs et demandeuses d’asile à toutes les étapes de leur procédure, et afin qu’un système équitable de répartition des réfugiés et demandeurs d’asile entre les États membres de l’Union européenne soit mis en place.
Les politiques migratoires de la France et de l’Union européenne doivent inclure un renforcement de voies légales et sûres, notamment en facilitant le rapprochement familial et en augmentant le nombre d’admissions humanitaires et de réinstallation, en particulier pour les personnes les plus vulnérables.
La France doit s’assurer que l’Union européenne et les États membres ne financent pas d’initiatives de contrôle migratoire qui seraient contraires au respect des droits humains (centres fermés, murs, bateaux pour les garde-côtes libyens…)
La France doit respecter les droits fondamentaux de toutes les personnes exilées présentes sur son territoire quelle que soit leur situation administrative, en garantissant des conditions d’accueil et d’hébergement dignes et en mettant fin aux traitements inhumains et dégradants qu’elles subissent actuellement aux frontières avec la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne.
Les citoyennes et citoyens et les associations qui défendent les droits des personnes exilées ne doivent pas faire l’objet de poursuites pour leurs actions de solidarité. La France doit soutenir publiquement les initiatives de la société civile et protéger ceux et celles qui s’engagent pour la défense des droits des personnes exilées.