Se réapproprier son histoire et son combat. C’est ce que nous invitons plusieurs personnes contraintes à l’exil à faire lors d’une rencontre que nous organisons au Festival d’Avignon, le samedi 16 juillet. Derrière l’Histoire avec un grand H, que reste-t-il de ces milliards d’histoires de vies ? Comment les discours dominants stigmatisent-ils les personnes qui ont vécu l’exil ? Comment faire pour que ces personnes soient entendues ? Quel impact ont les mots sur notre perception des situations que vivent les personnes exilées mais aussi sur ces personnes elles-mêmes ?
On oublie trop souvent le pouvoir que peuvent avoir les mots. Parfois même le pouvoir d’un seul. Il y a des mots qui protègent et des mots qui condamnent. Et quand on parle d’exil, des mots, il y en a ! Il y a les mots qui simplifient, les mots qui rejettent et les mots qui repoussent.
Ces mots qui stigmatisent les personnes exilées et les rejettent
« Nous voulions vivre dans notre pays, heureux. Pas ici sous le nom de “réfugiés”», Mursal Sayas dans le reportage Les exfiltrés de Kaboul du média indépendant Les jours
Après avoir fui leur pays pour échapper à la guerre, aux persécutions ou à la misère, les personnes exilées se retrouvent parfois dépossédées de leur histoire personnelle, de leur singularité. Quel que soit leur métier, leur âge, leur parcours, elles sont réduites à des termes qui, parfois, les déshumanisent.
« Nous voulions vivre dans notre pays, heureux. Pas ici sous le nom de “réfugiés”»
Mursal Sayas
Les discours dominants parlent de « flots », « vagues » ou « flux migratoires », comme si les personnes exilées ne formaient plus qu’une masse indistincte totalement dépersonnalisée.
Les discours dominants parlent de « flots », « vagues » ou « flux migratoires », comme si les personnes exilées ne formaient plus qu’une masse indistincte totalement dépersonnalisée. Parfois, on les tient même responsables d’avoir quitté leur pays. Comme si elles l’avaient choisi. « Venir en France, ça ne venait pas de moi. J’avais 14 ans quand on est partis » confie Sow Saifoulaye dans un interview à Brut.
Quand on parle par exemple de « crise des réfugiés », c’est loin d’être neutre. Cela est au contraire culpabilisant et sous-entend que les personnes réfugiées ont elles-mêmes créé une crise, un climat d’instabilité. En plus d’être déconnectées de la réalité, ces expressions qui stigmatisent et rejettent, peuvent avoir un impact réel sur les personnes concernées.
« Quand je lis des affiches sur les murs, où il est inscrit « Refugees not welcome », les battements de mon cœur s’accélèrent. Qui que vous soyez, si vous n’avez pas la peau blanche, les gens d’ici vous voient comme des « réfugiés ». Ils vous dévisagent comme si vous veniez d’une autre planète. »
Suhel, 29 ans, Bangladais dans le livre Paroles de migrants de Pauline Bandelier.
Comment sortir de ces représentations et permettre aux personnes exilées de raconter leur propre histoire ? D'abord en leur donnant un espace d'expression, comme nous l'indique Gulwaly Passarlay, un homme réfugié afghan.
"C'est important et juste de donner la parole aux personnes exilées. Ce ne sont pas des statistiques et des chiffres. Bien sûr, nous ne devons pas forcer les personnes à raconter leur histoire et les obstacles qu'ils ont rencontrés mais il est nécessaire de leur offrir la possibilité de le faire."
Gulwali Passarlay
L’Art pour changer de perception
L’Art peut être un vecteur de sensibilisation très puissant en cela qu’il donne à voir de multiples facettes des réalités humaines. Il permet aussi aux spectateurs ou aux lecteurs de s’identifier à des réalités qui leur paraissent parfois lointaines et de se mettre à la place d'autrui.
L’Art pourrait-il être une solution pour se réapproprier son histoire ? Dans le cadre d’une rencontre au Festival d’Avignon, nous avons posé la question à plusieurs personnes qui ont vécu l'exil.
L'Art est un bon moyen de faire passer un message de manière non menaçante. Nous devons trouver des moyens créatifs et penser à l'art pour partager nos expériences et nos parcours afin que le public puisse mieux comprendre nos luttes. Il y a eu beaucoup de grandes pièces de théâtre, de livres, d'expositions, etc. pour amener le public à faire preuve de compassion et de solidarité.
Gulwali Passarlay, auteur du roman autobiographique "Moi, Gulwali, réfugié à 12 ans" ("The Lightless Sky").
Lire aussi : interview du metteur en scène Amir Reza Koohestani
Gulwali n'avait que 12 ans lorsqu'il a quitté l'Afghanistan. Il a parcouru 20 000 km en espérant trouver un lieu sûr. Son livre "Moi, Gulwali, réfugié à 12 ans" ("The Lightless Sky") raconte son périple à travers 8 pays. Un parcours semé d'embûches : très vite séparé de son frère, il sera emprisonné à plusieurs reprises et torturé. Raconter son histoire n'a pas été facile, même des années plus tard.
Je remettais et remets toujours en question les récits et les points de vue négatifs sur les réfugiés. J'encourage les gens à lire mon histoire et celles d'autres réfugiés afin que nous puissions humaniser le débat, la discussion et trouver des solutions avec plus d'empathie. J'aurais aimé ne pas écrire ou ne pas avoir vécu ce parcours difficile, mais j'espérais que mon récit puisse être bénéfique à d'autres réfugiés.
Gulwali Passarlay
Au Festival d'Avignon, nous avons fait la rencontre du metteur en scène Amir Reza Koohestani. Lui aussi a choisi l'Art pour sensibiliser aux histoires d'exil à travers son spectacle En Transit qui croise son récit et celui d’Anna Seghers, auteure du roman dont il adapte la pièce. Il y évoque notamment les lourdeurs administratives qui participent à précariser et à exclure les personnes exilées en Europe.
Nous avons également rencontré Kubra Khademi, une artiste performeuse afghane qui a dû fuir son pays pour exprimer librement son Art. Une fois que ces personnes ont pu exprimer leur réalité, comment les accompagner pour qu’elles puissent jouir de leurs droits fondamentaux ?
Accompagner les personnes en exil et les défendre
Utiliser des mots qui déshumanisent, c’est aussi cultiver une forme de déni par rapport à la gravité de certaines situations. Sur les routes de l’exil, ces personnes sont souvent confrontées à d'autres violences que celles des pays qu’elles ont quitté : l'arbitraire des passeurs, l’enfermement illégal, les menaces et les violences des garde-frontières… Face à cette situation, les pays s’érigent en forteresse. Et pour ceux qui parviennent à franchir les murs érigés, il est fréquent qu'ils soient placés dans des centres de détention aux conditions inhumaines : surpeuplement, tortures, humiliations, agressions sexuelles, faim, absence de soins …
Pendant quinze jours, ils nous ont frappé avec des barres en fer, ils nous ont frappé avec des tuyaux, ils nous frappé avec tout ce qu’ils trouvaient. Ils nous ont demandé de payer 6 000 dinars libyens par personne, adulte ou bébé.
Dawit, un homme réfugié qui la conscription forcée dans son pays et subi l'enfer en Lybie
Les discours, les pratiques et les politiques qui dénigrent et déshumanisent ont contribué à faire percevoir ces personnes comme une menace. Il est urgent de changer de paradigme, de sortir des discours culpabilisants et stigmatisants à l’encontre de ces personnes et d’agir pour être à la hauteur de nos engagements.
Du 7 au 10 juillet, retrouvez-nous au Festival d'Avignon !
Au programme : plusieurs conférences avec des artistes engagés qui présentent leurs œuvres au festival cette année ainsi que deux projections-débats dont l'une sur le centre d'accueil Rosmerta. Véritable lieu de vie, ce centre permet notamment à des mineurs isolés ou à des familles nouvellement arrivées en France d’avoir un premier pied-à-terre à Avignon.