Documenter les violations des droits humains commises dans le monde : c’est l’une des missions de notre organisation. Retour sur nos enquêtes phares.
Enquêter, alerter, agir. Voici notre mantra. Enquêter pour établir les faits. Enquêter pour recueillir des preuves. Enquêter pour pouvoir alerter et ensuite agir. Chaque année, nos chercheuses et chercheurs spécialisés sur un pays ou une région spécifique, mènent des enquêtes pour documenter des violations des droits humains. Des enquêtes rendues publiques sous forme de rapports.
Nos enquêtes sont notre force : nous établissons des faits en toute indépendance et en toute objectivité. Notre cadre de référence c’est le droit international.
Dans le cadre de la publication de notre rapport annuel, nous avons ici choisi de revenir ici sur cinq enquêtes que nous avons menées en 2021. Chacune est représentative de notre capacité à donner une information juste et fiable, à sensibiliser et à avoir de l’impact sur les décideurs. Tout ceci pour aller vers toujours plus de justice et d’égalité.
1. L’ÉTAT CHINOIS ET SES CRIMES CONTRE LES OUÏGHOURS
Nous avons enquêté sur ce qu’il se passe dans les camps d’internements de la région du Xinjiang : des centaines de milliers de personnes musulmanes sont internées, endoctrinées, torturées. Les preuves que nous avons collectées dans le cadre de cette enquête nous permettent d’attester que dans ces camps ce sont des crimes contre l’humanité qui sont commis, organisés par l’Etat chinois.
Les autorités chinoises orchestrent une répression à grande échelle contre les Ouïghours, les Kazakhs, les Ouzbeks et autres minorités musulmanes afin d’éradiquer leur traditions religieuses et culturelles. Le but : arriver à une culture « homogène ».
Notre enquête complète : Les minorités musulmanes du Xinjiang victimes de crimes contre l’humanitn
Comment avons-nous mené cette enquête ?
« Comme si nous étions ennemis de guerre », notre enquête publiée en juin 2021 est inédite. Elle est le fruit de plus d’un an et demi de recherches menées sur le terrain et à distance, entre octobre 2019 et mai 2021.
Nos chercheurs et chercheuses ont recueilli des témoignages d’anciens détenus et de leur proches, analysé des images satellites des camps, eu accès à des documents gouvernementaux confidentiels [collectés et analysés par des journalistes].
Ce corpus de preuves donne une photographie précise de ce qui se passe dans les camps. Notre enquête est d’autant plus importante que nous sommes face à un pays qui est dans une stratégie permanente de déni.
Cécile Coudriou, présidente d'Amnesty International France
Notre enquête est aussi inédite dans les témoignages que nos chercheurs ont recueillis. En tout, 128 personnes ont été interrogées. Des personnes qui ont connu la vie dans les camps et qui, pour la plupart, n’avaient encore jamais raconté leur histoire. Des entretiens ont aussi été menés avec des proches de détenus et des personnes qui ont déjà visité le Xinjiang. Pour des raisons liées à leur sécurité, aucun entretien n'a été mené dans le Xinjiang. Les témoignages sont unanimes : ce sont toutes les minorités musulmanes qui sont persécutées.
Cette enquête importante, de plus de 160 pages, a collecté des preuves suffisantes pour nous permettre de demander aux plus hautes instances internationales l’ouverture d’enquêtes pour crime contre l’humanité afin qu’un jour, l’État chinois puisse rendre des comptes.
Notre enquête résumée en vidéo. 👇
2. L’AFFAIRE PEGASUS : L’ONDE DE CHOC MONDIALE
En 2021, nous avons participé aux révélations du projet Pegasus, le plus gros scandale en terme de surveillance depuis l’affaire Snowden. Pegasus est un logiciel espion redoutable développé par l’entreprise israélienne NSO Group. Nous avons accompagné le travail d’enquête de journalistes pour dévoiler un système mondial de cybersurveillance : onze pays utilisaient le logiciel espion Pegasus pour suivre les communications de journalistes, d’avocats, de défenseurs des droits humains, de hauts responsables politiques.
Notre enquête complète : Affaire Pegasus : des révélations choc sur un système de surveillance mondiale
Comment avons-nous participé à cette enquête ?
C’est le 18 juillet 2021 que l’affaire Pegasus a éclaté. Chaque jour, pendant une semaine, les révélations tombaient. Une onde de choc qui a fait la une des journaux du monde entier.
Cette enquête de grande envergure est le fruit d'un travail conjoint entre un consortium de journalistes piloté par Forbidden Stories et nos équipes d'Amnesty Tech. Les journalistes ont enquêté, nos équipes ont vérifié. Les journalistes ont eu accès à une liste de plus de 50 000 cibles potentielles de Pegasus. Nos équipes d’Amnesty Tech ont mené des analyses de pointe visant à détecter des traces du logiciel espion dans les téléphones portables.
Une fois la liste des 50 000 numéros de téléphones potentiellement ciblés obtenue, nous avons d’abord dû retrouver les propriétaires. Au total, nous avons analysé 67 téléphones. 37 d’entre eux comportaient des tentatives d’attaques ou des preuves de piratage par Pegasus.
Etienne Maynier, expert technique à notre Security Lab
Le Projet Pegasus a mis en lumière les dangers que fait peser le monde numérique sur le monde réel. Pegasus est utilisé pour cibler des membres de la société civile dans le but de les museler. À la suite de cette enquête, nous avons demandé la mise en place d’un moratoire sur l’utilisation de ces technologies. Le secteur de la cybersurveillance doit véritablement être contrôlé.
Notre enquête résumée en vidéo. 👇
3. EN SYRIE, RETOUR à HAUT RISQUE DES RÉFUGIÉS
En 2021, nous avons enquêté sur le sort réservé aux réfugiés syriens rentrant dans leur pays après des années d’exil.
Depuis le début du conflit syrien, plus de 13,3 millions de personnes ont été forcés de fuir leur foyer. Environ 6,6 millions de personnes ont cherché refuge à l'étranger.
« Tu vas droit vers la mort », c’est le nom de notre enquête. Ces mots, sont ceux de Karim, ancien réfugié syrien au Liban qui, une fois rentré en Syrie, a été détenu et torturé.
Notre enquête documente les violations commises par les autorités syriennes contre les réfugiés revenus dans leur pays, entre le milieu de 2017 et le milieu de 2021. Certains ont subi le pire : viols, tortures, disparitions.
C’est la première fois qu’une organisation documente ce qu’il se passe pour les réfugiés qui rentrent en Syrie, les risques qu’ils encourent et les violations des droits humains auxquelles ils sont soumis. Cette enquête majeure révèle bien que la guerre n’est pas finie en Syrie. Quitter son pays en guerre est une épreuve. Y revenir peut l’être aussi.
Notre enquête complète : Le terrible sort des réfugiés syriens qui rentrent dans leur pays
Comment avons-nous mené cette enquête ?
Notre enquête est le résultat d’un travail mené par nos chercheurs et nos chercheuses, de juillet 2020 à juin 2021.
Des entretiens ont été mené avec 41 Syriens au total : 20 rapatriés victimes de violations et 21 proches des victimes. Ces témoignages nous ont permis d’authentifier de graves violations commises contre 66 personnes, dont treize enfants et quinze femmes. Noor est l’une des victimes. Rentrée du Liban, elle a été arrêtée à la frontière syrienne. Elle nous a rapporté les atrocités commises par un membre des forces de sécurité : « Pourquoi as-tu quitté la Syrie ? Parce que tu n’aimes pas Bachar al-Assad et tu n’aimes pas la Syrie ? Tu es une terroriste… La Syrie n’est pas un hôtel d’où tu peux entrer et sortir comme bon te semble. » Puis, il a l’a violée.
Avec cette enquête, on a voulu voir ce qui se passait vraiment quand les réfugiés rentraient : est-ce qu’ils étaient en sécurité, est-ce que les conditions étaient réunies pour un retour ? Résultat : non, la guerre n’est pas finie en Syrie.
Marie Forestier, chercheuse sur les droits des personnes réfugiées à Amnesty International
Cette enquête nous permet de rappeler que les pays d’accueil de réfugiés syriens doivent continuer de garantir leur protection et d'éviter de les renvoyer dans un pays où ils risquent de subir des atrocités de la part du gouvernement de Bachar el-Assad.
Notre enquête résumée en vidéo. 👇
4. EN ÉTHIOPIE, MISE EN LUMIÈRE D’UNE GUERRE OUBLIÉE
En 2021, nous avons enquêté sur le terrible conflit installé en Éthiopie en pointant des actes constitutifs de crime contre l’humanité. Dans ce pays, des massacres sont commis loin des regards. Si l’on voit parfois l’horreur de conflits sur nos écrans de télévision, ce n’est pas le cas avec l’Éthiopie. Mais nos chercheurs ont pu faire toute la lumière sur ces crimes d’une guerre oubliée. Cette guerre a commencé en 2020. Le gouvernement éthiopien a lancé une offensive dans la région du Tigré en accusant les forces du Front de libération des peuples du Tigré (TPLF) d'avoir attaqué l’armée fédérale éthiopienne basée au Tigré.
*En soutien au gouvernement fédéral éthiopien, l’Érythrée a envoyé des forces armées dans la région du Tigré.
Nous avons enquêté sur le massacre de centaines de civils dans la ville d’Aksoum, commis par des soldats érythréens*. Nous avons aussi révélé que des combattants des armées éthiopienne et érythréenne ont commis des viols à l’encontre de centaines de femmes et de filles dans le Tigré. Des crimes de guerre qui doivent faire l’objet de poursuites.
Notre enquête complète : L'horreur en Ethiopie, la crise ignorée
Comment avons-nous mené cette enquête ?
Pour documenter le massacre d’Aksoum, nos chercheurs ont fait une recherche pendant onze jours au centre d'accueil des réfugiés de Hamdayet, dans l'est du Soudan. Ils ont interrogé 41 témoins et survivants du massacre. Les éléments sont accablants et font froids dans le dos.
La plupart des témoignages recueillis sont extrêmement durs. De nombreuses victimes témoignent de souffrances très importantes, et spécialement les victimes de viols. Il y a en a beaucoup dans la région du Tigré, mais aussi dans la région d’Amhara qui était sous contrôle des forces tigréennes.
Fisseha Tekle, l’un de nos chercheurs spécialisés sur l’Éthiopie depuis plus de quinze ans
Dans une autre enquête, nous avons recueilli les témoignages de 63 femmes victimes de violences sexuelles. Nos chercheurs et chercheuses se sont aussi entretenues avec des médecins, infirmiers qui ont été amenés à les soigner.
Notre enquête résumée en vidéo. 👇
5. EN FRANCE, ENCORE DES VIOLENCES POLICIÈRES
En 2021, nous avons enquêté sur une opération violente de maintien de l’ordre pendant un festival, à Redon (Ille-et-Vilaine).
« Redon : free-party de la répression », notre enquête analyse l’usage abusif et illégal de la force exercée par la gendarmerie au moment de son intervention. Dans la nuit du 18 au 19 juin 2021, une free-party, interdite par la Préfecture, réunissait plus de 1 500 personnes. Les forces de l’ordre sont intervenues et ont lancé des grenades pendant sept heures d’affilée. Bilan humain : un jeune homme a eu la main arrachée, des gendarmes et des dizaines de participants ont été blessés. Face à la gravité de ces faits, nous avons mené notre enquête pour analyser l’intervention des gendarmes. Leur recours à la force n’était ni nécessaire, ni proportionné.
Notre enquête complète : Des violences policières lors d'une free-party à Redon
Comment avons-nous mené cette enquête ?
C'est Anne-Sophie Simpere, notre chargée de plaidoyer au programme Libertés qui a conduit cette enquête. Elle a mené des entretiens avec douze personnes présentes sur place, a analysé plusieurs vidéos et a eu accès à vingt témoignages écrits fournis par des collectifs. Nous avons complété notre enquête par la consultation de sources médiatiques, de documents administratifs, de communiqués de presse, de déclarations de la Préfecture et par le compte rendu de l’association Techno+ relatant le déroulé des faits.
Le 12 mars 2022, le procureur de la République de Rennes a classé « sans suite » la plainte d’un jeune homme de 22 ans qui avait eu la main arrachée lors d’affrontements avec les forces de l’ordre dans la nuit du 18 au 19 juin 2021.
Cette enquête qui documente un nouveau cas de violences policières nous permet de demander que de véritables réformes structurelles vis-à-vis du maintien de l’ordre en France soient engagées.
Les violences policières comme celles de Redon ne peuvent pas devenir une norme.
ET ON CONTINUE EN 2022…
Guerre en Ukraine : de possibles crimes de guerre
Dès le premier jour de l’invasion russe, le 24 février 2022, notre laboratoire de preuve, l’Evidence Lab a enquêté sur les attaques militaires en Ukraine.
Nous avons ainsi documenté des frappes menées sur des hôpitaux et des écoles, l'utilisation d'armes aveugles comme les missiles balistiques, l'utilisation d'armes interdites en zone urbaine comme les bombes à sous-munitions.
Aller plus loin : Notre dossier sur la guerre en Ukraine
Israël mène un apartheid contre les Palestiniens
Après un travail de recherche de près de quatre ans, nous avons publié le 1er février 2022 notre enquête « L’Apartheid commis par Israël à l’encontre des Palestiniens. Un système cruel de domination et un crime contre l’humanité ». Sur la base d’une analyse juridique et d’une enquête de terrain minutieuses, elle documente la mise en place par Israël, à travers des lois et des politiques discriminatoires, d’un système d’oppression et de domination institutionnalisé à l’encontre du peuple palestinien.
Aller plus loin : Israël : l'apartheid mené contre le peuple palestinien expliqué en cinq questions
Coupe du monde au Qatar : l’enfer des travailleurs migrants
Depuis l'attribution de la Coupe du monde de football au Qatar, en 2010, nous enquêtons sur les violations des droits humains de celles et ceux sans qui cet événement ne pourrait pas avoir lieu. Le bilan est désastreux. Jusqu’au coup d’envoi de la coupe du monde, nous allons faire campagne pour défendre les droits de milliers de travailleuses et travailleurs migrants exploités au Qatar. Objectif premier : ramenez la coupe à la raison.
Aller plus loin : Qatar 2022 : les droits humains ne doivent pas être hors-jeu !
Ces enquêtes n’auraient pas été possibles sans le soutien de nos membres et donateurs. C’est parce que nous sommes financièrement indépendants que nous pouvons mener ces enquêtes en toute impartialité et envoyer nos chercheuses et chercheurs sur le terrain. Le combat continu, grâce à vous.
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