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URGENCE PROCHE ORIENT

Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles

Statue de la Marianne, Place de la République à Paris / © Gerard Julien via AFP

En France, un recul des droits et libertés en 2023

Répression violente des manifestations contre la réforme des retraites, interdictions de manifestations, mort d’un jeune de 17 ans - Nahel - par un tir de la police, accentuation des discriminations, dégradation des droits des personnes exilées avec le vote de la loi asile et immigration… En 2023, les droits et libertés ont reculé en France. État des lieux avec Nathalie Godard, directrice de l’action chez Amnesty International France.

Jusqu’où ira l’érosion des droits et libertés en France ? Jusqu’où le recul ? C’est la question que nous nous sommes posés en rédigeant le chapitre sur la France du rapport annuel d’Amnesty International. Et en jetant un œil vers le passé, nous ne pouvons que déplorer le fait que la dégradation des droits humains en France a été constante depuis une vingtaine d’années. Chaque année nous alertons sur ces reculs. Et pourtant, l’année suivante les constats s’aggravent. Jusqu’où ? 

Voici les trois sujets majeurs d’inquiétudes qui ressortent de notre analyse sur les droits humains en France : l’état des libertés, les discriminations et les risques pour l’État de droit. 

1. En France, les libertés reculent

L’impératif sécuritaire semble avoir pris le dessus sur la protection des libertés, qui sont trop souvent restreintes au nom du besoin de sécurité. C’est d’autant plus vrai depuis que des attentats ont endeuillé la France et que la lutte contre le terrorisme justifie des mesures et des pratiques illégales en droit international.

➡️Des lois attentatoires aux libertés votées sous pression d’un narratif ultrasécuritaire  

Depuis 2015, les lois sur l’état d’urgence, puis la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) qui a entériné des mesures censées être provisoires, la loi sécurité globale, la loi “séparatisme”, celle sur le renseignement, etc. Toutes ont inclus des mesures attentatoires aux libertés, comme autant de coups de canif législatifs dans l’édifice des droits fondamentaux.  

Cette liste s’est allongée en 2023 avec la loi relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, instaurant la vidéo surveillance algorithmique. Tout porte à croire que l’intention sera, comme précédemment, de la pérenniser après la phase d’expérimentation. Ce type de technologies de surveillance présentent de vrais risques pour les droits humains.. 

Lire aussi : JO 2024 : pourquoi la vidéosurveillance pose problème  

La loi asile et immigration votée en décembre était aussi essentiellement basée sur un narratif ultrasécuritaire qui semble justifier toutes les entorses aux droits humains, d’autant plus facilement s’il s’agit de personnes étrangères.  

➡️Répression des manifestations et usage excessif de la force  

2023 a été l’année de grandes mobilisations populaires, mais aussi d’interdictions abusives de manifester, notamment :

En janvier contre la réforme des retraites

En juillet suite aux troubles qui ont suivi la mort du jeune Nahel

En octobre en soutien aux droits des Palestiniens.  

Lors des manifestations contre la réforme des retraites, nous avons dénoncé des arrestations abusives et un recours excessif à la force dans le maintien de l’ordre. Des armes dangereuses, dites « à létalité réduite » ont cette année encore mutilé des manifestants.

D’usage excessif de la force, il a également été question le 27 juin dernier lorsque Nahel a été tué par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre. Amnesty a dénoncé un homicide illégal et a demandé l’abrogation de l’article 435-1 du Code de la sécurité intérieure qui élargit le recours à la force dans le cadre d’un refus d’obtempérer.

« La sécurité est la première des libertés » :  une phrase répétée à l’envi et qui, pour ceux qui l’utilisent, relèverait du bon sens. Mais une phrase qui sous-entend de manière très dangereuse que le droit légitime à la sécurité devrait passer avant l’exercice des libertés publiques, voire que ces libertés seraient dangereuses pour la sécurité. Cette phrase ne sert plus aujourd’hui qu’à instrumentaliser la peur pour restreindre les libertés – ce n’est jamais un bénéfice pour les citoyens dans un Etat de droit. 

2. En France, les discriminations persistent, le déni du gouvernement aussi

Un point commun entre ce sujet des restrictions de libertés, et celui des discriminations, c’est le déni consternant des autorités françaises malgré les dénonciations d’agences internationales et autorités indépendantes nationales.

Le 30 juin dernier, la porte-parole du haut-commissariat aux droits de l’homme des nations unies déclarait, trois jours après la mort de Nahel, qui était d’origine algérienne, tué lors d’un contrôle routier : « C’est le moment pour la France de s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination parmi les forces de l’ordre ». Ce faisant, elle reprenait les critiques émises au moment de l’examen de France devant le Comité des droits de l’homme des nations unies, en mai, mais aussi celles de très nombreuses autres institutions ou ONG de droits humains qui alertent depuis des années. La réponse officielle de la France a été immédiate : « toute accusation de discrimination systémique parmi les forces de l’ordre est totalement infondée ». 

Lire aussi : Mort de Nahel : il est urgent de mener une réforme du maintien de l'ordre

➡️Les contrôles au faciès  

Ce manque de reconnaissance atteint aussi la plus haute juridiction administrative : en octobre dernier, le Conseil d’Etat a rendu sa décision concernant l’action de groupe intentée par Amnesty avec 5 autres organisations de la société civile pour mettre fin aux contrôles aux faciès. Le conseil d’Etat, tout en reconnaissant que ces contrôles discriminatoires n’étaient pas des cas isolés, a refusé de reconnaitre leur caractère systémique et d’imposer à l’État des mesures pour lutter contre les contrôles discriminatoires.

➡️La banalisation des discours stigmatisant les personnes musulmanes  

Le déni, c’est aussi celui qui touche la banalisation galopante du discours stigmatisant les personnes musulmanes en France. La loi séparatisme avait achevé d’installer dans le débat public un continuum entre islam - voile - islamisme - terrorisme. Aujourd’hui les filles et femmes qui portent le voile continuent d’être pointées du doigt collectivement, sans considération pour la diversité de leurs parcours et profils ni pour la liberté de religion et d’expression. La déclaration de la ministre des Sports fin 2023, expliquant que les athlètes portant un voile n’auraient pas leur place dans la délégation olympique française, en est un exemple. Elle est dans la continuité de la décision de plusieurs fédérations sportives d’interdire les compétitions aux sportives portant un couvre-chef. Amnesty continuera à dénoncer ces discriminations, à appeler à écouter les premières concernées et à leur donner la parole.  

Lire aussi : Des joueuses de basket musulmanes demandent l'égal accès au sport

Sur les discriminations liées aux origines ou à la religion, on aimerait que les autorités françaises aient la même prise de conscience de l’urgence et du besoin de protection que lorsqu’elles ont décidé d’être pionnières dans la protection du droit à l’IVG. Il est crucial que non seulement les pouvoirs publics mais aussi l’ensemble de la société ouvrent les yeux sur les impacts délétères des discriminations et des discours racistes. La multiplication effrayante des actes antisémites en fin d’année dernière doit nous inciter toutes et tous à un réveil : il est urgent de lutter collectivement contre toutes les formes de rejet, d’essentialisation, de racisme, qui abîment les liens sociaux et violent des droits des personnes concernées. L’Etat a la responsabilité de protéger et d’assurer le respect des droits sans amplifier les divisions et la stigmatisation de certains groupes.

3. En France, l’État de droit fragilisé

Notre troisième sujet d’inquiétude est celui d’un point de bascule, dont nous semblons nous approcher de plus en plus dangereusement. Ce point de bascule, c’est celui qui mènerait vers une remise en cause de l’Etat de droit et de ce qu’il permet de garantir en termes de droits fondamentaux et de sécurité juridique pour l’ensemble des citoyens.

➡️La loi asile et immigration, le recul historique de la France  

Le vote de la loi asile et immigration par une majorité de parlementaires en décembre dernier a été un choc pour les militants des droits humains. Ce n’était pas seulement parce qu’il se situait dans la continuité d’un narratif de rejet des étrangers et de non-respect de leurs droits, ou parce que c’était le 20e texte en 30 ans sur un sujet toujours plus maltraité par nos responsable politiques. Mais surtout parce qu’il était parfaitement assumé qu’il piétinait sans vergogne les engagements internationaux de la France, et même la Constitution, sans que cela incite le gouvernement à le retirer. La prééminence du droit international fait partie des fondamentaux de l’Etat de droit, comme le rôle de contrôle du juge.

Lire aussi : En quoi la loi asile et immigration pose problème

Aller plus loin : Comment la France viole le principe de non-refoulement

Ces principes sont mis en cause aujourd’hui et de plus en plus : c’est le cas quand des responsables politiques appellent ouvertement à ne pas respecter le droit international ou une décision de justice. C’est aussi le cas quand le ministre de l’Intérieur déclare publiquement qu’il est acceptable de ne pas respecter une décision de la Cour européenne des droits de l’homme si cela permet d’expulser un ressortissant Ouzbek. Ceci contribue à une remise en cause dangereuse de la protection que le droit international devrait nous procurer à toutes et tous, et qui est à l’œuvre aussi dans les enjeux internationaux.  

L’État de droit dépend aussi de la vitalité des contre-pouvoirs : pouvoir judiciaire, médias,  mais aussi la société civile dans son ensemble. Les atteintes répétées aux libertés associatives, qui sont à l’œuvre depuis plusieurs années, sont à cet égard particulièrement inquiétantes. La dissolution d’association devrait être un dernier recours exceptionnel, et soumise à la décision d’un juge ; c’est devenu une arme dégainée trop vite et qui plane comme une menace. Les critiques contre les associations par des responsables politiques se sont multipliées, accusées d’être complices des passeurs parce qu’elles sauvaient des vies en mer, ou de faire de l’écoterrorisme lorsqu’elles alertaient sur le climat. En 2023, on a vu des menaces sur les subventions de la LDH, des attaques contre le Planning familial, des critiques indignes contre le travail de la Cimade, accusations en tout genre contre Amnesty International… La répétition est inquiétante.   

Si nous ne sommes pas encore au point de bascule, chacune de ces atteintes nous en rapproche et contribue à un Etat de droit « dégradé », affaibli, en danger, comme le sont nos droits. En France aussi, il faut les protéger. 

Agir

Dites non à la reconnaissance faciale en France

En légalisant la vidéosurveillance algorithmique à l'occasion des Jeux olympiques, la France ouvre la voie à des technologies de plus en plus intrusives comme la reconnaissance faciale. Or, c'est une vraie menace pour nos droits et nos libertés. Agissons dès maintenant pour l'interdire.