Nouvelles lois portant atteintes à nos libertés, violences policières, persistance des discriminations, faiblesse des politiques d'accueil pour les personnes exilées, atteinte au droit d'asile... En 2021, la France est loin d'avoir été exemplaire en matière de droits humains. État des lieux.
Comme chaque année, nous publions notre rapport qui dresse le bilan de la situation des droits humains dans le monde : un an d'enquête, 154 pays analysés. Parmi eux, la France.
Comme pour tous les autres pays, nous avons analysé la situation française sur la base d'un seul critère : le respect du droit international et des droits humains. Alors, quel bilan pour la France ?
Liberté, égalité, fraternité : une devise mise à mal
Lorsque l'on analyse les politiques françaises relatives aux droits humains menées en 2021, on peut se demander si la devise républicaine française n'a pas été mise à mal.
Liberté. En France, en 2021, des lois comme celle « pour une sécurité globale préservant les libertés » ou celle intitulée « responsabilité pénale et sécurité intérieure » ont porté atteinte à nos libertés fondamentales, notamment la liberté d'informer et le respect de la vie privée. Nous avons également documenté de nouveaux cas de violences policières.
Égalité. En France, en 2021, les contrôles d’identité discriminatoires, autrement dit les « contrôles au faciès », restent une pratique courante de la part des policiers. Le vote de la loi sur « le respect des principes de la République » fait craindre une hausse des pratiques discriminatoires et de la stigmatisation à l'encontre des associations et des personnes musulmanes.
Fraternité. En France, en 2021, les politiques d'accueil pour les personnes exilées restent très insuffisantes. : la façon dont les autorités françaises ont répondu au besoin de protection des personnes afghanes n'a pas été à la hauteur des enjeux. Pourtant, nous avons les moyens d'accueillir ces populations. La situation à Calais est restée alarmante alors que là aussi la France a les moyens de manifester dignement sa fraternité avec les personnes réfugiées ou demandeuses d'asile et de respecter leurs droits.
L’article que vous êtes en train de lire n’est pas un état des lieux exhaustif sur la situation des droits humains en France. Pour lire l'intégralité de notre analyse sur la France, rendez-vous ici.
ATTEINTE AUX LIBERTÉS
Inquiétude sur la loi de « sécurité globale »
Cette loi a conduit des milliers de personnes dans la rue, partout en France. Telle que votée par le Parlement, en avril 2021, elle faisait peser de sérieuses menaces sur nos libertés. C’est son article 24 qui a déclenché une importante vague de mobilisation. Cet article visait à limiter le droit de partager des images sur lesquelles des policiers pouvaient être identifiés. Cette restriction risquait d’empêcher les journalistes et toute autre personne de publier des photos ou vidéos susceptibles de documenter des violences policières présumées. Cette mesure représentait donc une entrave à la liberté d’informer. En mai, le Conseil constitutionnel a censuré ce très controversé article 24 (devenu article 52) en le jugeant contraire à la Constitution.
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Plutôt que d’adopter des lois pouvant être utilisées pour dissimuler les violences policières, les autorités devraient engager des réformes structurelles pour y mettre fin.
Des policiers lors d'une manifestation contre la loi « sécurité globale » le 5 décembre 2020 à Paris / © Marie Magnin - Hans Lucas via AFP
Quand la France s'engage dans une politique qui remet en cause les droits fondamentaux, elle s'engage dans une politique extrêmement nocive pour l'ensemble des droits humains.
Agnès Callamard, notre secrétaire générale
Dérive du maintien de l'ordre
En 2021, nous avons enquêté sur de nouvelles violences policières. Lors d’une "free-party" organisée à Redon en juin, une opération violente de maintien de l’ordre a été menée. Pour disperser le rassemblement interdit par la Préfecture, les forces de l’ordre ont lancé des grenades lacrymogènes en pleine nuit, pendant sept heures d’affilée, sur des participants dont une grande partie étaient pacifiques, sans communication ni négociation préalable.
Les jeunes présents voulaient simplement danser. Bilan humain : un jeune homme a eu la main arrachée, des dizaines de participants ont été blessés de même que des policiers. Le recours à la force à Redon n’était ni nécessaire, ni proportionné. Ce cas particulier de violences policières montre, une nouvelle fois, les dérives du maintien de l’ordre en France. De nouvelles stratégies de maintien de l’ordre sont nécessaires. Mais elles tardent à venir.
Aller plus loin : Notre enquête sur les violences policières à Redon
Des policiers évacuent les participants du teknival de Redon le 19 juin 2021, France / © Loic Venance - AFP
En septembre dernier, Emmanuel Macron avait annoncé des mesures qui devaient obliger la police à rendre des comptes pour des violations des droits humains. Cependant,ces mesures ne prévoyaient pas la création d’un mécanisme de surveillance pleinement indépendant. Au-delà des annonces, des réformes structurelles doivent absolument être engagées.
Drones de surveillance : ils arrivent en France
En décembre 2021, le Parlement a adopté la loi « Responsabilité pénale et sécurité intérieure ». Dans cette loi, un article autorise la police à utiliser des drones pour surveiller la population, ce qui menace gravement notre droit à la vie privée.
Aller plus loin : Drones de surveillance en France : ce qu’il faut savoir
*En janvier 2022, le Conseil constitutionnel a validé l’utilisation des drones de surveillance par la police, mais pas par la police municipale.
À la différence des caméras de surveillance, avec les drones c’est tout l’espace public qui serait susceptible d’être surveillé. Au vu des menaces que font peser ces drones sur nos droits, le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 décembre*.
Un drone de surveillance survole la Promenade des Anglais, Nice, France, 2020 / © Eric Gaillard - Reuters
DES POLITIQUES QUI N'EMPÊCHENT PAS LES DISCRIMINATIONS
Contrôle au faciès : une pratique policière généralisée
Des policiers me plaquent sur le mur violemment. L’un d’eux touche mes parties intimes puis me met un coup dans le ventre en me traitant de « sale bougnoule ».
Voici le genre de témoignage de victime de contrôle au faciès que l’on entend aujourd’hui en France. Depuis trop longtemps, les forces de l’ordre se livrent à une pratique généralisée et systémique des « contrôles au faciès ». L’État français n’apporte aucune solution pour que cessent ces pratiques discriminantes et humiliantes.
Un policier fouille un homme à la Gare du Nord de Paris, novembre 2012 / © Fred Darfour via AFP
Les jeunes noirs ou arabes ou perçus comme tels ont 20 fois plus de risque d’être contrôlés par la police [selon la Défenseure des droits]. Les facteurs principaux qui contribuent à cet état de fait sont l’imprécision de la loi, des instructions trop floues, la politique du chiffre, le défaut de traçabilité des contrôles, les lacunes dans l’encadrement, le manque de formation adaptée, les préjugés…
Face à l’inaction de l’État, nous avons agi. Avec cinq autres associations nous avons, le 27 janvier 2021, mis en demeure le Premier ministre et les ministres de l’Intérieur et de la Justice d’engager des réformes profondes et de prendre des mesures concrètes pour que cessent ces pratiques discriminatoires systémiques. Une action historique.
Face au silence persistant du gouvernement, nous sommes montés d’un cran : le 22 juillet, nous avons saisi le Conseil d’État pour dénoncer l’inaction du gouvernement français face au problème généralisé des « contrôles au faciès » en France.
Une loi discriminatoire ?
La loi « confortant le respect des principes de la République » a été adoptée par le Parlement en juillet 2021 et est entrée en vigueur en août. Cette loi soulève des questions préoccupantes au regard du droit international des droits humains. Pendant les débats publics sur cette loi, des titulaires de fonctions officielles, notamment des sénateurs, ont énoncé des clichés et des préjugés à l’égard des personnes musulmanes.
Nous avons alerté sur les risques que cette loi ne soit appliquée de façon discriminatoire. Dans son texte de loi, le gouvernement ne définit pas les notions de séparatisme ou d’islam radical. Ce flou peut être interprété de façon très large, ce qui peut ouvrir la porte aux abus. Parce qu’elles sont vagues, ces notions risquent de renforcer l’amalgame entre « musulmans » et « terroriste » et de favoriser les stéréotypes qui en découlent.
*Le principe de non-discrimination est reconnu par de nombreux traités internationaux relatifs aux droits humains. Il requiert des autorités françaises qu'elles s'abstiennent d'adopter des mesures qui pourraient être directement ou indirectement discriminatoires.
Cela nous fait craindre une application discriminatoire de cette loi qui aurait un impact négatif sur les personnes et associations musulmanes. Les mesures que les autorités françaises peuvent adopter pour protéger la sécurité nationale sont légitimes mais elles doivent être proportionnées et respecter le principe de non-discrimination*.
EXILÉS : UNE FRANCE TOUJOURS MOINS ACCUEILLANTE
La France, terre d'accueil ? C'est ce qu'elle devrait être. C'est une obligation légale au regard du droit international. Ce n’est ni optionnel, ni négociable. Notre gouvernement doit respecter cela. Rappelons-le : accueillir des personnes qui fuient un conflit dans leur propre pays est une obligation légale dictée par la Constitution française, le droit européen et la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés que la France a ratifiée. La France doit privilégier l'accueil, et cela sans discrimination. Elle doit pouvoir mener cette politique d'accueil en respectant la dignité des personnes exilées, quelle que soit la raison de leur départ : celles-ci ont des droits fondamentaux que la France doit respecter. Or, les traitements que les forces de l'ordre font parfois subir à ces personnes sont inacceptables.
Comprendre : Qu’est-ce qu’un réfugié ?
Comprendre : Qu’est-ce qu’un migrant ?
Calais, le naufrage politique
À Calais, depuis des années déjà, les personnes exilées vivent dans des conditions indignes et humiliantes. En 2021, rien n'a changé.
En 2021, les personnes exilées, notamment celles en attente de passer la frontière vers le Royaume-Uni, continuent de subir le même sort. La police et les autorités locales limitent leur accès à l’aide humanitaire et poursuivent sans relâche leur stratégie de harcèlement : expulsions quotidiennes, destructions de leurs tentes, confiscation de leurs effets personnels, poursuites des personnes qui les aident, etc. Ces pratiques n'apportent aucune solution mais uniquement des souffrances et aggravent la situation très précaire des personnes exilées.
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Aujourd’hui, les tentatives de passage par voie maritime sur des zodiacs ou sur des embarcations de fortune, dans des conditions de plus en plus dangereuses, sont en augmentation. En l’absence d’autres voies sûres et légales pour rejoindre le Royaume-Uni et en l’absence de véritables possibilités d’accès à la procédure d’asile en France, les tentatives de traversée de la Manche n’ont cessé de se multiplier. La France doit user de toute son influence au sein de l’Union européenne pour que le règlement Dublin soit révisé afin de garantir les droits des demandeurs et demandeuses d’asile à toutes les étapes de leur procédure.
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Un groupe de plus de 40 migrants avec des enfants à bord d'un canot pneumatique quitte les côtes du nord de la France pour traverser la Manche le 24 novembre 2021, France / © Gonzalo Fuentes via Reuters
Le 24 novembre 2021, un nouveau drame a eu lieu dans la Manche. Vingt-sept personnes sont mortes noyées en tentant de rejoindre les côtes britanniques depuis Calais sur une embarcation de fortune. Un drame qui aurait pu être évité. Un drame qui montre les graves manquements en termes de politiques migratoires de la France, du Royaume-Uni et de l’Union européenne.
LE DROIT D’ASILE EN PÉRIL
Comprendre : Qu'est-ce qu'un demandeur d'asile ?
La France et ses renvois illégaux
Cette année encore, les autorités françaises ont renvoyé de force des Tchétchènes en Russie.
Le 9 avril 2021, Magomed Gadaïev, réfugié tchétchène, a été expulsé par la France vers la Russie. Pourtant, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) s’était opposée à cette expulsion en mars. Car en Russie, c’est sa vie qui était en danger. Ce que nous craignions est arrivé : deux jours après son expulsion par les autorités françaises, la police tchétchène a enlevé Magomed Gadaïev et son avocat a perdu tout contact avec lui. Deux mois après son expulsion, il a été condamné à un an et demi de prison, à l’issue d’un procès inique. Cette expulsion décidée par la France s’est opérée en violation flagrante du droit international. Ces renvois illégaux de réfugiés tchétchènes vers la Russie doivent cesser. C’est le respect du droit d’asile qui est en jeu.
Lire aussi : En 2022, un jeune réfugié tchétchène était sur le point de subir le même sort
La France face à la crise en Afghanistan
Le 15 août 2021, Kaboul tombait aux mains des talibans. Nous avons encore en tête ces images chaotiques de l’aéroport de Kaboul où des milliers d’Afghans et d’Afghanes se sont rués sur le tarmac pour prendre le premier avion afin de quitter le pays. Fuir, par tous les moyens, le nouveau pouvoir taliban. Des milliers de personnes étaient directement menacées : femmes, journalistes, défenseurs des droits humains universitaires, interprètes, artistes…
Face à cette tragédie, la France avait un rôle important à jouer.
Des civils tentent de fuir le pays depuis l'aéroport de Kaboul, Afghanistan, 16 août 2021 / © Wakil Kohsar - Getty Images via AFP
*La directive sur la « protection temporaire » a été activée en 2022 pour accueillir et protéger les personnes fuyant l’Ukraine, et cela pour la première fois dans l’histoire de l’Union européenne. Alors, pourquoi une politique d’accueil différente pour les Afghans ? Lorsqu’il s’agit de vies humaines, il ne devrait pas y avoir deux poids deux mesures.
Nous saluons la décision des autorités françaises d’avoir cessé de renvoyer les ressortissants afghans dans leur pays au moment de la prise de pouvoir des talibans. Cependant, face à la gravité de la crise, les politiques d’accueil de la France n’ont pas été à la hauteur.
Nous avions demandé aux États membres de l’Union européenne d’activer sa directive sur la « protection temporaire »* pour les personnes fuyant l’Afghanistan. Sans succès.
Lire aussi : La « protection temporaire » accordée aux personnes fuyant l'Ukraine
Dans un discours prononcé au moment de la prise de pouvoir des talibans, Emmanuel Macron a souligné la nécessité de protéger les demandeurs d’asile tout en se protégeant contre les « flux migratoires irréguliers » en provenance d’Afghanistan. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s’est dite préoccupée par ce discours et a appelé le gouvernement à favoriser la mise en place d’un mécanisme européen visant à partager les responsabilités afin de protéger les Afghans ayant fui leur pays et à suspendre les renvois forcés vers l’Afghanistan.
Notre rapport annuel montre qu’après la chute de Kaboul, la France a continué à prendre des mesures d’obligations de quitter le territoire français contre des ressortissants afghans. En France, des milliers de personnes réfugiées afghanes sont toujours en attente d’un regroupement familial.
Lire aussi : Notre rapport annuel 2021 : Pourquoi le monde d'après n'a pas eu lieu
Dans un contexte international inquiétant, marqué par la multiplication des conflits et la restriction des libertés publiques, la France doit se montrer exemplaire en matière de droits humains. Comment la France pourrait-elle porter et défendre ses valeurs hors de ses frontières, si elle ne fait pas elle-même preuve d’exemplarité́ ? Nous attendons de la France qu’elle reste fidèle à ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité. À l’approche de l’élection présidentielle, faire passer ce message est d’autant plus important. Nous y veillerons. Il en va du respect de nos droits.