Contrôles au faciès, accueil à deux vitesses des personnes exilées, discriminations des minorités et notamment des personnes musulmanes. En 2022, les discours politiques stigmatisants ont pris beaucoup de place dans le débat politique français. Conséquence ? Ils se reflètent dans les pratiques. Explications.
Un an d'enquêtes, 156 pays analysés. Comme chaque année, nous publions ce 28 mars 2023, notre rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde.
Notre constat : notre pays est loin d’être exemplaire en matière de respect des droits humains.
Parmi les manquements de la France en 2022, nous constatons notamment :
L'opacité des transferts d'armes de la France face aux risques qu'elles puissent contribuer à la commission de violations graves du droit international humanitaire.
La surpopulation dans les prisons pour laquelle la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en 2020 ;
Les traitement cruels, inhumains et dégradants réservés aux enfants qui restent retenus dans des camps du Nord Est de la Syrie et que la France n’a toujours pas rapatriés, ce qui a fait l’objet d’une condamnation par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, le 24 février 2022;
L’impunité suite au recours à la force disproportionné des forces de l’ordre, dans la gestion de manifestations ou de rassemblements ayant entrainé des blessures graves, amputations, éborgnages… Par exemple, la famille de Zineb Redouane, décédée à la suite d’un tir de grenade lacrymogène en décembre 2018, n’a toujours pas obtenu justice, quatre ans après.
Au-delà des graves manquements de la France à ses obligations en matière de respect et de promotions des droits humains, ce qui a marqué l'année 2022 est le renforcement de discours stigmatisants contre les personnes exilées et certaines minorités, notamment les personnes musulmanes.
Ces discours stigmatisants de plus en plus décomplexés, voire racistes, se répandent dans certains médias, sur les réseaux sociaux, et s’invitent chez des responsables politiques, jusqu’au plus haut sommet de l’État. Des dérives dans les discours, qui se traduisent aussi dans les pratiques.
Malgré les rapports et les alertes sur ces atteintes aux droits humains, la stigmatisation et la discrimination des personnes exilées et des minorités en France a continué à s'enraciner toujours plus dans les discours et dans les actes pendant l'année 2022.
Explications. 👇
Des discours stigmatisants, jusqu’au plus haut sommet de l’État
➡️ Ce que nous dénonçons : les discours stigmatisants.
Face à la situation de personnes qui ont dû fuir la guerre ou les persécutions dans leur pays, le double discours des plus hauts responsables politiques français est flagrant. Ils s‘expriment différemment selon que ces personnes viennent d’Ukraine ou d’Afghanistan.
En août 2021, lorsqu’une partie de la population afghane a été contrainte de quitter son pays, Emmanuel Macron avait alerté sur le besoin d’une initiative européenne pour « anticiper » et « protéger contre des flux migratoires irréguliers importants » qui « nourrissent les trafics de toute nature ». Lors d’un discours télévisé ce 16 août 2021, Emmanuel Macron n’a pas prononcé une seule fois les termes “asile” ou “réfugié”.
« Utiliser des mots qui déshumanisent tels que 'flots', 'vagues migratoires', c’est faire percevoir ces personnes comme une menace. C’est faux, c’est injuste, c’est insultant. » Jean Claude Samouiller, président d'Amnesty International France
Moins d’un an après, la population ukrainienne était à son tour contrainte à l’exil. Cette fois, le président a insisté sur l’accueil de « plusieurs centaines de milliers de réfugiés venant d'Ukraine » en Europe et en France en remerciant « nos villes et nos villages qui ont commencé à se mobiliser » ainsi que les associations qui « œuvrent pour accueillir dans les meilleures conditions. »
On retrouve ce double discours chez le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin: d’un côté, il évoque le besoin de sécurité, de l’autre, il met en avant la tradition d’accueil de la France.
👉 Le 24 août 2021, il twittait : « Avant d’arriver en France, les réfugiés afghans sont soumis à des contrôles de sécurité approfondis. Merci à l’ensemble des agents mobilisés sur le terrain. Notre vigilance est totale. ».
👉 Le 10 mars 2022, son discours concernant les personnes venues d’Ukraine avait une autre teinte : « 7500 personnes qui fuient l’Ukraine sont déjà arrivées en France. Fidèle à sa tradition d’accueil, la France se tient prête et anticipe différents scénarios ».
En octobre 2022, 118 994 personnes réfugiées venues d’Ukraine se trouvaient en France selon le Haut-Commissaire des Nations Unis pour les réfugiés. Les Ukrainiens et Ukrainiennes ont eu accès de façon accélérée et systématique au statut de réfugié dans le cadre de la protection temporaire. Un dispositif européen qui n’a été accordé ni à la population afghane, ni à la population syrienne, démontrant un deux poids, deux mesures inacceptables.
Les Ukrainien·nes ont eu accès de façon accélérée et systématique au statut de réfugié dans le cadre de la protection temporaire. Un dispositif européen qui n’a été accordé ni à la population afghane, ni à la population syrienne.
Bien entendu, nous saluons les dispositifs mis en place pour accueillir les personnes exilées venues d’Ukraine. Ils nous prouvent une chose : accueillir dignement ces personnes est possible mais dépendant d’une vraie volonté politique. Et cela devrait être une réalité, quel que soit le passeport des personnes exilées.
➡️ La France a été alertée
Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU (CERD) s’est dit « préoccupé par le discours politique raciste tenu par des responsables politiques à l’égard de certaines minorités ethniques, en particulier les Roms, les gens du voyage, les personnes africaines ou d’ascendance africaine, les personnes d’origine arabe et les non-ressortissants. » Il a également recommandé à notre pays de « redoubler d’efforts pour prévenir et combattre efficacement les discours de haine raciale. »
À force de les entendre, ces discours discriminants participent à façonner et à biaiser les perceptions sur certains groupes d’individus. Ces discours ne sont pas basés sur des faits. Ils sont le fruit d’idéologies à peine dissimulées. Plus inquiétant encore, ils se reflètent dans les pratiques.
Renvois illégaux de personnes exilées à nos frontières
➡️ Ce que nous dénonçons
Après avoir vécu la guerre ou les persécutions, fui leur pays dans des conditions difficiles, des personnes exilées sont renvoyées de force et illégalement à la frontière franco-italienne, sans avoir pu demander l’asile en France. Nous avons documenté avec nos partenaires associatifs, une impossibilité de demander l’asile, et des renvois forcés illégaux quotidiens de personnes exilées, originaires d’Afghanistan ou d’Iran par exemple.
Les renvois sommaires, illégaux, forcés et parfois violents de personnes réfugiées et migrantes se multiplient aux frontières de la France.
Le 18 janvier 2023, une personne interpellée dans le train de 5h58 à la gare de Menton Garavan, a expliqué qu’il était Afghan et dit « demander l’asile ! », ce à quoi les policiers ont répondu « fini la France, y’a plus de place et plus de travail ». Il a été renvoyé en Italie.
Plus globalement, les renvois sommaires, illégaux, forcés et parfois violents de personnes réfugiées et migrantes se multiplient aux frontières de la France mais également dans d’autres pays d’Europe comme la Grèce, la Pologne, la Lituanie ou la Lettonie.
Cette pratique est illégale parce qu'elle prive les personnes de demander l’asile en exposant les spécificités de leur situation individuelle. Cela empêche notamment de déterminer si elles risquent d'être soumises à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
➡️La France a été alertée
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que notre pays avait violé les droits de demandeurs d’asile sans ressource en n’appliquant pas les ordonnances de référé. Elle a enjoint l’État d’héberger en urgence ces personnes.
L'examen du projet de loi "asile et immigration" reporté
Le 28 mars 2023, les sénateurs et sénatrices devaient examiner le projet de loi asile & immigration proposé par le gouvernement. Un projet de loi dangereux, qui aurait eu pour conséquences le recul des droits des personnes exilées et la détérioration de leurs conditions d’accueil. Dans son allocution sur la réforme des retraites, Emmanuel Macron a annoncé un report de l’examen du projet de loi au Sénat. Certaines propositions pourraient néanmoins voir le jour dans d'autres textes.
Cumuler les projets de loi ne sert à rien. Il faudrait déjà respecter les droits prévus par le droit national, européen et international.
Cela est nécessaire pour améliorer la situation dramatique sur le terrain. Nous le répétons au gouvernement depuis des mois. Nous appelons le gouvernement à mettre en place une politique migratoire fondée sur l’accueil, respectueuse des droits fondamentaux et de la dignité des personnes exilées. C’est en plaçant les droits humains au cœur que le mot humanité retrouvera tout son sens.
➡️ Nos demandes
L’accès à une procédure d’asile équitable et efficace
La création de voies sûres et légales pour permettre aux personnes qui souhaitent demander l’asile en France de le faire sans avoir à passer par des routes dangereuses
Un accès sûr au territoire, sans pratiques illégales aux frontières, telles que les refoulements, les expulsions collectives, l’enfermement sans cadre légal, le refus d’examiner les demandes d’asile et les renvois illégaux.
En France, à Menton, la police arrête des personnes migrantes pour les conduire dans les locaux de la police des frontieres, Menton le 20 janvier 2023. © Frederic Pasquini / Hans Lucas - AFP
Discriminations envers les minorités et notamment les personnes musulmanes
➡️ Ce que nous dénonçons
Des politiques et des pratiques témoignent d’une hostilité envers certaines minorités et notamment les personnes musulmanes. En 2021, nous alertions déjà sur la loi « confortant le respect des principes de la République ». L’application de cette loi soulève toujours des questions préoccupantes au regard du droit international des droits humains.
Elle s’inscrit dans la ligne sécuritaire de la politique gouvernementale : essentiellement répressive, elle vient restreindre un grand nombre de droits et libertés publiques garantis constitutionnellement en matière de liberté religieuse.
Lire aussi : le Sénat vote un texte de loi discriminatoire
Le texte de cette loi ne contient pas de référence explicite à la religion ou aux personnes musulmanes. Pourtant, le contexte politique dans lequel elle a été proposée puis débattue, trahie une volonté manifeste de lutter contre des concepts vagues et mal définis tels que « l’islam politique », « l’islam radical » et le « séparatisme islamiste », souvent utilisés de manière interchangeable. Cette définition trop large et trop vague des cibles risque fortement d’ouvrir la voie à une utilisation abusive de la loi et d’entraîner des effets discriminatoires indirects pour les personnes musulmanes ou perçues comme telles en France.
Nous continuons d’être vigilants sur la mise en application de la loi « confortant le respect des principes de la République », notamment sur les risques de discrimination qu’elle comporte.
Et encore une fois, les déclarations de certains hauts responsables politiques ont servi à justifier le fait de prendre la communauté musulmane pour cible, bien que la loi « séparatisme » soit en apparence neutre. Nous continuons d’être vigilants sur la mise en application de cette loi et notamment sur les risques de discrimination qu’elle comporte.
➡️ La France a été alertée
Le Rapporteur général sur la lutte contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe, le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, et le Haut conseil à la vie associative notamment – ont exprimé leurs réserves ou leurs inquiétudes sur la loi dite “séparatisme”.
➡️ Nos demandes
Respecter le principe de non-discrimination : les autorités françaises ne doivent pas adopter des mesures qui pourraient être directement ou indirectement discriminatoires.
Respecter la liberté de pensée, de conscience et de religion, le droit de choisir une religion et de la pratiquer sans ingérence injustifiée, ou de n’en choisir aucune, garantie principalement par la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 18), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 18), et la Convention européenne des droits de l’homme (article 9).
Contrôles au faciès
➡️ Ce que nous dénonçons
En France, des personnes sont contrôlées par la police en raison de leur origine réelle ou supposée. Ces pratiques policières portent un nom : contrôles d’identité discriminatoires ou « contrôles au faciès ». Elles sont stigmatisantes, humiliantes et dégradantes pour toutes les personnes qui en sont victimes.
Lire aussi : Qu’est-ce que le “contrôle au faciès” ?
Des études quantitatives ont démontré que les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes (y compris les enfants) sont ciblés de manière disproportionnée par les forces de l’ordre lors de contrôles et de fouilles.
Les contrôles au faciès sont des pratiques policières anciennes, persistantes, généralisées et largement connues et documentées.
Ces personnes signalent plus fréquemment faire l’objet de contrôles d’identité, d'après le Défenseur des droits. Parmi les hommes interrogés, 17,4 % déclarent avoir été contrôlés par la police au moins une fois au cours des cinq dernières années, contre plus de 50 % des hommes perçus comme arabes, maghrébins ou noirs. Une probabilité deux fois plus élevée d’être contrôlé.
Gare du Nord, Paris © AFP / Fred Dufour
Qu’est-ce que le racisme systémique ?
Le racisme devient systémique quand des institutions, des lois et des politiques publiques entretiennent un système discriminatoire, qui privilégie certains groupes et en opprime d’autres, selon des apparences physiques. Les contrôles au faciès sont les principales manifestations de ce racisme systémique.
Les contrôles au faciès sont des pratiques policières anciennes, persistantes, généralisées et largement connues et documentées.
On parle de discriminations systémiques. Nous les avons constatées à nos frontières et sur le territoire français. Un problème connu, mais aucune réponse politique n’est apportée. Pour dénoncer l’inaction des autorités françaises, nous les avons poursuivies en justice en 2021, aux côtés de cinq autres associations.
Selon le Défenseur des droits, ces pratiques systématiques et abusives de contrôle d'identité et les violences policières créent un climat « intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Il a estimé qu’elles constituaient un « harcèlement discriminatoire » et une « discrimination systémique ».
➡️ La France a été alertée
Depuis plus de 10 ans, des instances européennes et onusiennes exhortent les autorités françaises à mettre un terme aux contrôles d’identité discriminatoires. Le 28 juin 2021, la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme a épinglé la France en raison des contrôles d’identité au faciès dans son rapport sur la « Promotion et protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales des Africains et des personnes d’ascendance africaine face au recours excessif à la force et aux autres violations des droits de l’homme dont se rendent coupables des membres des forces de l’ordre ».
Le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD) a également souligné en décembre 2022 sa préoccupation concernant le profilage ethnique pratiqué de façon persistante par les responsables de l’application des lois.
➡️ Nos demandes
Supprimer les contrôles d'identité administratifs
Encadrer strictement le pouvoir de la police lors des contrôles judiciaires ou sur réquisition ;
Créer un système permettant de fournir aux personnes contrôlées un justificatif de leur contrôle et d'évaluer ces contrôles ;
Créer un mécanisme de plainte indépendant et efficace ;
Modifier les objectifs institutionnels, les directives et la formation de la police, notamment en ce qui concerne les interactions avec le public.
Malgré les condamnations, les autorités françaises restent dans l’inaction. Elles ne luttent pas efficacement contre les discriminations à l’encontre d’une partie de la population, des personnes exilées mais aussi pour mettre fin au recours abusif à la force par les forces de l’ordre et à l’impunité suite à des violences policières.
Nous appelons les autorités françaises à prendre leurs responsabilités pour être à la hauteur des enjeux en respectant les droits humains.
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