883 : c’est le nombre le plus haut enregistré depuis cinq ans. Alors que l'abolition de la peine de mort continue de gagner du terrain dans le monde, l’an dernier, les exécutions judiciaires ont atteint un niveau record depuis 2017. En cause, la frénésie particulièrement meurtrière de l’Iran, de l’Arabie Saoudite et de l’Égypte. Sans compter les milliers d’exécutions qui ont probablement eu lieu en Chine dans le plus grand secret.
En 2022, selon notre rapport annuel sur la peine de mort, le nombre d’exécutions enregistrées dans le monde est remonté en flèche. L'an dernier, au moins 883 personnes ont été exécutées dans 20 pays à travers le monde. C'est 53 % de plus par rapport à 2021. Cette augmentation des exécutions est essentiellement due à des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord qui représentent, en dehors de la Chine, 93% des exécutions mondiales. Un chiffre étourdissant.
90 % des exécutions recensées dans le monde en dehors de la Chine ont été réalisées par seulement trois pays.
Sans surprise, c’est en Iran, deuxième pays où l’on pratique le plus la peine de mort après la Chine, que les exécutions ont malheureusement connu la hausse la plus importante : 576 personnes exécutées contre 314 en 2021. Il est suivi de l'Arabie saoudite, qui est passé de 65 à 196 personnes exécutées en une année. Aux États-Unis, le seul pays des Amériques à continuer à procéder à des exécutions depuis 14 ans, le nombre d’exécutions a également augmenté (de 11 à 18), mais ce chiffre reste l’un des moins élevés jamais enregistrés.
Quant à l’Europe, le Bélarus demeure le seul pays de la région à recourir encore à la peine capitale. Enfin, nous déplorons la reprise d’exécutions dans cinq pays qui n'avaient connu aucune exécution en 2021 : l’Afghanistan, le Koweït, le Myanmar, l’État de Palestine et Singapour.
Les chiffres recueillis par Amnesty International sont basés sur diverses sources fiables. Il s'agit notamment de données officielles (lorsqu'ils sont disponibles), de décisions de justice, d'informations provenant de personnes condamnées à mort, de leurs familles et de leurs représentants, d'organisations non gouvernementales et intergouvernementales, de défenseurs des droits humains, des médias et de recherches sur le terrain.
Les chiffres utilisés sont ceux qui peuvent être tirés avec certitude de nos recherches, mais nous insistons sur le fait que les chiffres réels sont probablement beaucoup plus élevés. Certains États dissimulent intentionnellement les procédures relatives à la peine de mort, d'autres ne tiennent pas de statistiques sur le nombre de condamnations à mort et d'exécutions ou ne les rendent pas disponibles. Dans les pays touchés par un conflit, il n'est souvent pas possible d'obtenir des informations suffisantes pour confirmer si des exécutions ont eu lieu.
Lire aussi : Les 5 pays qui ont le plus exécuté en 2022
Malgré ce contexte peu réjouissant, plusieurs pays ont pris des mesures décisives contre la peine de mort. Cette année encore, de nouveaux pays ont rejoint notre combat en faisant un pas décisif vers l’abolition universelle de ce châtiment, le plus cruel, le plus inhumain et le plus dégradant qui soit.
Des exécutions tenues secrètes
La Chine est restée le pays qui exécute le plus au monde, mais elle a continué de tenir secrètes ses statistiques sur la peine de mort. Comme les années précédentes, les totaux mondiaux enregistrés des exécutions ne comprennent pas les milliers de personnes qui ont été condamnées à mort ou exécutées en Chine, ni les nombreuses exécutions qui ont probablement eu lieu en Corée du Nord et au Viêt-Nam. En raison du secret qui entoure ces pratiques dans ces trois pays et d’un accès très restreint aux informations à leur sujet, il est impossible d’établir des statistiques fiables.
La peine de mort comme instrument de terreur
En 2022, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, le rythme des exécutions s’est intensifié. Les nombres d’exécutions enregistrés dans ces deux régions sont éloquents : ils sont passés de 520 exécutions en 2021 à 825 en 2022. À eux seuls, l’Iran, l’Arabie Saoudite et l’Égypte enregistrent 90% des exécutions comptabilisées dans le monde l’an dernier.
Lire aussi : Iran, le combat d'une mère pour sauver sa fille de l'exécution
Leur point commun : ces trois pays tendent à utiliser la peine de mort comme un instrument de répression pour étouffer les mouvements de contestation, et pour instaurer la terreur.
En Iran, depuis le début du soulèvement déclenché par la mort en détention de Mahsa Amini le 16 septembre 2022, la peine de mort est notamment utilisée par les autorités pour étouffer le soulèvement. Pour instiller la peur auprès de la population, les autorités ont accéléré les procédures de condamnations à mort afin d’exécuter plus rapidement.
Les exécutions en lien avec le soulèvement ont démarré le 8 décembre dernier. Mohsen Shekari est le premier manifestant à avoir été exécuté. Cinq jours plus tard, Majidreza Rahnavard a été exécuté sur une place publique à Machhad. Le 8 janvier 2023, Mohammad Mahdi Karami, 22 ans et Seyed Mohammad Hosseini, 39 ans ont été exécutés. Tous ont été condamnés à la suite de à des procès iniques et expéditifs.
L’État iranien est engagé dans une politique de terreur que l’on retrouve dans la rue et dans les tribunaux.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International
En 2023, l’horreur continue. Au cours des seuls mois de janvier et de février, 94 personnes ont été exécutées dans le pays.
L’Arabie saoudite quant à elle, a vu le nombre des exécutions tripler entre 2021 et 2022. Nous avons enregistré 196 exécutions, soit le nombre le plus élevé depuis 30 ans. En un seul jour, en mars 2022, les autorités saoudiennes ont procédé à l'exécution massive de 81 personnes. Au total, parmi les personnes exécutées en 2022, 85 étaient condamnées pour des infractions liées au « terrorisme » (contre 9 l’an dernier).
En Égypte, la situation reste également très inquiétante. Si un nombre moins important de personnes a été exécuté (83 en 2021 contre 24 en 2022), dans le même temps, le nombre de condamnations à mort a continué d’augmenter, et le pays reste l'un des principaux exécuteurs au monde.
Des militants participent à une veillée aux chandelles contre l'exécution imminente de Nagaenthran K. Dharmalingam, condamné à mort pour trafic d'héroïne à Singapour, devant l'ambassade de Singapour à Kuala Lumpur, le 8 novembre 2021. Photo by Mohd RASFAN / AFP via Getty Images
L’explosion du nombre d’exécutions liées au trafic de drogue
Le nombre de personnes exécutées dans des affaires liées aux stupéfiants a plus que doublé entre 2021 et 2022.
Dans certains pays, si vous êtes reconnu coupable d’une infraction liée à la législation sur les stupéfiants, vous encourez la peine capitale. Cela peut aller du trafic d’héroïne au fait d’être en possession d’une petite quantité de marijuana. Et ces exécutions sont loin d’être anecdotiques. Elles représentent près de 37% des personnes exécutées à travers le monde en 2022.
Ainsi, depuis le début de l’année 2022, la peine capitale a été prononcée pour des infractions à la législation sur les stupéfiants en Arabie saoudite, en Chine, en Iran, ou à Singapour.
Cette explosion du recours à la peine capitale pour des infractions à la législation sur les stupéfiants est particulièrement préoccupante.
La peine de mort bafoue le droit à la vie et, utilisée dans ces circonstances, porte atteinte au droit international et aux normes internationales. Elle est susceptible d’ôter la vie à des personnes condamnées à l’issue de procès iniques et touche de manière disproportionnée les personnes issues de minorités et de milieux socio-économiques défavorisés.
Rappelons par ailleurs que la peine de mort n'a pas d’effet dissuasif particulier sur la criminalité. Les statistiques de pays abolitionnistes montrent que les crimes qui étaient auparavant passibles de ce châtiment n’augmentent pas quand il n’est plus appliqué.
Il est temps que les gouvernements et les Nations unies accentuent la pression sur les responsables de ces violations flagrantes des droits humains et veillent à ce que des protections internationales soient mises en place.
Agnès Callamard
Lire aussi : La peine de mort contre le narcotrafic
Les méthodes d'exécutions utilisées en 2022
Décapitation : Arabie saoudite
Pendaison : Bangladesh, Égypte, Irak, Iran, Japon, Myanmar, Singapour, Soudan du Sud, Syrie
Injection létale : Chine, États-Unis, Viêt-Nam
Exécution par balle : Afghanistan, Bélarus, Chine, Corée du Nord, Koweït, Palestine (État de), Somalie, Yémen
Lire aussi : Les six méthodes d'exécution encore utilisées dans le monde
Des militants d'Amnesty International protestent contre des condamnations à mort. Photo de Matteo Nardone/Pacific Press/LightRocket via Getty Images.
L’abolition continue d’avancer
Malgré ce contexte peu réjouissant, la peine de mort a continué de reculer dans le monde en 2022. L’espoir vient de six pays qui ont aboli, entièrement ou partiellement, la peine de mort au cours de l’année 2022 en Afrique, en Asie centrale et en Océanie.
Le Kazakhstan, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Sierra Leone et la République centrafricaine ont aboli la peine de mort pour tous les crimes, tandis que la Guinée équatoriale et la Zambie l’ont supprimée uniquement pour les crimes de droit commun.
En 1977, lorsqu'Amnesty International a commencé à faire campagne pour l’abolition de la peine de mort, seuls 16 pays avaient aboli ce châtiment pour tous les crimes. À la fin de l’année 2022, 112 pays avaient aboli la peine de mort pour tous les crimes, et neuf uniquement pour les crimes de droit commun. Au total, 144 pays sont abolitionnistes en droit ou en pratique !
Cette dynamique positive se poursuit aujourd’hui au Liberia et au Ghana, qui ont pris des mesures législatives en vue de l’abolition de la peine de mort, ainsi qu’au Sri Lanka et aux Maldives, deux pays dont les autorités ont annoncé qu’elles n’appliqueraient plus les condamnations à mort. Des propositions de loi visant à abolir l’application obligatoire de la peine de mort ont été présentées au Parlement malaisien.
Preuve que le monde continue, indubitablement, de s’éloigner de la peine capitale. Désormais, seule une minorité de pays, de plus en plus isolés, ont encore recours activement à ce châtiment. Et 125 États membres de l’ONU – un nombre record – demandent à nos côtés un moratoire sur les exécutions.
Au moment où de nombreux pays continuent de faire tomber la peine de mort dans les oubliettes de l’histoire, il est temps que les autres suivent cet exemple. Les actions brutales de pays comme l’Iran, l’Arabie saoudite ainsi que la Chine, la Corée du Nord et le Viêt-Nam sont aujourd’hui très minoritaires. Ces pays doivent de toute urgence évoluer avec leur temps, protéger les droits humains et exécuter la justice plutôt que des personnes .
Agnès Callamard
Vidéo : Voir pour comprendre : la peine de mort avec Nota Bene
Jamais, nous n’avons été si proches de voir ce châtiment ignoble relégué aux annales de l’histoire. Mais les chiffres tragiques de 2022 nous rappellent que le combat se poursuit. Nous devons continuer d’unir nos voix pour condamner ce châtiment pour ce qu’il est : une sanction cruelle qui bafoue le droit à la vie !
Ce que nous demandons
La peine de mort et la torture sont la négation absolue des droits humains. Aucun être humain ne doit y être soumis. Nous exigeons l’abolition universelle de ces pratiques et nous nous battons pour que :
Les pays qui utilisent encore la peine de mort adoptent des moratoires et cessent toute exécution
Les pays qui ont déjà pris des moratoires modifient définitivement leur législation pour abolir la peine de mort.
Toutes les peines capitales déjà prononcées soient commuées en peines d'emprisonnement
Les gouvernements condamnent sans réserve le recours à la torture et que les actes de torture fassent systématiquement l'objet d'une d'enquête, et que les auteurs présumés soient poursuivis en justice
Les États préviennent les actes de torture en formant ses fonctionnaires, et en prenant des mesures pour éviter que ces actes ne soient commis (lors d’arrestations, en garde à vue ou en détention)