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URGENCE PROCHE ORIENT

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À Rome, le camp "Baobab" près de la gare de Tiburtina

Les petits cailloux de la solidarité

À Rome, le camp "Baobab" près de la gare de Tiburtina © Édouard Elias

En Italie, sur les chemins des enfants migrants, une foule d’associatifs prennent soin d’eux.

Il ne s’attendait pas à ça, Ismaël. Sept mois déjà dans ce centre d’accueil propre et froid, quand nous le rencontrons début décembre 2017. Sept mois, c’est long à 16 ans. Il s’ennuie Ismaël, dans cette banlieue de Palerme, entre le parking du centre commercial voisin et les maisonnettes du lotissement d’à côté.

Il prend parfois le bus pour aller au marché populaire de Ballaro, dans le centre de la capitale provinciale. « Là-bas, il y a beaucoup d’Africains, j’aime bien aller discuter avec eux », dit-il.

Ismaël est un des 25 846 enfants migrants non accompagnés arrivés en Italie en 2016. Il a 14 ans quand il fuit un mariage imposé par son père et son pays, le Burkina Faso. Il gagne Agadez et de là traverse le Sahara.

À Sebha, ville du sud libyen et passage obligé des migrants, il travaille un an comme maçon. « Mon patron me traitait bien, il me payait un peu et ne voulait pas que je parte », raconte Ismaël, dans la grande salle commune presque vide.

Mais le pays est trop dangereux.

N’importe qui peut t’enlever ou te tuer parce que tu es noir.

Ismaël, un Burkinabé de 16 ans

Alors ce sera l’Europe, « car les droits des enfants y sont respectés », récite Ismaël comme pour mieux s’en convaincre. Mais ce n’est pas vraiment le cas, répètent, de Palerme en Sicile à Vintimille sur la frontière française, des professionnels, des bénévoles, des travailleurs sociaux, des juristes, des médecins ou de simples citoyens.

Tous ceux qui tentent de prendre soin de ces milliers d’enfants débarqués seuls en Italie.

Et pourtant, sur le papier, le pays ne semble pas avoir à rougir. Au printemps 2017, l’Italie a adopté une législation saluée par l’Unicef comme un modèle pour l’Europe : interdiction de la reconduite à la frontière, attribution d’un permis de séjour jusqu’à la majorité de l’enfant. Enfin, surtout, une petite révolution en cas de question sur la minorité ou la majorité du jeune.

Les tests osseux décriés car peu fiables ne sont plus décisifs.

Ils doivent être encadrés par des entretiens menés par des médiateurs culturels dans la langue de l’enfant, et le doute profite au mineur. Mais dans les faits, le système est débordé, bloqué.

Heureusement pour tous les Ismaël qui débarquent en Sicile, le tissu associatif italien pallie en partie les carences de l’État.

Lire aussi : Le témoignage de Malic, un jeune migrant ivoirien

Sicile : tuteurs volontaires et affairistes sans scrupules

Selon le système italien, Ismaël aurait dû séjourner un mois dans un centre d’urgence, dit de premier accueil, avant d’être orienté dans un centre de deuxième accueil.

C’est là, et là seulement, que commence le parcours d’intégration : papiers, scolarité, apprentissage.

Mais le système craque de toute part sous le nombre d’arrivées de mineurs non accompagnés. 13 026 en 2014, 12 360 en 2015, 25 846 en 2016, 15 648 au 18 décembre 2017.

La chute du nombre d’arrivées après les accords passés entre l’Italie d’une part, les gardes-côtes et les milices libyens d’autre part, n’a pas amélioré la situation.

Les centres sont engorgés. « Le résultat, se désole Giovanna, c’est que les centres de premier accueil sont des parkings où pourrissent les enfants ­souvent pendant un an ! ».

Encore Ismaël a-t-il la chance d’être hébergé dans une structure gérée par la mairie de Palerme, bien décidée à se montrer à la hauteur. « Ce sont des enfants avant d’être des migrants », plaide Giuseppe Mattina, conseiller municipal, et à ce titre tuteur légal de 500 mineurs non accompagnés sur les 550 recensés.

Trop pour un seul homme.

La mairie a lancé un appel aux tuteurs volontaires. « Chacun a l’autorité parentale sur un ou deux enfants. Il est l’interlocuteur de l’école, des travailleurs sociaux, des professionnels de santé et de l’administration municipale, jusqu’à leur autonomie à 18 ou 21 ans selon les cas, explique Angela Errore, défenseure des droits de l’enfant de Palerme. Les premières évaluations sont très positives ».

54 tuteurs ont été recrutés en 2017. Angela espère arriver à 300 en 2018.

Le centre de premier accueil géré par la mairie de Palerme © Édouard Elias

Parallèlement, la mairie de Palerme a passé un contrat avec l’ONG Intersos, qui a formé, en un peu plus d’un an, 500 travailleurs sociaux et administratifs à la protection de l’enfance et aux activités éducatives.

« Tous les mineurs qui débarquent sont profondément traumatisés. En Libye, beaucoup ont été maltraités, voire torturés, sans parler du voyage et de la traversée. Ce ne sont pas des enfants comme les autres, souligne Diego Pandiscia, ­éducateur et coordinateur d’Intersos pour la Sicile. Or beaucoup de personnes se sont improvisées éducateurs et gérants de centres d’accueil. C’est un problème majeur, surtout en Sicile ».

L’accueil d’urgence est devenu un business pour certains individus sans scrupules et pour les réseaux criminels.

Ces dernières années, pour ouvrir une structure d’hébergement d’urgence, « il suffit d’un bâtiment suffisamment grand, ancien hôtel ou centre de vacances, et de téléphoner à la mairie, explique Diego Pandiscia. La préfecture verse au gérant une somme forfaitaire de 35 euros par jour pour un adulte et de 45 euros pour un mineur. On a vu des bâtiments sans sanitaires ou sans cuisine, avec des chambres surpeuplées, dans des états déplorables ».

Le ministère de l’Intérieur, censé gérer ces établissements, n’effectue que très peu de contrôles.

L’opacité règne. « Les autorités nous objectent sans cesse la situation d’urgence, mais elles refusent de nous donner la liste des centres et certains, très isolés, nous sont inconnus », critique Yasmine Accardo, enseignante d’italien auprès des migrants depuis quinze ans et membre de LasciateCiEntrare (« Laissez les entrer »), qui a réussi à faire fermer plusieurs centres, notamment en Calabre et en Sardaigne, et à faire transférer les mineurs dans des structures de deuxième accueil.

Mais certains mineurs n’ont plus confiance en ­personne et s’enfuient.

Yasmine Accardo, enseignante d'italien auprès des migrants

Système de la débrouille

5 à 6 000 mineurs étrangers disparaissent chaque année des radars à cause des violences subies dans les lieux d’hébergement.

Ou parce qu’ils veulent rejoindre un frère, une tante, un cousin, dans un autre pays européen. Ou encore parce que rien n’avance.

« Depuis l’ouverture le 22 mai dernier, 20 enfants se sont enfuis, déplore Angelica Perdecchizi, la directrice de la structure où vit Ismaël. Ils n’en pouvaient plus d’attendre le regroupement familial. Nous nous battons contre cette bureaucratie, et nous échouons souvent ».

Sous la fenêtre de son bureau à peine chauffé, un gamin malingre tape dans un ballon : « Lui, c’est un des quatre survivants du naufrage d’un canot qui avait 250 personnes à bord. Il a 17 ans. Quand il est arrivé, en mai dernier, il se battait sans arrêt. Il était agité, violent. Aucune aide psychologique n’est prévue dans les centres de premier accueil comme le nôtre. Alors on s’est débrouillés avec l’hôpital pour lui trouver un psy. On trouve toujours des arrangements, mais ce sont des cautères sur des jambes de bois ».

Comme Angelica, Giovanna est fatiguée et en colère.

Je vois tellement d’enfants épuisés et frustrés. Avoir tant souffert pour trouver si peu ! Souvent, ils perdent la volonté de vivre.

Giovanna

Omar a voulu s’enfuir, lui aussi. C’était en septembre 2014, il venait de débarquer dans le port de Syracuse après deux ans de quasi esclavage en Libye et vingt-deux heures en mer dans un canot qui prenait l’eau.

Le gamin ghanéen de 14 ans voulait une vie normale, avec l’école, les copains, un endroit sûr où dormir.

Il s’est retrouvé parqué avec 60 autres migrants, adultes et enfants, à six par chambre et deux salles de bain pour tout le monde. Rien à faire sinon tourner en rond.

Et puis une bonne fée s’est penchée sur lui : Accoglierete, une association créée en juillet 2013 par l’avocate de Syracuse Carla Trommino.

À l’époque, la plupart des enfants qui débarquaient se retrouvaient à errer dans les villes et les campagnes de la région. Carla Trommino a convaincu le juge des tutelles de sa ville de nommer des tuteurs pour les mineurs étrangers non accompagnés, comme il le faisait pour les enfants italiens en ­danger.

Certains tuteurs ont souhaité devenir aussi famille d’accueil. C’est ainsi qu’Omar s’est retrouvé dans une petite ville rurale du côté d’Augusta, chez Stefania et Damiano Caldarella, parents de deux petits garçons.

« On voulait offrir un environnement sûr et chaleureux à l’un de ces gamins qu’on voyait errer sur nos routes ou se prostituer sur le port de Catane, se souvient Stefania. Nous savions ce ne serait pas simple. Accoglierete nous a appuyés, guidés, formés ».

L’ophtalmologiste et l’ingénieur ont réussi leur pari : dans cette maison en éternel chantier, Omar se sent d’abord « en sécurité ». Un peu plus de trois ans après son arrivée, il est devenu « un ado comme les autres », rigole Stefania.

Il partage sa chambre avec Michele, 9 ans, et Lorenzo, 5 ans et possède une console de jeux offerte par un camarade d’école. « Quand il ne veut vraiment pas obéir, je coupe le wifi », confie Damiano.

Omar, seul Africain de son collège, rattrape son retard, lui qui, au Ghana, avait arrêté l’école à 9 ans. Il est bon en maths et en anglais, il a une petite amie, la même depuis deux ans, et passe parfois la nuit chez elle.

La route ­d’Omar, le gamin ghanéen, s’est arrêtée à Villasmundo et le système de tuteur individuel inventé par Carla Trommino a fait des émules jusqu’à la mairie de Palerme.

Lire aussi : L'abandon des enfants migrants

Lamezia, Calabre : la ’Ndrangheta en embuscade

C’est un drôle d’endroit pour mettre à l’abri des mineurs étrangers vulnérables. Non que les locaux soient indignes : l’immeuble, ni beau ni laid, est situé dans une zone mi-résidentielle mi-artisanale de Lamezia, près d’un rond-point orné d’une madone.

Tout est bien tenu, de la grande cuisine impeccable à la salle à manger, avec ses chaises gentiment rangées autour de la table. Des ados chahutent sur un canapé au son un peu fort d’une télévision.

La particularité du lieu, c’est qu’il a été confisqué par la justice à une famille de la ’Ndrangheta, la mafia calabraise, condamnée pour trafic de drogue et racket.

Voilà comment l’immeuble est devenu le siège de Luna Rossa, une structure d’accueil fondée par un prêtre catholique, Giacomo Panizza. Au moins aussi célèbre pour sa lutte contre la mafia que pour ses œuvres sociales.

Nous n’avions pas d’autre lieu disponible. Et puis les mafieux en veulent au père Giacomo, pas à Luna Rossa

Nicole Emanuele, directeur de Luna Rossa

Il y a eu quand même des grenades à plâtre lancées contre l’immeuble, quelques tirs sur la porte et les freins sectionnés d’un véhicule de l’association. Il faut dire que les anciens propriétaires sont toujours là. Ils habitent juste derrière. Et puis la ’Ndrangheta est impliquée dans la traite humaine.

En témoigne un cliché punaisé dans le salon : un garçon souriant à la peau mate, aux cheveux noirs frisés. Le gamin est égyptien.

Comme beaucoup de mineurs venus d’Égypte, du Pakistan et du Bangladesh, explique Nicola, son voyage a été payé par un réseau criminel auquel il se retrouve pieds et poings liés une fois en Calabre, contraint de travailler gratuitement pour rembourser une dette sans fin.

« La police l’a récupéré dans une ferme. Elle l’a amené ici. Cinq mois plus tard, il a été repris par le réseau. Ici même : la mafia n’a pas hésité à faire une descente dans les locaux ». Nicola n’en dira pas plus sur cet épisode, sinon que le garçon a réussi à s’échapper et qu’il est à l’abri.

Malgré tout, les animateurs jugent que le projet est un succès : « Ce lieu a ouvert il y a sept ans, et 96 gamins sont passés par ici. Certains vivent toujours à Lamezia et y travaillent. Nous les aidons à se construire un avenir en Italie, affirme Mamadou Seydi Sow, Sénégalais, un des trois médiateurs culturels de Luna Rossa. Et nous faisons changer les Italiens ».

Mamadou Seydi et son collègue gambien Osmane © Édouard Elias

Les médiateurs culturels sont des pièces maîtresses pour les associations comme Luna Rossa.

Mamadou, qui parle italien, français, wolof et peul, est arrivé à Lamezia avec un visa, en suivant sa compagne italienne.

Un autre médiateur, Osmane, Gambien, a débarqué à Luna Rossa « comme les autres enfants, après la Libye et Lampedusa », dit-il. Il est resté pour aider et guider ceux qui lui succèdent sur la route de l’exil.

Ils sont 21 ces temps-ci. « Ils peuvent habiter ici jusqu’à six mois après leur majorité. Mais beaucoup s’en vont. Ils partent la nuit, et nous nous en rendons compte au matin, regrette Mamadou. Ce sont souvent les Afghans, les Somaliens et les Érythréens. Ils ne veulent pas rester en Italie ».

Rome : le risque, c’est le désespoir

Deux silhouettes frêles se glissent à l’abri de la pluie battante. La plus petite est vêtue d’une veste de survêtement bleu vif bien trop légère pour cette nuit venteuse de fin d’automne, la plus grande d’un blouson d’été.

On se serre un peu plus sous l’auvent du camping-car siglé Médecins pour les Droits de l’Homme (Medu).

Les deux gamins viennent chaque mercredi, quand la clinique mobile de Medu stationne derrière l’immense gare de Tiburtina, à quelques mètres d’un camp de tentes où vivent entre 150 et 300 migrants selon les moments.

Ils ne dorment pas là-bas, mais ils y passent leurs journées, comme beaucoup d’enfants.

Claudia Allegri, médecin de la clinique mobile de Medu

Ces deux-là, qui ne donneront ni nom ni prénom, sont érythréens. Ils ont 19 et 13 ans, ne parlent ni italien ni anglais. Le plus jeune attend depuis un an de rejoindre deux de ses frères en Allemagne, mais les procédures traînent.

Il a déjà une longue route derrière lui.

« Il a quitté l’Érythrée il y a un an et huit mois. Il a passé deux mois en Éthiopie, deux au Soudan, quatre en Libye, et une année en Sicile dans deux centres d’accueil aussi insupportables l’un que l’autre », explique Mulegbeta, le médiateur culturel érythréen de Medu, lui-même arrivé à Lampedusa sur une embarcation de fortune il y a quinze ans. « Normalement, le regroupement familial aurait dû jouer, mais comme il ne se passait rien, il a repris tout seul sa route ».

Combien sont-ils, ces enfants errants, dans la capitale italienne ? On ne sait pas trop. « Il y en a des dizaines, autour des gares de Tiburtina et surtout de Termini, explique Yasmine Accardo, de LasciateCiEntrare. Ils arrivent de Sicile, ou bien ils ont essayé de passer la frontière avec la France, ils ont été arrêtés, envoyés dans un camp ou un centre du Sud du pays, et ils remontent à Rome par le train avant de tenter à nouveau leur chance. Certains sont contraints à la prostitution. D’autres dorment dans les recoins, où ils peuvent. La plupart ne veulent pas retourner dans les structures d’hébergement ».

Il n’existe qu’un seul centre pour les mineurs non accompagnés en transit à Rome.

Ce matin de décembre, les 20 lits superposés sont vides.

Faute de moyens, Intersos24 ne fonctionne que de 21 h 30 à 9 heures. Il a accueilli plus de 4 000 mineurs depuis son ouverture en 2011. « On a ouvert en urgence pour les gamins afghans qui vivaient cachés dans les décharges. Ces deux dernières années, on a reçu surtout des Érythréens et maintenant des Soudanais en nombre, explique Valentina Murino, sa directrice. Les filles ne représentent que 10 %, parce qu’elles sont moins nombreuses et beaucoup, surtout parmi les Nigérianes, sont prises dans les filets d’organisations criminelles ».

Dans la cuisine du centre, peinte de frais et équipée à titre gracieux par une grande enseigne d’ameublement, Carmen Palazzo consulte quelques dossiers en attendant ses premiers rendez-vous du matin. Cette trentenaire aux boucles brunes est psychologue.

J’axe surtout sur le présent, sur l’incertitude dans laquelle ils se trouvent et qui les fait souffrir. Je ne peux pas me pencher avec eux sur le passé, ça risquerait de rouvrir des plaies que nous n’avons pas le temps de soigner.

Carmen Palazzo, psychologue qui aide les jeunes migrants

Et puis il y a déjà tant à faire : « Ils arrivent en Italie avec l’idée que l’Europe est fantastique, qu’ils pourront y avoir des papiers, travailler, aller à l’école, construire leur avenir, poursuit Carmen. Face à leurs désillusions, plus que parler, je dois écouter, il faut les aider à trouver en eux les ressources pour surmonter tout ça ». Le risque, c’est le désespoir.

Vintimille : rendre les exilés invisibles

Checkpoints, patrouilles : passer à travers les mailles du filet relève presque de l’exploit.

Dans la ville ocre et jaune de la Riviera se fracassent les espoirs des migrants. La France est à quelques kilomètres, mais les gares ferroviaires, l’autoroute, les routes, les sentiers de montagne même, sont contrôlés par la police et l’armée française.

Même les mineurs non accompagnés sont renvoyés systématiquement vers l’Italie sans possibilité de déposer une demande d’asile, et encore moins d’être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (Ase) française. Kaciné, 16 ans, Mohamed, 17 ans, et Adoma, 15 ans, se sont rencontrés à Vintimille.

Les trois gamins guinéens ont peu ou prou le même parcours – Guinée, Niger, Sahara, Libye, Sicile – et le même but : rejoindre à Marseille un frère, un cousin, une vague connaissance.

Cinq fois ils ont tenté d’entrer en France. Cinq fois, ils ont été arrêtés par la police française et renvoyés en Italie.

La dernière fois, c’était la veille du jour où nous les rencontrons devant les locaux de Caritas. Adoma a les larmes aux yeux : « On est arrivés jusqu’à Nice Gare, on pensait que c’était bon. Et puis là, des policiers sont entrés dans le train, ils nous ont arrêtés. On a été ramené jusqu’à la frontière à Menton et comme il n’y avait plus de train, on a dû marcher jusqu’à Vintimille. On a mis quatre heures ».

Deux filles et un garçon se serrent les uns contre les autres. Habiba, 17 ans, parle, les dents serrées et le regard humide, pour sa sœur de 16 ans et son frère de 12.

Ils sont Soudanais du Darfour, leur famille a éclaté à cause de la guerre, ils ont perdu leurs parents et veulent aller en Allemagne.

Eux aussi ont été refoulés du territoire français la veille et ils ne comprennent pas pourquoi.

Les Noirs aiment la France, mais la France ne les aime pas

Kaciné, un Guinéen de 16 ans

Dans le collimateur de la mairie

Vintimille non plus n’est guère accueillante. À l’image de cet épicier qui affiche dans sa vitrine des magnets à l’effigie de Mussolini bras levé, une partie de la population est très hostile aux étrangers en général et aux migrants en particulier.

Tétanisé par l’idée de devenir un « Calais italien », le maire fait tout pour rendre les exilés invisibles.

Le seul centre d’accueil, géré par la Croix-Rouge est relégué à des kilomètres du centre. « Les mineurs ne veulent pas aller là-bas », explique Daniela Zitarosa, chargée de la protection des enfants à Vintimille pour Intersos.

Le centre est surpeuplé, tout le monde est mélangé, adultes et mineurs, hommes, femmes, enfants. Il faut aussi donner ses empreintes digitales, et la plupart refusent par peur du processus de Dublin.

Daniela Zitarosa, chargée de la protection des enfants pour Intersos

Jusqu’en août 2017, l’église de San Antonio hébergeait, dans de petits dortoirs aux lits superposés femmes, enfants et mineurs non accompagnés.

Cet endroit où les gamins se sentaient en sécurité a fermé sous la pression de la hiérarchie vaticane. La plupart dorment aujourd’hui sous le pont autoroutier, en bordure de la rivière la Roya aux crues redoutables.

Pas de sanitaires, la rivière pour se laver.

Sur les galets, des dizaines de tentes et des braseros, régulièrement détruits par les carabinieri. D’autres mineurs se réfugient dans les recoins de la gare. « La France est si près, ils ne peuvent pas s’éloigner des trains ! », explique Daniela.

Ici, les enfants de l’exil ne trouvent de l’aide qu’auprès des passeurs, pour arriver jusqu’au territoire français à un jet de pierre de là, et des volontaires, pour rendre la vie vivable.

Ils sont 50 chez Caritas, Italiens et Français frontaliers, à se démener pour fournir vêtements, petits déjeuners et repas chauds. « Nous voyons des enfants de plus en plus abîmés », déplore Manuela Van Zozzeveld, bénévole qui habite Menton et fait le trajet presque tous les jours. « Les contrôles se sont tellement durcis côté français qu’ils essaient de passer pendant trois, quatre, cinq semaines avant de réussir. Les conditions de vie qui leur sont faites ici sont indignes. Le maire veut même interdire une nouvelle fois de nourrir les migrants ! ».

Alessandra Governa, elle, avoue pleurer souvent et être en colère toujours. Conseillère juridique spécialisée dans la protection internationale, elle reçoit les migrants, adultes et enfants à Eufemia, le local de l’association Iris.

Ouvert en juillet 2017, situé juste en face du pont autoroutier sous lequel dorment plusieurs centaines de personnes, il permet aux exilés de recharger leur téléphone, de se connecter à Internet, de boire un café ou un verre d’eau, de voir des travailleurs sociaux.

« Les mineurs sont souvent fermés, ils ne nous font pas confiance, regrette Alessandra. Tous ont déjà fui des centres d’accueil. Nous sommes nous-mêmes dans le collimateur de la mairie, qui considère que nous participons à fixer les migrants sous le pont. Et de la police qui fait des allées et venues en permanence et contrôle nos papiers ».

Personne ne demande ses papiers à Delia Bonuomo. Elle est bien connue dans Vintimille : c’est elle qui tient le café où l’on vient jouer aux machines à sous, dans l’arrière-salle. Où l’on venait jouer, plutôt. Car les clients traditionnels de Delia ont déserté le bistrot à la décoration surannée, avec ses bouquets de fleurs artificielles.

Tout commence un jour de l’été 2016. Sur le trottoir face à son commerce, Délia remarque quelques femmes recroquevillées dans l’ombre étroite, des enfants en bas âge dans les bras.

Elle les invite à entrer, leur offre des boissons fraîches et son hospitalité. Dans les jours et les semaines qui viennent, les migrants s’assoient fréquemment dans le café.

Petit à petit, les clients italiens tournent le dos aux machines à sous de Délia. Qui ne regrette rien, malgré un chiffre d’affaires en chute libre. « Évidemment, les exilés n’ont pas d’argent, sourit-elle derrière son comptoir. Ils prennent parfois un café, un sandwich au poulet. Je ne fais pas payer les enfants qui ont faim ».

Délia Bonuomo au comptoir de son bistrot déserté © Édouard Elias

Elle leur montre, sur une carte, où est Vintimille. Beaucoup d’enfants n’ont de la géographie qu’une idée succincte. Elle sait qu’ils finiront par trouver la faille dans le dispositif policier français et par passer la frontière.

Au bout de leur route, certains lui envoient des nouvelles et la remercient d’avoir été là.

- Gwenaëlle Lenoir pour La Chronique d'Amnesty International

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