Après dix ans d’érosion des droits fondamentaux, 2022 a marqué un tournant avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ce conflit, d’une ampleur inédite, a révélé les défaillances des institutions internationales, inaptes à prévenir un tel conflit, mais aussi à répondre aux autres crises mondiales et défis majeurs qui se posent à l’échelle planétaire. Face à ce sombre constat, la question se pose : quel monde voulons-nous pour demain ?
Il y a soixante-quinze ans, l'Assemblée générale des Nations unies adoptait la Déclaration universelle des droits de l'Homme au Palais de Chaillot, à Paris. Pour la première fois, le monde se dotait d’un texte de portée universelle énonçant, en 30 articles, les droits humains fondamentaux. Soixante-quinze ans plus tard, en 2022, notre rapport annuel dresse une fois de plus un tableau inquiétant de l’état du monde : le système multilatéral imaginé au sortir de la Seconde Guerre mondiale pour que le monde vive en paix est-il en train de sombrer ? C’est notre alerte.
GUERRE EN UKRAINE : COMMENT EN EST-ON ARRIVÉS LÀ ?
L’invasion de grande ampleur de l’Ukraine par la Russie a engendré l’une des pires crises de l’histoire européenne récente.
Le 24 février 2022, un chef d’État membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU déclenche un conflit en Europe en commettant un crime d’agression, des crimes de guerre et peut être contre l’humanité. Ce conflit a entrainé le déplacement de millions d'Ukrainiens et Ukrainiennes fuyant les zones de guerre, une insécurité énergétique et alimentaire mondiales, et a réveillé le spectre effrayant de la guerre nucléaire. Un conflit d’une ampleur inouïe que le système international n’a réussi ni à prévenir ni à enrayer.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie est un exemple glaçant de ce qui peut se produire quand des États pensent pouvoir faire fi du droit international et violer les droits humains en toute impunité.
Agnès Callamard, Secrétaire générale d’Amnesty International.
La réaction a pourtant été rapide. Les alliés de Kiev ont immédiatement pris des sanctions économiques contre à Moscou et envoyé une aide militaire à l’Ukraine. Le 2 mars 2022, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) annonçait « l’ouverture immédiate » d’une enquête sur la situation en Ukraine après avoir reçu le feu vert de trente-neuf Etats parties à la CPI. Dans la foulée, l’Assemblée générale des Nations unies votait la condamnation de l’invasion russe, qualifiée “d’acte d’agression”. Une réponse ferme et nécessaire de la CPI, qui a fortement contrasté avec les des précédentes réactions aux violations massives commises par la Russie et d’autres pays.
Des Ukrainiens traversent un chemin improvisé le long d'un pont détruit alors que les habitants continuent de fuir la ville le 8 mars 2022 à Irpin, en Ukraine. © Andriy Dubchak/dia images via Getty Images
Si le système avait fonctionné et demandé des comptes à la Russie pour ses crimes avérés en Tchétchénie et en Syrie, des milliers de vies auraient pu être sauvées à l’époque et aujourd’hui, en Ukraine et ailleurs.
Agnès Callamard
De son côté, la Russie a utilisé son droit de veto pour paralyser le Conseil de sécurité des Nations unies : elle a notamment voté contre une résolution qui exigeait que Moscou mette immédiatement fin à son attaque contre l'Ukraine et retire toutes ses troupes. La Russie a utilisé la même méthode pour s'opposer à une autre résolution qui appelait les pays membres à ne pas reconnaitre la déclaration de Moscou sur l'annexion de quatre régions occupées de l'Ukraine.
Cette paralysie du Conseil de sécurité des Nations unies, et la mollesse des réactions du système international face aux dérives des autorités russes ces dernières années, rappellent à quel point il est déterminant que l’ordre international soit fondé sur des règles appliquées de manière effective et cohérente. Les États ne doivent pas se défausser : c'est à eux que revient la responsabilité de reconstruire un ordre mondial qui fasse du respect des droits humains une priorité.
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Nos équipes de recherche enquêtent pour documenter les crimes les plus graves en Ukraine. Nous avons documenté des centaines de crimes de guerre et possiblement des crimes contre l’humanité. Nous nous battons pour que les victimes de ces crimes obtiennent justice et réparation.
En 2023, une étape cruciale vers la justice a été franchie : la Cour Pénale Internationale (CPI) a délivré un mandat d'arrêt contre le président russe Vladimir Poutine et sa commissaire aux droits de l'enfant, Maria Lvova-Belova. Ils sont suspectés de crimes de guerre pour la déportation d’enfants ukrainiens. Notre enquête sur les transferts forcés et les déportations de civils ukrainiens a notamment été reprise par la CPI pour étayer son dossier.
Si ces mandats d'arrêt constituent une étape importante, ils se limitent pour l'instant au crime de guerre que constitue la déportation illégale d'enfants. Ils ne reflètent pas la multitude des graves crimes dont les dirigeants russes sont potentiellement responsables. Nous attendons de la CPI et des autres acteurs de la justice qu'ils délivrent d'autres mandats d'arrêt. Et ce, dès que leurs enquêtes sur les crimes de droit international commis en Ukraine commenceront à porter leurs fruits.
NON AU "DEUX POIDS, DEUX MESURES"
Le conflit en Ukraine ne doit pas invisibiliser les victimes de toutes les autres barbaries perpétrées à travers le monde. Alors que l'agression russe a provoqué des réactions fortes de nombreux États, d'autres graves violations commises ailleurs semblent tolérées par la communauté internationale, qui continue à fermer les yeux.
Citons par exemple le silence assourdissant sur le bilan de l’Arabie saoudite en matière de droits humains, la passivité à l’égard de l’Égypte ou le refus de dénoncer le système d’apartheid mis en place par Israël contre la population palestinienne.
En Cisjordanie occupée, au moins 151 personnes, dont plusieurs dizaines d’enfants, ont été tuées par les forces israéliennes en 2022. Cette année aura ainsi été la plus meurtrière pour les Palestiniennes et Palestiniens depuis 2006. Et les autorités israéliennes ont continué de chasser des Palestiniennes et Palestiniens de chez eux, en lançant des projets d’extension drastique des colonies illégales dans toute la Cisjordanie occupée.
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Nous nous battons pour demander la fin de l’apartheid contre les Palestiniennes et Palestiniens. Le 21 mars 2023, journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, nous avons envoyé 200 000 signatures de pétition à l'attention du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour lui demander la fin des expulsions des communautés palestiniennes et des démolitions illégales de leurs habitations.
Nous nous sommes également mobilisés pour Salah Hamouri, renvoyé illégalement vers la France. Après avoir été détenu arbitrairement pendant dix mois, l'avocat franco-palestinien a été expulsé illégalement du territoire où il est né et a grandi par les autorités israéliennes vers la France le 18 décembre 2022. A Paris, il a retrouvé sa famille, mais ne reverra peut-être plus jamais sa ville natale, Jérusalem. Son expulsion crée un dangereux précédent et pourrait constituer un crime de guerre. Cela traduit un objectif politique de long terme des autorités israéliennes, à savoir réduire la présence des Palestinien·nes à Jérusalem-Est. Voici son histoire.
Des personnes courent se mettre à l'abri lors d'un bombardement aérien israélien dans la ville de Gaza le 6 août 2022. © ANAS BABA/AFP via Getty Images
En Chine, des centaines de milliers de personnes musulmanes sont internées, torturées et persécutées dans des camps dits de « transformation par l’éducation ». Ces hommes et ces femmes, Ouïghours ou issus d'autres minorités musulmanes du Xinjiang, vivent l’inimaginable. Malgré ces crimes contre l’humanité présumés, la communauté internationale reste passive. Ni l'Assemblée générale des Nations unies, ni le Conseil de sécurité, ni le Conseil des droits de l'homme n’ont condamné officiellement Pékin. Quant au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, il a voté pour ne pas approfondir l’enquête publiée en 2022 par l'ancienne haut-commissaire aux droits de l'Homme Michèle Bachelet, ni même discuter des conclusions de l'ONU sur d'éventuels crimes contre l'humanité au Xinjiang, en Chine.
Ainsi, malgré un nombre croissant d'éléments de preuve, les autorités chinoises continuent de mentir au monde sur l'existence de camps d'internement répressifs au Xinjiang.
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Nous avons documenté les crimes contre l’humanité commis contre les minorités musulmanes détenues dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang en Chine et nous exigeons leur libération. Des centaines de milliers de personnes de 184 pays et territoires ont signé notre pétition adressée aux autorités chinoises pour réclamer leur libération.
La Chine doit démanteler immédiatement les camps d’internement, libérer les personnes détenues arbitrairement dans ces lieux et dans les prisons, et mettre fin aux attaques systématiques contre les minorités musulmanes du Xinjiang.
La communauté internationale doit agir à l’unisson pour que cessent ces atrocités, une bonne fois pour toutes. Il faut que les Nations unies créent et déploient de toute urgence un mécanisme d’enquête indépendant afin que les responsables présumés de crimes de droit international soient amenés à rendre des comptes.
Avec nous, interpellez les autorités pour soutenir Mamat et Abker, deux hommes ouïghours.
En Éthiopie, l’un des conflits les plus meurtriers de l’histoire récente a fait plusieurs centaines de milliers de morts. Campagne de nettoyage ethnique contre les Tigréens et Tigréennes, violences sexuelles utilisées comme armes de guerre... Un conflit terrible, qui s’est déroulé à huis clos, à l’abri des regards.
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Le 2 novembre 2022, un accord de paix a été signé en Afrique du Sud. Un premier pas. Mais l’essentiel reste de rendre justice aux nombreuses victimes et survivantes et survivants du conflit.
Nous avons documenté de très nombreux crimes de guerre en Éthiopie. Nous plaidons pour que la France, en tant que membre de l’Union européenne et du Conseil de sécurité des Nations unies, joue pleinement son rôle et veille à ce que la justice et les mesures de réparations pour les victimes de violations des droits humains soient au cœur de l’agenda international et des préoccupations des autorités éthiopiennes. Nous demandons également, dans le cadre de mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies portant sur l’agenda « Femmes, paix et sécurité », que notre pays apporte assistance aux femmes ayant fait l’objet de violences sexuelles et basées sur le genre dans le cadre du conflit et soutienne les initiatives visant à ce qu’elles obtiennent justice et réparations.
Quant à l’Éthiopie, elle doit autoriser un accès sans entrave aux personnes enquêtant sur les violations des droits humains.
Au Myanmar, l’armée a continué de mener des opérations punitives contre les populations karen et kayah du pays. Des centaines de civils ont ainsi été tués et au moins 150 000 personnes ont été déplacées. Malgré la gravité des faits, le Conseil de sécurité des Nations unies n'a pas réussi à imposer un embargo complet sur les armes et des sanctions ciblées à l'encontre des dirigeants militaires du Myanmar.
En novembre 2022, nous avons retracé l’origine de nouvelles cargaisons de carburant d’aviation qui ont probablement fini entre les mains de l’armée du Myanmar. Révélation : des entreprises européennes pourraient être liées aux frappes aériennes au Myanmar.
Avec Global Witness, nous avons identifié de nouvelles entreprises impliquées dans la chaîne d’approvisionnement, alors que les frappes aériennes illégales se poursuivent au Myanmar, faisant fréquemment des victimes civiles, y compris des enfants. Livrer du carburant d’aviation aux militaires facilite ces crimes de guerre : ces livraisons doivent cesser immédiatement.
Nous nous battons pour que les pays suspendent l’exportation et le transport de carburant d’aviation vers le Myanmar et qu’ils cessent de fournir des services tiers, tels que l’assurance, le transport maritime ou les services financiers, aux navires impliqués dans la livraison de carburant d’aviation au Myanmar.
Au Yémen, où la guerre ne cesse de faire des victimes depuis 2015, les exportations d'armes, notamment par des entreprises françaises, continuent d’alimenter le conflit et la souffrance des Yéménites.
Jeudi 2 juin 2022. Mwatana for Human Rights, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l'homme (ECCHR) et Sherpa, avec le soutien de notre organisation, déposent une plainte pénale devant le tribunal judiciaire de Paris contre des entreprises d'armement françaises.
Les organisations demandent l'ouverture d'une instruction judiciaire sur les entreprises d'armement Dassault Aviation, Thalès Groupe et MBDA France pour leur possible complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis au Yémen. Crimes qui auraient été rendus possibles du fait d‘exportations d'armes réalisées par ces entreprises vers l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Amnesty International a soutenu l’élaboration de cette plainte en apportant une expertise juridique ainsi que des capacités de recherche, des informations approfondies et crédibles démontrant de quelle manière les armes livrées à la coalition pourraient avoir servi à de nombreuses reprises à commettre des violations graves du droit international humanitaire. En parallèle, pendant deux ans, nous avons mené campagne pour exiger de la France plus de transparence et la mise en place d’un contrôle parlementaire en matière de ventes d’armes.
Cette affaire inédite est d’une importance capitale, la vie de milliers de civil·es est en jeu.
Sahel, Ethiopie, Myanmar, Yémen, République démocratique du Congo... Pourquoi ces conflits persistent-ils dans une indifférence quasi générale ? Est-ce parce qu’ils sont trop loin, trop compliqués, trop risqués diplomatiquement ? L’attention portée à la guerre en Ukraine et la manière dont la communauté internationale s’est mise en ordre de bataille prouvent deux choses. D'abord que les institutions internationales ont pu prendre des décisions rapides pour tenter de répondre à la crise, même si ces mécanismes montrent leurs limites. Ensuite, que toutes les crises et les conflits ne bénéficient pas de la même attention et du même traitement.
Trop souvent paralysées, gangrenées par les intérêts ou les alliances de ses membres, les institutions internationales pratiquent un “deux poids deux mesures” inacceptable. Ces dysfonctionnements participent à alimenter l’impunité et l’instabilité. Et ils ne font qu’enhardir les États qui bafouent les droits humains.
Des personnes déplacées par la guerre fuient vers la ville de Goma, dans l'est de la République du Congo, le 15 novembre 2022. © ALEXIS HUGUET/AFP via Getty Images
Climat : un péril grandissant pour les droits humains
Autre échec collectif, autre aveu flagrant de la faiblesse des systèmes multilatéraux actuels : la lutte contre le réchauffement climatique.
Inondations, épisodes de sécheresse, vagues de chaleur, incendies... En 2022, le coût de la crise climatique pour les droits humains a été catastrophique. Les phénomènes météorologiques extrêmes accentués par le réchauffement rapide de la planète ont provoqué la famine et la maladie dans plusieurs pays d’Asie du Sud et d’Afrique subsaharienne, tels que le Nigeria et le Pakistan, où les inondations ont eu des effets catastrophiques sur la vie et les moyens de subsistance de la population et ont provoqué des épidémies de maladies à transmission hydrique, qui ont fait des centaines de morts.
Pourtant, à la Cop 27, au Caire, en Egypte, les dirigeantes et les dirigeants du monde, ne sont pas parvenus à prendre les mesures nécessaires pour maintenir la hausse moyenne des températures à la surface du globe sous le seuil de 1,5 °C. Les États ont refusé de s’attaquer au premier facteur responsable du réchauffement climatique : la production et l’utilisation des carburants fossiles. De leur côté, les six plus grandes compagnies pétrolières du monde occidental ont enregistré en 2022 des bénéfices avant impôts record (plus de 200 milliards de dollars).
“Le changement climatique est l'une des plus grandes menaces pour nos droits humains. La guerre en Ukraine et ses effets sur l'approvisionnement et la tarification de l'énergie devraient inciter les dirigeants politiques à accélérer encore plus la transition juste, au lieu de se tourner vers davantage de combustibles fossiles, qui menacent encore plus notre santé et notre droit à la vie", a déclaré Nils Muižnieks, directeur du programme Europe d'Amnesty International.
QUAND LES ÉTATS S’AFFRANCHISSENT DU DROIT EN TOUTE IMPUNITÉ
Pendant que l'ordre mondial vacille, certains États en profitent pour s’affranchir des règles du droit international. Encouragés par l’impunité, obnubilés par leurs propres intérêts, ils ne font rien pour mettre nos droits fondamentaux au premier plan. Pire, ils participent au recul de ces droits en les attaquant.
➡️ Une répression brutale de la dissidence partout dans le monde
Les États ont l'obligation de respecter et protéger les droits fondamentaux des personnes. Or, nombre de gouvernements ont d'abord pour objectif de faire taire les voix dissidentes. Recours à une force excessive et parfois mortelle, détention arbitraire, intimidation, harcèlement... En 2022, certains gouvernements ont redoublé d'efforts pour museler les voix critiques.
➡️ Le droit de manifester attaqué
De la même façon, des millions d’hommes et des femmes sont descendus dans la rue à travers le monde pour faire valoir pacifiquement leurs droits. Face à leurs revendications légitimes, les États ont trop souvent répondu par la répression et la violence.
* Sur les 156 pays analysés en 2022.
Des militants se heurtent à des policiers lors d'une manifestation contre les résultats des élections au bureau de la Commission des droits de l'homme, le 25 mai 2022 à Quezon city, dans la région métropolitaine de Manille, aux Philippines. © Ezra Acayan/Getty Images
En Iran, des femmes ont retiré et brûlé leurs voiles, et demandé un changement politique majeur. En réponse à ce soulèvement sans précédent contre des décennies d’oppression, les autorités ont répondu par la violence et n’ont pas hésité à tirer à balles réelles sur les manifestantes et les manifestants, à utiliser des projectiles en métal, du gaz lacrymogène, ou à les rouer de coups. Plusieurs centaines de personnes, dont des dizaines d’enfants, ont été tuées. Des dizaines de personnes en lien avec les manifestations ont été condamnées à mort. Quatre personnes ont déjà été exécutées.
Agir : Soutenez-les, portez leur voix, agissez pour empêcher ces exécutions en Iran.
En Chine, un mouvement de protestation inédit depuis des décennies a gagné le pays pour réclamer un assouplissement des mesures de confinement, la fin de la censure et pour certains, la démission du président Xi Jinping. Ce mouvement de contestation a été sévèrement réprimé. Censure, arrestations massives, surveillance abusive... les tactiques de répression du pouvoir chinois sont malheureusement bien connues.
Agir : Zhang Zhan, la journaliste chinoise symbole de la répression du pouvoir
En Russie, des voix se sont élevées contre la guerre en Ukraine. Résultat : les manifestantes et manifestants antiguerre ont été arrêtés par milliers. Des arrestations éclair et à tout va qui n’ont qu’un seul objectif : faire taire la contestation, étouffer le mouvement antiguerre et tenter de le rendre inexistant.
Agir : Trois actions contre la répression des manifestants antiguerre en Russie
Au Pérou, les manifestations qui ont suivi la destitution du président Pedro Castillo ont été violemment réprimées par les forces de sécurité, causant plusieurs dizaines de morts et plus de 1200 blessés, y compris des mineur·es. Une répression particulièrement marquée envers les populations autochtones et les “campesinos”, qui témoigne du racisme systémique qui gangrène la société péruvienne depuis des décennies.
Agir : Interpeller la présidente Dina Boluarte pour lui demander de mettre fin à cette répression
À Hong Kong, au Chili, en Colombie ou encore en Sierra Leone : partout, des hommes et des femmes ont manifesté pour revendiquer leurs droits. Partout, les États ont mis en œuvre un large éventail de mesures pour réprimer ce droit fondamental.
Au Sri Lanka, les autorités ont utilisé des pouvoirs d’exception pour réprimer le mouvement de protestation massif contre la crise économique croissante. Tandis qu’en Australie, en Inde, en Indonésie et au Royaume-Uni, elles ont adopté de nouvelles lois imposant des restrictions sur les manifestations.
L’arme technologique
Trop souvent, la technologie a été utilisée comme une arme contre de nombreuses personnes, pour les réduire au silence, empêcher des rassemblements publics ou faire de la désinformation.
De nombreux États ont fermé ou restreint l'accès à Internet, aux réseaux sociaux ou aux applications de messagerie afin d'empêcher des manifestantes et manifestants de se rassembler ou de documenter d’éventuels abus des forces de sécurité lors des manifestations. La surveillance biométrique a également été utilisée pour cibler les manifestantes et manifestants...
Une menace technologique qui plane aussi en France, alors que le projet de loi JO 2024 pourrait faire de notre pays le premier État de l’Union européenne à légaliser la vidéosurveillance algorithmique.
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Aujourd'hui, le droit de manifester est menacé dans le monde entier. Nous alertons sur le signal fort que cette dégradation envoie, car à travers ce droit fondamental, ce sont tous nos autres droits qui sont en jeu.
Aller plus loin : Découvrir notre campagne
Face aux menaces croissantes visant le droit de manifester, Amnesty International a lancé en 2022 une campagne mondiale destinée à contrer les efforts redoublés que déploient certains États pour saper le droit fondamental à la liberté de réunion pacifique.
Dans le cadre de cette campagne, nous documentons et dénonçons des violences commises contre des manifestantes et manifestants pacifiques à travers le monde, et notamment en France. Nous réclamons notamment un contrôle du commerce des armes à létalité réduite qui, chaque année, blessent et tuent des manifestants.
➡️ Haro sur les droits des femmes
La répression de la dissidence et la marche arrière de certains États dans la protection des droits humains, ont touché de plein fouet les droits des femmes.
Le 24 juin 2022, la Cour suprême des États-Unis a annulé l’arrêt Roe V. Wade qui protégeait constitutionnellement le droit à l'avortement depuis 50 ans. Cette décision laisse à chaque État américain la possibilité d'interdire ou non l'IVG, et remet en cause d’autres droits tels que les droits à la vie, à la santé, au respect de la vie privé, à la sécurité et à la non-discrimination de millions de femmes, de filles et d’autres personnes pouvant être enceintes. À la fin de l'année, plusieurs États américains avaient adopté des lois interdisant ou restreignant l’accès à l’avortement. Dans le même temps, en Pologne, où l’avortement est presque totalement interdit, des militant·es étaient poursuivis en justice pour avoir aidé des femmes à se procurer des pilules abortives.
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Mais c’est peut-être en Afghanistan, que les droits des femmes ont connu les restrictions les plus draconiennes. Les décrets liberticides pris par les talibans refusent toute autonomie aux femmes, et les prive d’éducation, du droit au travail ou même d’accès aux espaces publics.
Tandis qu’au Mexique, au moins 3450 femmes ont été tuées en 2022 - soit près de 10 femmes par jour - et qu’en Argentine, des centaines de féminicides ont eu lieu.
La volonté des États de contrôler le corps, la sexualité et la vie des femmes et des filles est source de terribles violences, d’oppression et de pertes de potentiel.
Agnès Callamard
Une femme lève le poing alors qu'elle participe à une marche contre les violences basées sur le genre et en solidarité avec les femmes qui ont été victimes de violences et en mémoire de celles qui ont été tuées, à North Beach à Durban, le 7 septembre 2019. © RAJESH JANTILAL/AFP via Getty Images
RECONSTRUIRE ENSEMBLE LE MONDE DE DEMAIN
En 2022, nous avons fait face à l'échec des institutions internationales, au recul de la protection de nos droits par les États et à l’érosion de nos libertés et de notre droit de manifester. Mais le bilan de l’année 2022 est-il pour autant à jeter ? Certainement pas. Partout, des avancées concrètes témoignent que le combat pour les droits humains porte ses fruits, et insufflent de l’espoir. Partout, des citoyens et citoyennes s'élèvent pour défendre leurs droits ou par soif de démocratie.
Jamais nous n’avons vu un tel mouvement de contestation et de défense des droits des femmes en Iran, dont le slogan “Femme, vie, liberté”, a été repris aux quatre coins du monde.
Jamais nous n’avons autant parlé et reconnu l’existence de crimes de guerre et autant appelé à la justice. Sans doute portés par cette vague, les États membres de l’ONU ont adopté lors de leur Assemblée générale une résolution destinée à contrer le droit de veto détenu par les membres du Conseil de sécurité, qui était une cause majeure de la faiblesse de l’institution.
Jamais nous n’avons assisté à un tel élan des pays européens pour accueillir des personnes réfugiées. Dans les jours qui ont suivi l'invasion russe de l'Ukraine, l'Union européenne a activé pour la première fois la "directive sur la protection temporaire", offrant une protection immédiate aux Ukrainiens et Ukrainiennes fuyant l'agression russe. En ouvrant leurs frontières, les pays de l’UE ont prouvé qu’une autre politique d’accueil était possible.
Les nations européennes ont démontré qu'elles savaient ce qu'elles devaient faire pour répondre aux demandes de protection internationale et, surtout, qu'elles pouvaient le faire.
Nils Muižnieks, directeur du programme Europe d'Amnesty International
Jamais le monde n’a compté autant de pays abolitionnistes, désormais au nombre de 144, suite à l’abrogation de la peine de mort au Kazakhstan et en Papouasie Nouvelle-Guinée en 2022.
Aller plus loin : Retour sur les manifestations majeures de 2022 pour les droits des femmes
Jamais les mouvements de défense des droits des femmes n’ont renoncé. En Colombie, grâce à leur mobilisation, l’avortement est désormais dépénalisé jusqu’à la 24e semaine de grossesse. En Espagne, le Parlement a afin adopté une loi plaçant le consentement au cœur de la définition juridique du viol. Quant à la Belgique et la Finlande, elles ont aussi entrepris de réformer les lois sur le viol et de consacrer le principe du consentement.
Jamais les peuples n'ont été si prêts à se battre pour défendre leurs droits fondamentaux ou par soif de démocratie.
Alors qu’il serait facile de céder au désespoir face aux atrocités et aux atteintes aux droits humains, des gens ont montré tout au long de l’année 2022 que nous ne sommes pas impuissant·es
Agnès Callamard
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Toutes ces avancées nous prouvent une chose : pour plus de justice et de liberté, c'est uni.es que nous pouvons remporter des victoires.
Aujourd’hui, c’est à nous de choisir dans quel monde nous voulons vivre. Un monde soumis à loi du plus fort ou un monde basé sur le respect des droits de toutes et tous ? Cette année marque les soixante-quinze ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme, un document socle né des cendres d’une guerre mondiale. Un texte visionnaire qui doit servir de modèle pour un monde plus juste. Dans un monde de plus en plus instable et dangereux, les droits humains doivent servir de boussole aux dirigeant·es du monde entier. À défaut, ils risquent de mener le monde au bord de l’abîme. N’attendons pas que le monde s’embrase une nouvelle fois.
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